Les oloés à Simone
24 janvier 2014
Sur les conseils avisés d'une amie qui déjà plus d'une fois m'a tirée de mauvais pas, j'ai dans l'idée d'enfin m'extraire du marigot de désarroi dans lequel je patauge tous ces derniers mois à cause de la désinvolture d'un saligaud de l'oubli, entrepris de lire (ou relire (1)) les écrits de Simone Signoret.
C'est quelqu'un que j'ai toujours admiré, un peu comme j'admire profondément Siri Hustvedt : la plupart des gens se pâme ou pâmait devant leur compagnon, quand pour moi ce sont elles qui devraient compter, du moins pour le domaine professionel qu'ils partagent ou partageaient.
J'ai souvent eu l'impression, peut-être fausse, que leur travail à elles auraient été davantage mis en valeur si elles n'avaient pas été dotée d'un homme de leur vie si encombrant. Et qu'à l'inverse s'ils n'avaient pas l'un comme l'autre rencontré cette femme exceptionnelle et structurante, ils seraient restés dans leur art un niveau en dessous que celui qu'ils ont atteint. Après, bien sûr, il y a quelque chose de l'ordre de l'excellence entraînante, et de la compréhension mutuelle des difficultés lorsqu'est le même le métier qui est irremplaçable et crée soutien mutuel. J'en sais quelque chose de ne pas l'avoir, ou plus.
"Le lendemain elle était souriante" est le premier opus qui me soit (re)venu en mains, maladroit du point de vue littéraire car il mélange des niveaux de récit et d'écriture trop disparates, même si le fil conducteur qui pourrait être résumé par "comment écrire un diable de bouquin qui raconte sa propre vie quand elle est déjà bordel de bien remplie" ne nous quitte pas. Mais fichtre intéressant du point de vue humain et porteur pour moi de quelques clefs (2). L'amie n'avait pas tort, au delà-même de ce qu'elle pensait.
Dans les pages d'après le corps de l'ouvrage, au delà du mot "FIN" si soigneusement daté, outre une fort belle lettre de Maurice Pons (tiens, Maurice Pons), figure une liste des tables sur lesquelles la femme qui écrivait a posé sa lourde machine (3). Et ce sont d'autres oloés, en fait, ceux d'une femme suffisamment bien installée dans la vie et généralement logée même lors des itinérances de son métier principal (4) pour ne jamais manquer d'une chambre à soi, mais suffisamment prise par l'arrachement de l'exercice pour devenir attentive au meuble de support, ainsi qu'à ses différents états d'ordre suspect et de désordre bouillonnant (décrits dans d'autres passages).
Voilà en tout cas une très jolie piste de réflexion, avis aux camarades (5).
PS : Comme toujours, syndrome de l'autodidacte, je sens que tout le monde va me dire que c'était archiconnu. Je suis une grande réinventeuse d'eau tiède et inlassable découvreuse de talents confirmés (6).
(1) Tant de temps a passé j'avoue que je ne sais plus si à l'époque de leur sortie je n'avais pas lu l'un deux.
(2) Entre autre des croisements communs et une pièce d'élément de réponse à ce deuil qui m'étreint de façon trop forte par rapport à notre absence de lien (direct), et dont je me dis que comme pas mal de ces énigmes qui traversent mon existence un jour viendra où la clef m'en apparaîtra, et je dirai Bon sang mais bien sûr et m'en voudrai d'avoir mis si longtemps à piger quelque chose qui était dans ma mémoire ou sous mon nez.
(3) Le texte a pris de ce point de vue là un grand intérêt technique : comme elle y décrit les difficultés très concrètes auxquelles elle est confrontée, on apprend ou on l'on revoit ce que c'était que d'écrire à la machine et combien le traitement de texte aura révolutionné nos vies d'écrivants. J'avais pour ma part oublié le problème crucial de la fin de feuille.
(4) Sauf une fois à Amiens, une chambre trop petite pour qu'une table y tienne, mais alors on lui prêtera en contrebande une autre pièce (très beau passage que ce récit-là).
(5) Chez Anne Savelli pour récapituler, "Oloés du monde entier".
(6) L'expression est, je crois, de mon ami Jean-Marc un jour qu'il s'en moquait.