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La fin du foot - il y a 29 ans aujourd'hui

J'y repense à la date chaque année (pardon pour ceux qui suivent, je crains d'écrire tous les ans un billet et qui se répète), ce n'est pas qu'il n'y ait pas eu d'autres drames de stades, mais celui-là, qui concernait une équipe que j'aimais, auquel j'aurais pu assister (ça m'aurait fait si plaisir, mais l'argent manquait et il y avait les études, les cours à prendre, les petits à donner). Je crois qu'on avait combiné d'aller chez mes parents afin de voir le match à la télé (nous n'en avions pas dans notre logis étudiant). 

Je me souviens que dès le début de la retransmission - ce n'était pas encore l'époque où face à une infos dramatique on donnait l'antenne en mode permanent - on nous avait dit que quelque chose s'était passé, des émeutes, des hooligans ; je crois qu'il a été question de morts, très vite. Morts étouffés sous la pression de la foule qui fuyait ceux qui attaquaient. Je crois me souvenir que les commentateurs, plus habilités à décrire un déroulement de match qu'à jouer les reporteurs de JT ont parlé de rendre l'antenne, que de toutes façons le match ne pourrait être joué. Je crois qu'on restait devant l'écran, stupéfaits, atterrés devant ce qu'on croyait comprendre. Ça nous parraissait aller de soi que le match n'aurait pas lieu. Je crois que je répétais à mon père "Tu es sûr que personne [de la famille] n'y est ?" Et qu'il me répondait que si son frère Pierre y était de toutes façons ça devait être dans des loges VIP. Et puis je ne crois pas il me l'aurait dit.

Et puis soudain l'info est donnée que pour raisons de sécurité, on nous dit même : parce qu'une partie du stade ne comprendrait pas, ceux des tribunes d'en face ne savent pas, ils voient juste qu'il s'est passé un peu quelque chose mais ils ne savent pas quoi, le match va être donné. J'admirais Platini et Paolo Rossi, de cet instant précis, ce fut fini.

Je n'ai compris que plus tard, longtemps plus tard, après avoir vécu différents événements (heureusement plutôt favorables) en y étant, dont une annulation de concert dans un très grand stade, et la peur de l'émeute des organisateurs, et ce qu'on ignore quand on est dans les vestiaires ou les loges en attendant d'entrer sur le terrain ou la scène, que peut-être ils ne savaient pas tout, qu'ils n'avaient dû avoir que des bribes, que peut-être même on leur avait intimé de jouer sans tarder afin de calmer les émeutiers. À l'époque j'ai cru qu'ils savaient et qu'ils étaient décisionnaires.

Je ne sais plus si j'ai regardé le match. Je crois que je n'arrivais pas à suivre l'action. Je pensais aux gens qui savaient leur père, leur frère, leur conjoint, un enfant peut-être au stade, si heureux de s'être offerts le voyage et qui eux regardaient à la télé - on a payé le trajet à ceux que le foot passionnait, c'est trop cher d'y aller tous - et qui avaient vu les images et qui se demandaient si ceux qu'ils aimaient étaient vivants, morts ou blessés. 

À l'époque, pas d'internet pour consulter les sites, pas de téléphones portables pour tenter de joindre l'autre, au mieux France Info et le 3615 code AFP. En plus qu'en Italie il n'ont pas le minitel.

On a beau la critiquer, la modernité ou plutôt son versant technologique nous laisse moins mourir d'inquiétude.

J'imaginais des gens sortir du stade, rescapés, écœurés, en état de choc et errer dans Bruxelles à la recherche d'une cabine d'où appeler : - Sono io, vado bene.

Nous ne croyions pas aux mesures de sécurité, persuadés que beaucoup étaient déjà partis, avaient été évacués. Pour nous spectacteurs lambda d'à l'époque c'était juste question de gros sous, d'annonceurs qui avaient payé à prix d'or leur "page" de publicité, il fallait que ça rapporte et les morts on s'en foutait.

