Trois ans et demi plus tard, et voilà - petite remise en mémoire d'un billet chez Kozlika -
Le capitalisme expliqué à Maman (qui n'est pas douée en capitalisme, il faut dire)

Bad monday (et ça pourrait être encore pire)


La radio te réveille en te répétant en boucle que la peste brune est revenue, un échelon fatidique a été franchi, un homme parle de la fiscalisation des heures supplémentaires - des difficultés engendrées chez les classes moyennes et basses - et tu te souviens soudain qu'il faut faire chaque mois avec une centaine d'euros en moins au budget familial (1) malgré ton nouveau boulot et que l'homme de la maison travaille autant qu'avant, non pas que ça ait en rien influé ton vote, il te reste un cerveau, mais tu peux comprendre que des gens limités se sont laissés acroire par un discours de type Il faut que ça change et virer les étrangers ; pour complèter le tableau il y a un tueur de foule de plus aux USA et un autre en Belgique, le premier qui a pris une haine pour les femmes, lui être supérieur, elles, inférieures qui pourtant le repoussent, et sauf qu'il n'est pas repoussé, il séduit, ça te rappelle le Grand Belge qui considère les femmes comme des pièces à déplacer à son gré sur l'échiquier de son existence et fait semblant de ne pas comprendre quand une des pièces tente de lui expliquer que ça n'est pas exactement comme ça, qu'on est à égalité, qu'il n'a pas à "envisager" (sic) quelqu'un sans un minimum assurer ensuite, en cas de succès ; alors il nie avoir joué. Le second (tueur) c'est aussi pire : vieil antisémitisme qui ressort. Communs aux traditionnalistes des autres monothéismes qui sont en pleine poussée (2) et désormais pour les ultra-catholiques très décomplexés, antisémitisme ou (inclusif) homophobie en ce moment se portent bien. D'un dieu l'autre, on se rabiboche sur des haines communes et que les femmes ne seraient là que pour servir les hommes et procréer. La deuxième décennie du XXIème est très Hate and War. Comme tu es déjà de trop bonne humeur, quelqu'un à qui tu tiens est malade et tu appréhendes la fin de la semaine car tu crains que ça n'aille trop mal pour que la solution envisagée puisse être mise en œuvre. Comme souvent on rentre dans ces config où l'on te dira après coup, On aurait dû t'écouter tu avais raison. L'homme de la maison est parti l'insulte aux lèvres après s'être préparé son déjeuner, tu ignores pourquoi, tu sais seulement que tel un adolescent c'est signe qu'il a fait une connerie, ou qu'il en prépare une ou que tu vas d'apercevoir qu'il y a un truc qu'il aurait dû faire qu'il a laissé pourrir mais sans dire qu'il ne l'avait pas fait et soudain ça va te retomber dessus. Le premier n'est pas trop grave mais prouve la précision de ton intuition : il a laissé la machine à café s'engorger ("Je vais m'en occuper" qu'il disait et comme tu devais t'absenter tu as cru qu'il l'avait fait) et elle refuse de faire un pas de plus. Une heure à la nettoyer, interrompue par un coup de fil d'un robot EDF qui te signale que leur facture demeure impayée (tu espérais faire durer jusqu'à la bascule du mois, c'est raté). Tu supputes qu'il y a autre chose. Le fiston revient mitigé d'une épreuve orale de bachot qu'il avait pourtant préparée (tu en es témoin et qu'il expliquait bien). Il te faut d'urgence ranger et faire du ménage, fuite d'eau mystérieuse oblige, qui gêne deux lots de voisins et dont la source devra quand même bien à un moment donné être détectée. Tu es prête à parier que du train où vont les choses tout se précipitera lorsque ta fille sera à l'hôpital, l'homme de la maison en Normandie et que tu devras aller travailler. Il est donc urgent de dégager le terrain.
Plus tard tu te souviendras que délaissée ce week-end et soumise aux épuisements - trois soirs de suite endormie sans voir venir, d'un bloc, sans presque lire, comme un KO -, tu manquais de faire l'amour, que c'est raté plus que jamais. 

Alors tu penses à André Dussolier, la master class de la veille, moment de grand bonheur collectif que tu n'oublieras pas - le poème d'Hugo, tout droit, comme ça -, tu songes à ce film qui l'été prochain se tournera à Roubaix (comme tu aimerais y aller !), à l'amie qui est ces jours-ci seule, tranquille, à Venise, profitant d'être encore vaillante pour voyager, au doux message reçu la veille au soir (curieusement comme presque toujours de celui que tu n'attendais pas ; mais ça fait d'autant plus plaisir en fait). Tu penses à tout ce bon et à l'idée d'écriture avec ta vie compatible qu'en revenant d'Arras t'a offerte Stéphane Michaka, une simple réflexion de sa part, et qui ouvre une porte, sans bruit. La porte est restée ouverte depuis, malgré les violents courants d'air de ta vie.

Tu penses aussi que contrairement à bien des femmes à qui on a fait croire qu'elles étaient inférieures - sur toi aussi on a essayé, mais ça n'a pas marché -, tu es parfaitement capable de vivre seule, même si l'argent manquerait puisque société et circonstances et tes aspirations aussi (tu le reconnais, écrire, franchement, mais quelle idée !) ont fait que c'est le boulot et donc le salaire de l'homme qui ont été privilégiés (en plus qu'il aimait son travail, avant que les conditions économiques n'aillent tout dégrader). Qu'à force d'être celle qu'on quitte tu es devenue parfaitement autonome du moins tant qu'en plutôt bonne santé. Que si ce pays sombre dans le chaos lamentable tu es encore tout à fait apte de filer vivre à l'étranger ou à défaut de faire libraire, tu pourrais jouer les profs de français. Et écrire.

  

(1) Ce n'est sans doute pas que ça mais ça a joué.

(2) J'en deviens nostalgique des années 70 pendant lesquelles on semblait avoir compris que croire au Père Noël était inutile, passé un certain âge.

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