Triste salon mais heureusement
23 mars 2014
J'ai d'abord cru que c'était moi: moi qui suis heureuse mais fatiguée par la reprise du rythme de travail salarié (1), et qui parviens d'autant moins à sortir du chagrin qui depuis l'été dernier m'enserre, que dans le monde des livres trop d'éléments m'y ramènent ; ainsi voulant passer saluer une amie au stand de son éditeur je tombe sur les portraits de ceux qui y sont publiés dont celui de la dulcinée du bien-aimé qui pour elle m'a brutalement jetée.
Passer devant la maison d'édition pour laquelle il bosse, même si ceux qui tiennent le stand sont adorables et que je connais bien un peu l'une des femmes qui pour eux travaillent, me rappelle à ma peine (du coup je n'ai pas même eu la force d'aller la saluer, alors qu'elle n'est pour rien dans l'affaire), passer au stand de qui l'éditait était aussi à éviter : j'y aurais sans doute retrouvé les romans pour lesquels j'ai soutenu celui qui défaillait, tout ça pour que ça aille mieux au point d'aller séduire la belle fausse blonde flatteuse.
Cette année pour moi le salon était miné.
Et je n'ai pu que constater que ces derniers mois, alors qu'il me semblait durant l'automne avoir enfin avancé, je n'ai fait aucun progrès quant à tourner la page d'une relation qui pour moi aura tant compté.
Alors j'ai cru que c'était moi, simplement moi, qui n'allait pas.
J'ai cru aussi que c'était à cause du dimanche.
Il me semble que ça fait un moment que je fréquentais les lieux plutôt le vendredi (tout le monde encore frais) et le lundi (pour des présentations professionnelles, généralement fort intéressantes pour qui comme moi n'est pas blasé d'en avoir trop organisées ou écoutées). Il n'y avait aujourd'hui qu'une seule dédicace à laquelle j'aurais souhaité spécifiquement allée car j'avais un cadeau à faire, envie d'offrir ce livre précis, et relativement peu de chance de croiser rapidement l'auteure par ailleurs : celle de Florence Seyvos pour "Un garçon incassable". Mais elle fut annulée (rien de grave j'espère).
Et le dimanche après-midi, c'est un peu le festival des signatures "pipoles" : ces gens qui drainent une foule qui soudain fait croire que la lecture est encore appréciée, avant qu'on ne constate qu'il s'agit d'un politicien, d'un(e) acteur/trice, d'une star du sport ou de la télé, de l'ex-femme d'un ex-président de la République. Jusqu'à des personnes dont je n'avais jamais entendu parler dont une américaine pour jeunes femmes ou filles (2) et une journaliste médium. On en est soudain reconnaissant à Catherine Pancol d'attirer son monde : qu'on apprécie sa production ou pas, ce sont des histoires racontées et elle est connue à cause d'elles.
Heureusement restaient quelques personnes que j'aime bien et qui attiraient trop de monde pour que j'ose passer les saluer, ce qui me rappelait au passage que Serge, un des absents, m'avait un jour traitée de Bonne Mascotte. Le destin d'une bonne mascotte qui réussit est de se retrouver seule au bout du compte, pas besoin de médium pour prédire l'issue des relations de camaraderie une fois le succès établi. C'est une simple question de temps disponible rétréci.
Des absents nombreux : les petits éditeurs souvent venus d'un peu loin ne sont plus que peu. Les stands régionaux offrent encore un semblant d'illusion d'une diversité qui si elle persiste peine à exister mais également à prendre place dans un lieu dont les grandes parties vides
laissent à penser que le ticket d'entrée est chaque année vraiment plus élevé.
Je n'ai pas vus mes amis de Borborygmes. Seulement quelques-uns de leurs petits livres sur une parcelle d'un stand collectif. Ça n'est pas sans m'inquiéter.
J'ai voulu aller parler avec le monsieur de Monsieur Toussaint Louverture mais des amis à lui (ou son épouse ?) sont passés le voir juste à ce même moment, et j'étais en lutte contre une bouffée de chagrin, alors nous n'avons échangé que quelques mots. J'espère que ce n'est que partie remise : c'est une maison qui représente un peu d'espoir : la qualité des textes, le courage des livres exigeants, le travail sur les objets - qui est le seul avenir du livre en papier (à part les poches qui se vendront toujours parce qu'on utilise toujours des allumettes malgré l'invention du briquet), que ce qu'on tient entre les mains ait une apparence, une texture, un quelque chose de l'ordre de la sensualité que l'écran n'aboliera jamais. Je dois beaucoup à la lecture d'"Enig Marcheur" et j'aimerais un jour remercier.
Et puis il y a ceux qui sont présents mais désormais séparés. Et comme j'apprécie les deux hommes et que j'aimais le travail qu'ensemble ils accomplissaient, quelles que soient les raisons de ce divorce professionnel, il me laisse désemparée.
Je ne supporte plus les ruptures.
Dans les allées de bordures, là où il était fréquent de découvrir des petits nouveaux, je n'ai croisé que des entreprises qui frôlent l'auto-édition ou le compte d'auteur et rien n'a attiré mon attention (3). Du rêve auto-financé.
Ici et là on m'a dit qu'il y avait nettement moins de monde que les années qui précédaient. Dans la plupart des stands on sentait comme une tension. La crainte tangible pour ceux qui travaillaient de ne pas rentrer du tout dans leurs frais.