Je n'ai plus regardé de matchs après ça jusqu'en 1998 et la coupe du monde, laquelle avait du moins dans Paris une part de liesse sympathique - entre temps on avait appris à mieux contrôler ceux qui utilisaient le foot comme un exutoire -, ni été au stade, je veux dire un grand. Ce n'était pas raisonné, c'était par force d'arrière-pensées, par une sorte d'image des morts qui se surexposait à ceux des joueurs en action, comme une vision qu'ils les piétinaient. Le foot avait cessé pour moi (et d'autres) d'être une fête. Il n'était plus qu'enjeux financiers.

Je m'en suis désintéressée.

C'était la fin du foot, celui qu'on va voir en famille ou entre amis, celui où le défi dans le stade est de chanter plus fort que les supporters d'en face, celui que j'ai connu enfant lors du derby Toro-Juve lorsqu'il tombait à des dates qui nous trouvaient à Turin.

Je reste dans l'idée que le match aurait dû être reporté puis joué à huis-clos ou tout bonnement annulé. Par respect.

Vingt-neuf ans après je me demande ce que sont devenus ceux qui ont été concernés, qu'ils fussent rescapés ou qu'un de leur proche ait été parmi les victimes ou qu'ils aient été parmi les anglais qui chargeaient sans piger qu'ils étaient en train de virer meurtriers. Ceux qui pour [s'en] sortir ont piétiné des corps, ceux qui sont intervenus en premiers secours, ceux qui habitaient la ville mais peu soucieux de foot ignoraient ce qui se tramait et ne l'ont su qu'après. Si ma vie l'autorisait ça m'intéresserait de travailler sur ce sujet - mais hélas je fais toujours partie de celles que le quotidien coince, déjà trop plein, déjà lourd à assumer -. Vingt-neuf ans c'est le temps pour ceux que la tragédie aura rendu orphelins d'avoir eux-même des enfants de l'âge qu'ils avaient à l'époque. Quels souvenirs ont-ils qu'est-ce qui s'en est transmis ? 

Me touchait le fait que ces personnes qui avaient fini là leur vie s'y étaient rendues comme à une fête, quand la mort les guettait. J'ignorais que j'allais de façon certes moins physique et donc infiniment moins définitive, connaître par trois fois dans ma vie semblable effet et vérifier ou du moins avoir une idée assez proche de ce que c'était d'être réjoui d'une perspective, d'un moment important, de retrouvailles promises, et qu'en lieu et place du bonheur attendu, de ce qui nous avait aidé à tenir parfois pendant des mois, tombait un coup [ressenti comme] mortel. On est sensible à ça quand on se prénomme Gilda, sans doute une malédiction intrinsèque.

J'ai comme une vague conscience que l'absence de fortune et le manque d'envergure de mon amoureux, qui aurait pu vouloir me faire ce plaisir que de nous organiser d'y aller, m'ont peut-être épargné de finir là-bas ainsi. Il faut parfois être reconnaissants envers nos empêchements.

Enfin lorsque récemment Michel Platini a tenu des propos si contestables et égocentrés (du moins sur le football), j'ai oublié d'être surprise ; il est le gars qui marquant sur pénalty saute de joie comme si de rien n'était (1) . Lui que dans ma jeunesse j'avais tant admiré. 

Je me prends ce soir à espérer que certains rescapés d'alors aujourd'hui malgré l'âge, se portent bien. Et que leur passion a pu perdurer. Ou qu'une autre, moins risquée, est venue remplacer.

 

Laurent Mauvignier a écrit un roman majeur, hélas resté discret, "Dans la foule", qui permet d'accéder à ce que ça pouvait être que d'y être. Qui donne voix à ceux qu'on a préféré escamoter, comme font certains avec  l'amour d'avant lorsqu'ils en croisent un nouveau qu'ils croient le bon, qui leur semble grand.

 

(1) C'est à 8'44" du document en italien.


