Allo allo mais c'est chaud
366 - Aujourd'hui Livre posé

Petite prise de conscience mais grandement tardive

 

Mon inscription à la BNF date de l'été 2010. Je m'y suis aussitôt sentie bien, à quelques inconvénients près 

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J'ai pensé, et ça reste vrai, que c'était le mélange bois et béton, ainsi que la présence d'arbres et bien sûr que j'accédais ainsi enfin à une forme, certes collective mais merveilleuse de documentation, de Chambre à soi, qui me valait ce bonheur. Comme bien des familles, et plus encore en grandes villes où le logement prend vite la moitié d'un budget, nous n'avons pas de pièce dédiée pour se retirer écrire ou étudier.

Trop vite pour mes chantiers d'écriture, presque trop tard pour les finances familiales, un travail salarié m'a rattrapée et je n'ai plus pu venir que les lundi et vendredi. C'était déjà bien. 

Au fond je n'y viens pas davantage depuis mon récent chômage, occupée que je suis à tenter de trier ce qui doit l'être depuis des années dans l'appartement. L'absence de contrainte horaire extérieure fait que c'est le moment ou jamais. Il y a toujours plus de choses à faire que de temps à y consacrer. 

Au bout du compte, un nombre de jours assez honorable (environ 350 ?) de fréquentation en 3 ans 1/2, tourmentés par ailleurs mais si heureux de cette habitude là.

Il aura pourtant fallu ma lecture du livre de Sylvain Pattieu, "Avant de disparaître" et qui donne la parole aux ouvriers de PSA Aulnay alors en train de fermer, et qu'il me remette dans mon milieu social d'origine, qu'il me remémore d'à quel point certains éléments, pas tant des façons de parler que des modes de pensées, quand on vient de là où l'on travaille le fer, l'acier, le minerai ou la terre, de là où l'on met au moins au départ les mains dans la boue ou le cambouis, c'est pour la vie, pour qu'aujourd'hui à l'instant où j'accédais à hauteur du jardin, je comprenne enfin : si je me sens si bien ici, c'est qu'il s'agit d'un endroit neuf. Pas un de ces bâtiments somptueux, que je peux au demeurant trouver très beaux - et comme elles sont splendides ces vieilles bibliothèques, les lieux de la rue de Richelieu, la bibliothèque Sainte Genevièvre, les vieux lycées parisiens ... - mais qui m'intimident toujours un peu, non, un lieu sans (longue) histoire, un lieu où je ne suis pas écrasée par le poids de générations de gens des classes dirigeantes dont mes aieux n'étaient certainement pas.

Et ça m'est revenu que mon choix d'études scientifiques, si tant est que j'eusse pu opter pour des études de journalisme ou de cinéma - inenvisageable à l'époque dans mon cas - pour la faible part où j'eus mon mot à dire tenait d'une forme de conscience que dans les domaines littéraires ou artistiques qui auraient pu également m'attirer, je manquais d'un fond historique, de transmission par mes aînés, pas de bibliothèque de référence chez mes parents (1) dans laquelle avant l'ère de l'internet j'aurais pu puiser. Alors qu'en maths et en physique tout le monde était à égalité : c'était la capacité de piger et la force de travailler qui s'y jouaient. J'avais d'excellentes notes en français, et sauf au bac (le jour du) en philo. Mais elles me paraissaient des coups de bonne fortune et je n'avais personne à qui poser certaines questions chez moi (sauf en latin, que mon père apprenti curé avant que la guerre ne l'en sauve avait longuement pratiqué).

Je me suis sentie soudain profondément touchée qu'il existe un lieu au moins dans la ville où je vis où il m'était possible de venir travailler à égalité avec le monde entier. Un lieu qui ne dit pas à ceux qui viennent d'ailleurs géographique ou social, OK on vous tolère mais vous n'êtes pas d'ici. Pour un peu j'éprouverais presque une forme de reconnaissance envers François Mitterrand (2).

Et toujours une si grande gratitude envers celle qui m'a incitée à m'inscrire et m'en a donné la possibilité. Car s'il est vrai que l'endroit est favorable aux personnes telles que moi, persistait en moi cette forme de blocage (3) qui consiste à ne pas même imaginer que si on le souhaite on peut avoir accès. (Je me répète avec mes mercis, je sais, tant pis).

 

(1) Mais des livres quand même : tous les Agatha Christie, mes livres pour enfant (bibliothèque verte essentiellement), et une collection de rééditions à fausse belle reliure et mal fagotées mais qui avaient le mérite d'exister de grands classiques (Dumas, Chateaubriand, Balzac etc.) à bon marché, plus une courte série de romans à tranche blanche que ma mère m'avait interdits de toucher (j'ai tellement bien obéi - elle avait du me dire qu'il s'agissait de romans sentimentaux ce qui pour moi était dissuasif (dans ma tête = à l'eau de rose) - que j'ignore même de quoi il s'agissait), un Petit Larousse du début des années 1960 (à l'époque c'était récent) et une encyclopédie Quillet en quatre volumes. Ma mère (et moi, mais qui n'habitais plus là) nous sommes mises à la littérature contemporaine d'un certain niveau seulement par après. D'où qu'elle détient à présent une honorable bibliothèque.

(2) Au sujet duquel j'avais à la base la même opinion que celle mon ami Nicolas exprime en apparté dans ce billet : Tu me phatiques ! , lequel mérite le détour pour bien d'autres raisons. 

(3) Et social et féminin. Ah, cette capacité infinie à s'autolimiter à force d'avoir intégré les bornes que les siècles précédents ont imposé à nos aïeules.

 

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