J'ai croisé également davantage de personnes excessivement raisonnables, et qui (moi la première) notaient quelques titres plutôt que de se laisser tenter à les acheter pour les faire ensuite découvrir au travail, qui dans une médiathèque, qui dans une librairie. J'ai vu une jeune bibliothécaire à deux doigts de se laisser tenter par une dédicace personnelle de Françoise Héritier, puis renoncer et qu'elle prendrait le livre pour son établissement - mais j'ai bien vu qu'elle en était navrée, de ne pouvoir s'accorder un extrat -. Les gens en repartant avaient tous au moins un sac. Mais il était assez souvent assez plat. Où sont passés les lecteurs fous d'antan qui repartaient, j'en fus, chargés comme des mulets un jour de foire aller. Je croyais que le dur de La Kriz était l'an passé mais on serre tous encore nos budgets.
L'impossibilité d'une rencontre
Cet homme mince et séduisant qui signait ses livres, sur les régimes pour maigrir. Je l'ai légèrement taquiné - il était lui-même une parfaite réclame pour ce qu'il proposait -, il avait du répondant. C'est moi qui étais vide, plus rien à offrir qu'un début de boutade et éviter d'encombrer davantage. Pas l'envie de m'entendre à nouveau dire un jour, ou écrire "Tu n'es pas attirante pour moi". Quelque chose d'immensément décourageant de ce côté-là. Les plus beaux mots d'amour on me les a déjà envoyés. Pour me dire ça une fois leur effet fait. Alors que faire après ? Que croire des regards quand les plus beaux mentaient ?
Heureusement, les amis.
À commencer par Eduardo qui a animé une très réconfortante rencontre entre Françoise Héritier et Alain Rey. Ils parlaient de l'amour des mots. Je me sentais moins seule, moins désaxée. J'eusse aimé les écouter des heures, ils tenaient mon chagrin en respect. Quand les hommes peuvent se défiler, les mots, eux, s'ils séduisent, savent se laisser aimer.
Puis ceux qui tenaient des stands. Je me suis aperçue que je n'avais pas assez dit avoir retrouvé du boulot. Or tous semblent pour moi sincèrement heureux. Alors pourquoi me retenir d'annoncer cette nouvelle qui n'est mauvaise pour personne ?
Entre ne pas savoir me vanter - j'ai bien compris que cette société requérait qu'on le fasse, mais je ne sais pas m'y prendre - et ne pas oser y croire tout à fait (trop de coups précédents encaissés, trop de confiance meurtrie, trop l'habitude d'une certaine poisse affectivo-professionnelle sans que je sache ce que je pourrais bien me reprocher à part de n'être pas une de ces belles femmes qui font les hommes rêver). Alors j'ai tenté de penser à prévenir (4).
Enfin, si j'ai perdu Eduardo en chemin - dommage nous aurions pu de conserve entreprendre celui du retour puisque nous sommes presque voisins -, j'ai retrouvé une amie dont j'ignorais qu'elle y serait aussi et ce fut un plaisir de se parler un peu (à la fois trop (il n'y avait pas assez de monde qui la sollicitait) et trop peu (il y avait un peu de monde quand même)) et de se confirmer un rendez-vous très prochain.
Je suis ensuite repartie sans tarder. L'envie de rester sur du bon. Profiter de l'élan du sourire amical.
En rentrant et alors que l'homme de la maison (5) s'activait pour le dîner, un billet d'Aux bords des mondes, m'a prise au dépourvu et offert un ancrage. Il ne pouvait mieux tomber. J'étais rentrée un brin désespérée sur l'avenir d'écrire - en général, pas le mien en particulier - et voilà que d'être ainsi lue et très exactement pour les raisons profondes qui jours après jours me motivent malgré sommeil, peines et fatigue, me redonnaient courage. S'il y a une seule personne que ma perception - transmission brute des choses peut mener vers des pensées plus élaborées ou amuser, ça vaut la peine de lutter, repousser le premier chaque soir de quelques minutes, tenir les deuxièmes en respect, et faire comme si la troisième n'était pas là. Certains jours je n'y parviens pas. Je suis limitée dans mes capacités. Mais je ne dois pas renoncer à transmettre vers d'autres qui eux, pourront.
Il faudrait quand même que je (re)prenne l'habitude de relire mes billets. Et de conserver ceux qui sont trop introspectifs au secret.
[photo : à 15:25 au salon même]
(1) En fait je crois que je traîne toujours une fatigue résiduelle supplémentaire de cette semaine de fin janvier début février où j'ai été si violemment enrhumée puis tousseuse, quelque chose d'un équilibre n'est pas d'équerre depuis.
(2) Sur le moment j'ai cru à un accès d'incompétence de ma part (par profession je suis censée être avertie des phénomènes éditoriaux, que je les goûte, conseille ou non), mais toutes les personnes auxquelles j'ai posé la question ignoraient qui elle était (soulagement).
(3) Il m'est arrivé parfois d'entrevoir par là quelques apprentis prometteurs, mais là, non.
(4) Et du coup j'ai peut-être gavé tout le monde. Comment savoir ?
(5) Je tiens à préciser ou plutôt me sens désormais tenue de préciser que je n'utilise pas cette expression dans le sens que lui donne Édouard Louis. Pour moi il s'agit simplement de dire celui qui partage encore la vie quotidienne, les choses de tous les jours, de la maison et qui aide en partie pour partie des corvées. Entre autre, le dimanche soir il prépare le (bon) dîner.