Pédaler si ça peut aider

J'ai toujours un peu des doutes face aux grandes organisations de solidarité, faites ceci et tel sponsor en votre nom versera cela. J'aimerais tout simplement que nos impôts soient bien gérés et aillent directement dans les bonnes cases. C'est utopique je le sais. Et comme je n'ai pas un rond à offrir, tentant désespérément de sortir du rouge, systématiquement plombée par de nouvelles dépenses médicales ou de réparations à chaque fois que j'espère pouvoir redresser la situation, finalement cette façon de donner de l'énergie physique c'est tout ce qui peut me rester. L'an passé j'avais participé à une semaine tout juste après avoir été foutue en l'air par un beau saligaud de l'oubli ; j'avais parcouru 10 tours, je crois que c'était la distance max conseillée afin de laisser chacun participer. C'était six jours après ce qui aurait dû être des retrouvailles après plusieurs mois sans se voir, croyais-je par manque d'argent (1). Cette année j'espère bien pouvoir participer mais le cœur moins plombé, peut-être aussi moins tracassée qu'aujourd'hui (2) et que l'an passé (3). Je note la date du 22 juin. Ça n'est pas gagné. Mais ça aide de se dire Coûte que coûte, j'en serai. Parce que la video agace par son côté publicitaire, mais ne ment pas de dire que c'était un bon moment, avec de la joie. La joie, j'y crois (malgré tout).

 

(1) Il y était mais seulement de mon côté, en fait. De ma part quelle naïveté !
(2) Veille d'un jour important, d'un point de vue familial
(3) J'étais par ailleurs en train de perdre mon travail et le savais, ça venait de m'être confirmé, même si la date tardait à être fixée. J'ai été quittée quand j'ai annoncé que je n'allais plus être libraire dans l'immédiat, ce qui me laissera toujours l'ombre d'un doute bien pourri.


Parfois on ne peut pas savoir si les choses sont significatives ou pas

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C'est un café accueillant des beaux quartiers (si, si il en existe, je suis en train de cartographier), enfin accueillant, bon, sauf les prix (il ne faut pas rêver) (1). La terrasse était chauffée et vraiment j'ai apprécié (oui, oui, à Paris, à la fin du mois de mai).

J'y suis passée avant un rendez-vous médical, j'étais en avance ; puis après, pour me remettre avant d'entreprendre le trajet de retour. J'étais seule.

Au premier passage je me suis trouvée à voisiner avec deux fois deux personnes, dans les deux cas un homme et une femme, de façon amusante placés l'homme face à la rue la femme face à l'intérieur du café (2), dans les deux cas l'homme passait visiblement à la femme des consignes professionnelles avant de partir en week-end (probablement prolongé). Dans les deux cas la femme notait avec rapidité et au stylo. Ce qui m'a semblé curieux au vu du quartier, professions fortunées, et des outils dont on peut disposer de nos jours pour prendre des notes et qu'elles soient conservées. Ce n'était pas non plus question de confidentialité : les uns comme les autres parlaient à voix suffisamment haute pour ne rien cacher. C'était même assez plaisant : des consignes sérieuses, concises et respectueuses pour avancer dans tel ou tel dossier ; je me disais que j'aurais volontiers fait appel à leurs services (il m'a semblé que les uns faisaient du placement financiers et que les autres étaient avocats d'affaires, mais je peux me tromper, j'ai quitté ce monde depuis plus de cinq ans). En fait c'est ce détail qui a attiré mon attention : tiens, on prend donc encore des notes au stylo.

Donc voilà, d'où j'étais placée ils donnaient l'impression à l'ancienne d'un responsable et sa secrétaire son assistante qui allait devoir garder la boutique le vendredi d'un pont de férié. So cliché.

Seulement il se trouve qu'à mon second passage, c'était l'heure de la glutte entre collègues amicaux en sortie de bureau (3) et qu'alors j'ai été entourée de tablées juvéniles (4), tous les participants équipés de pintes, les femmes en blanche les hommes en pas-la-blonde-de-base-mais-juste-un-cran-au-dessus, presque à parité hommes femmes et visiblement à égalité de métiers. Et s'efforçant assez vite de parler d'autre chose [que le travail]. Roland Garros était le sujet. 

Eussé-je été une belle étrangère (tant qu'à inventer autant se faire plaisir) de passage et n'étant venue qu'une seule des deux fois dans ce café, je serais repartie dans un cas en songeant que la France était décidément un pays rétrograde avec une répartition peu évoluée et fort sexuée des rôles, dans l'autre en ayant l'image d'un monde professionnel dynamique et en mouvement, avec, fors dans le choix des boissons, un réel équilibre de traitement.

La réalité des choses étant comme souvent entre les deux et fluctuante. Avec des vestiges, et des perspectives de changements. Il faut décidément beaucoup beaucoup beaucoup se méfier des seules impressions et des généralisations. 

 

(1) Alors si j'ai bien compris le nouveau truc à Paris c'est de servir la bière de fin d'après-midi / début de soirée avec de bonnes petites choses (olives marinées par exemple) et faire payer l'ensemble 5 € ou peu s'en faut, avec la pinte à peine plus cher, ce qui pour les dames n'est pas sympa (souvent 25 cl nous suffisent).

(2) Hasard ou pour qu'il puissent mieux mater les éventuelles passantes aux jambes interminables ? Leur placement était-il intentionnel ou ne l'était-il pas ?

(3) La seule chose qui me manque de mes premières années de vie de bureau, d'ailleurs, celles pendant lesquelles les collègues pouvaient encore être aussi des amis ; avant le libéralisme effréné qui fit de chacun l'autre le concurrent, le presque ennemi et des relations humaines au travail un permanent enjeu de stratégie et de placement [de soi-même comme] produit.

(4) Je suis à l'âge où presque tout le monde me paraît très gamin. C'est à ça qu'on voit qu'on vieillit.

 

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Pas moyen de stabiliser ma vie en ce moment, il était prévu quelques travaux de plomberie (cette galère n'en finira donc jamais ?) mais plutôt vendredi mais finalement ça sera demain quand je serai à la maison. Je pensais devoir accompagner quelqu'un à l'hôpital mais finalement quelqu'un d'autre le fera et en voiture ce qui est bien. On devait s'occuper de ranger l'appartement sur le temps restant (en vue des travaux mais aussi parce que c'est urgent) mais finalement je serai seule sauf s'il pleut et c'est du gros boulot qui nécessite d'être deux. Je devais voir un médecin pour une petite bricole, persuadée qu'on envisagerait son traitement et que j'y retournerai pour le faire par après. Mais voilà qu'il a procédé directement à une mini-micro-intervention ce qui est très bien. Mais me laisse peu présentable et (mais peut-être que dès demain ça sera OK), la tête qui tourne, le front douloureux. Il faut donc composer avec tout ça ; paradoxalement faire avec ce que du positif (un chauffeur charmant, un collègue de l'homme de la maison prêt à aider et théoriquement compétent, un médecin plus efficace que prévu) a induit d'immédiates complications. Et intégrer une fois pour toute que je ne peux compter que sur moi.

L'un dans l'autre je me suis dit qu'il me faudrait donc un endroit calme pour dormir et si j'en ai la force écrire et lire (j'ai du retard comme jurée). Et est-ce que c'était possible une chambre d'hôtel en journée. Mais qui ne soit pas un hôtel de passes. Et si oui à quel prix c'était. 

En fait tout existe, c'est la conception même du capitalisme : tout ce qui peut faire profit trouve entrepreneurs dès lors qu'il y a clients ; j'ai donc trouvé, ça semble même très bien organisé. Et si c'est clairement prévu pour les couples informels plus que pour les femmes seules fuyant travaux, ça pourrait faire. Dépanner. Permettre de dormir, de reprendre des forces en journée.

Que ça pourrait même, si un jour une poussière de fortune daigne choisir mes épaules pour se déposer être une bonne réserve d'oloé pour les jours où la BNF est fermée. Et puis si ça pouvait faire office de prophétie auto-réalisatrice, ça ne serait pas de refus non plus.

Bientôt ça fera un an que je vis au jour le jour parfois à la semaine la semaine, depuis le retour alentour des problèmes de santé à nouveau au jour le jour, quand ça n'est pas heure par heure qu'il faut arracher à l'adversité. Ça finit par user, d'autant plus qu'il y a déjà eu maintes périodes préalables et si peu de paix. J'ai besoin de pouvoir faire semblant (1) au moins pour un trimestre de voir au mois le mois et me concentrer enfin sur mon propre travail. Ça n'est pas très bien parti pour m'être accordé et je suis la moins à plaindre : en pour l'instant bonne santé. Que faire ? Et comment ? Il faut que je trouve assez de forces pour m'en sortir seule et aider qui en a besoin et que c'est sérieux et que même le meilleur des cas promet des mois difficiles. 

Dans un mois si tout va bien j'irai à un mariage qui me tient à cœur puis passer la fin du week-end chez des amis. Et puis le 11 juin, il y aura Siri. Le 1er mai, à Arras, fut un jour parfait (merci encore à Marianne qui m'y a entraînée). Il peut donc arriver qu'il y en ait. Que ça ne soit pas que les sales coups qui récidivent, mais le bon aussi. Que peut-être je retrouverai une vie complète avant de mourir. Mais ce tunnel sans printemps est décidément bien long.

Ça ira mieux samedi (il faut se dire que). 

 

PS : Pendant ce temps, tel un héros de Philip Pullman, le fiston passe son bac, épreuves après épreuves, discret et impavide. J'espère qu'au moins lui, rien ne l'arrêtera, rien qui ne vienne de lui-même ou d'un choix.

PS' : Je souhaiterais remercier Geneviève B. pour les paroles très réconfortantes qu'elle m'a offertes hier soir. Durant les mauvaises traversées, ça compte.

 

(1) Je sais que dans l'absolu rien ne nous prouve que nous survivrons au quart d'heure qui suit. Mais bon avoir au moins l'illusion d'un semblant de projection pour avancer quelques projets, justement.


Conseil d'ami (jeune)


terrasse de café, Paris, deux garçons, l'un vient d'avouer à l'autre qu'après une succession d'histoires parfois satisfaisantes mais sans lendemain ou qui restaient vers l'amitié (il mentionne sa sex-friend ou ex, l'ami la googlelise et admire) il aspirait à une relation stable, le confident répond, sur le ton de la boutade mais pas tant :

- Sinon t'attends 35 ans, t'en trouve une esseulée, désespérée comme toi, et puis c'est bon. 


C'est bien ça le problème (ils préfèrent tous une)


(Paris, terrasse de café, chauffée bien qu'en mai) Un homme vient se joindre à un autre qui finissait une bière ambrée et fait signe au nouvel arrivant façon de dire Tu veux la même ? tout en hélant le garçon.

- Je préfère une blonde de base, Carlsberg ou 16.

Je me suis dit que comme tant d'autres, il n'y connaissait rien.

 

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Ou presque


Je pars au travail d'un pas décidé tout en ouvrant le tout venant du courrier, relevés de comptes et publicités adressées et factures. Un homme dans la rue a posé le sien sur un rebord de fenêtre de rez-de-chaussé et qui procède de même tout en parlant au téléphone qu'il a coincé avec habileté (1) entre épaule et oreille.

- Tout va bien, répond-il à une question que je n'entends pas.

Au même moment se yeux tombent sur la feuille qu'il vient de sortir d'une enveloppe à fenêtre, je vois son sourire se figer.

- Ou presque, a-t-il ajouté.

 

(1) pas évident quand l'objet est plat.


Les aventuriers de la goutte perdue

 

C'est l'homme de la maison qui après une discussion de plus avec la gardienne, les voisins à re-regardé encore là où le plombier qu'il avait fait venir avait déjà regardé. Mais probablement pas avec les bonnes lunettes, il y a sous la baignoire côté mur une vraie fuite qui goutte à goutte. On a du mal à en voir la provenance (vient-elle des robinets ?, de plus haut par le mur ? du trop-plein ?) mais au moins ça explique pourquoi dessous ça coule vraiment. Comme ça tombe qu'aujourd'hui nous n'avons pas pris de douche ni de bain chez nous depuis très tôt ce matin, ça sent le truc pas tout simple. On a coupé l'eau pour voir si ça fait effet. 

Je sens que dans les jours qui viennent je vais bien profiter de mon abonnement au club de gym et me féliciter des entraînements de piscine qui me permettent de me doucher sur place.

Et que la galère ne fait que commencer. Car tout va être à changer. Du carrelage à la robinetterie et au(x) tuyau(x) défectueux (désoudé ?). Si c'est un joint c'est que le travail effectué il y a relativement peu de temps (deux ans ?) n'aura pas été fait avec une pièce de bonne qualité.

Une fois de plus si l'on m'avait écoutée la toute première fois, il y a des mois de cela lorsque j'ai signalé que le mur du placard sentait la maison normande, au lieu de mépriser mon avis (et me traiter de folle qui se fait des idées et de personne toujours prête à engager des dépenses inconsidérées), on n'en serait pas là aujourd'hui. 

À part ça c'est moi aujourd'hui qui ai dû dire à quelqu'un qu'il avait raison : prenant gare Satin Lazare un escalier inhabituel car je n'arrivais pas de la même direction qu'à mon ordinaire, je suis tombée sur le fameux fast-food en France réinstallé. Le fiston m'avait dit qu'il était dans la gare, nous n'avions rien vu, je ne me souvenais pas d'avoir jamais repéré à l'intérieur une telle enseigne. Pas motivés plus que ça, nous avions abandonné notre esquisse de recherche. J'ai pu lui dire aujourd'hui qu'il avait raison, que c'était bien dans la gare que ça se situait.

Dans la série Un mystère peut en cacher un autre : en déplaçant de menus objets pour accéder à une lampe de poche nous avons trouvé une clef neuve assez élaborée (genre serrure sécurisée) dans une boîte au nom de la marque, tout bien. Et on ne sait pas à quoi elle correspond, ni d'où elle vient (1). Étrange perte collective de mémoire. 

 

(1) Non, ce n'est pas une clef bruxelloise.


Le capitalisme expliqué à Maman (qui n'est pas douée en capitalisme, il faut dire)


De retour d'un peu de sport il faisait grand faim. J'ai donc chauffé à vrai four les tomates farcies que l'homme de la maison avait au préalable ce week-end achetées chez le boucher. Non sans les avoir effectivement quelque peu agrémentées et avoir préparé concomitamment un peu de riz. Le fiston vient se servir, va manger se régale et me remercie pour l'excellent dîner. Je lui dis, je n'ai pas fait grand-chose, j'ai simplement réchauffé.

Il me répond alors d'un air faussement navré, Maman, c'est le capitalisme. Il y a le type qui a fait pousser les tomates, le boucher qui avec la viande les as faites, papa qui les a achetées, mais comme c'est toi qui as préparé ce dîner, c'est toi que je vais remercier.

En moins de vingt ans il a pigé ce qu'en cinquante je ne suis toujours pas parvenue à intégrer.

(En fait mon cas est désespéré : quelle que soit l'activité j'aime être à la production des choses, à leur extraction, sur le terrain, dans le concret ; donc même en ayant conscience de me faire avoir, et à moins de me forcer à ce qui ne m'intéresse pas (paperassifier, communiquer, négocier, vanter), je n'y peux rien, je ne m'épanouis qu'en amont ; l'inoubliable sourire de Patrice Chéreau qui trimbalait un projecteur dans ce théâtre de banlieue pour un spectacle confidentiel qu'il avait mis en scène je crois par amitié, était celui d'un cousin; le bonheur qu'il y a à faire plutôt qu'à faire faire).


Bad monday (et ça pourrait être encore pire)


La radio te réveille en te répétant en boucle que la peste brune est revenue, un échelon fatidique a été franchi, un homme parle de la fiscalisation des heures supplémentaires - des difficultés engendrées chez les classes moyennes et basses - et tu te souviens soudain qu'il faut faire chaque mois avec une centaine d'euros en moins au budget familial (1) malgré ton nouveau boulot et que l'homme de la maison travaille autant qu'avant, non pas que ça ait en rien influé ton vote, il te reste un cerveau, mais tu peux comprendre que des gens limités se sont laissés acroire par un discours de type Il faut que ça change et virer les étrangers ; pour complèter le tableau il y a un tueur de foule de plus aux USA et un autre en Belgique, le premier qui a pris une haine pour les femmes, lui être supérieur, elles, inférieures qui pourtant le repoussent, et sauf qu'il n'est pas repoussé, il séduit, ça te rappelle le Grand Belge qui considère les femmes comme des pièces à déplacer à son gré sur l'échiquier de son existence et fait semblant de ne pas comprendre quand une des pièces tente de lui expliquer que ça n'est pas exactement comme ça, qu'on est à égalité, qu'il n'a pas à "envisager" (sic) quelqu'un sans un minimum assurer ensuite, en cas de succès ; alors il nie avoir joué. Le second (tueur) c'est aussi pire : vieil antisémitisme qui ressort. Communs aux traditionnalistes des autres monothéismes qui sont en pleine poussée (2) et désormais pour les ultra-catholiques très décomplexés, antisémitisme ou (inclusif) homophobie en ce moment se portent bien. D'un dieu l'autre, on se rabiboche sur des haines communes et que les femmes ne seraient là que pour servir les hommes et procréer. La deuxième décennie du XXIème est très Hate and War. Comme tu es déjà de trop bonne humeur, quelqu'un à qui tu tiens est malade et tu appréhendes la fin de la semaine car tu crains que ça n'aille trop mal pour que la solution envisagée puisse être mise en œuvre. Comme souvent on rentre dans ces config où l'on te dira après coup, On aurait dû t'écouter tu avais raison. L'homme de la maison est parti l'insulte aux lèvres après s'être préparé son déjeuner, tu ignores pourquoi, tu sais seulement que tel un adolescent c'est signe qu'il a fait une connerie, ou qu'il en prépare une ou que tu vas d'apercevoir qu'il y a un truc qu'il aurait dû faire qu'il a laissé pourrir mais sans dire qu'il ne l'avait pas fait et soudain ça va te retomber dessus. Le premier n'est pas trop grave mais prouve la précision de ton intuition : il a laissé la machine à café s'engorger ("Je vais m'en occuper" qu'il disait et comme tu devais t'absenter tu as cru qu'il l'avait fait) et elle refuse de faire un pas de plus. Une heure à la nettoyer, interrompue par un coup de fil d'un robot EDF qui te signale que leur facture demeure impayée (tu espérais faire durer jusqu'à la bascule du mois, c'est raté). Tu supputes qu'il y a autre chose. Le fiston revient mitigé d'une épreuve orale de bachot qu'il avait pourtant préparée (tu en es témoin et qu'il expliquait bien). Il te faut d'urgence ranger et faire du ménage, fuite d'eau mystérieuse oblige, qui gêne deux lots de voisins et dont la source devra quand même bien à un moment donné être détectée. Tu es prête à parier que du train où vont les choses tout se précipitera lorsque ta fille sera à l'hôpital, l'homme de la maison en Normandie et que tu devras aller travailler. Il est donc urgent de dégager le terrain.
Plus tard tu te souviendras que délaissée ce week-end et soumise aux épuisements - trois soirs de suite endormie sans voir venir, d'un bloc, sans presque lire, comme un KO -, tu manquais de faire l'amour, que c'est raté plus que jamais. 

Alors tu penses à André Dussolier, la master class de la veille, moment de grand bonheur collectif que tu n'oublieras pas - le poème d'Hugo, tout droit, comme ça -, tu songes à ce film qui l'été prochain se tournera à Roubaix (comme tu aimerais y aller !), à l'amie qui est ces jours-ci seule, tranquille, à Venise, profitant d'être encore vaillante pour voyager, au doux message reçu la veille au soir (curieusement comme presque toujours de celui que tu n'attendais pas ; mais ça fait d'autant plus plaisir en fait). Tu penses à tout ce bon et à l'idée d'écriture avec ta vie compatible qu'en revenant d'Arras t'a offerte Stéphane Michaka, une simple réflexion de sa part, et qui ouvre une porte, sans bruit. La porte est restée ouverte depuis, malgré les violents courants d'air de ta vie.

Tu penses aussi que contrairement à bien des femmes à qui on a fait croire qu'elles étaient inférieures - sur toi aussi on a essayé, mais ça n'a pas marché -, tu es parfaitement capable de vivre seule, même si l'argent manquerait puisque société et circonstances et tes aspirations aussi (tu le reconnais, écrire, franchement, mais quelle idée !) ont fait que c'est le boulot et donc le salaire de l'homme qui ont été privilégiés (en plus qu'il aimait son travail, avant que les conditions économiques n'aillent tout dégrader). Qu'à force d'être celle qu'on quitte tu es devenue parfaitement autonome du moins tant qu'en plutôt bonne santé. Que si ce pays sombre dans le chaos lamentable tu es encore tout à fait apte de filer vivre à l'étranger ou à défaut de faire libraire, tu pourrais jouer les profs de français. Et écrire.

  

(1) Ce n'est sans doute pas que ça mais ça a joué.

(2) J'en deviens nostalgique des années 70 pendant lesquelles on semblait avoir compris que croire au Père Noël était inutile, passé un certain âge.