Des rhumes et d'un canard (sauvages)
31 janvier 2014
D'accord il y avait eu cette pénible "crève de cinq heures" en décembre qui me laissait l'esprit (et le nez) libre en journée et pendant environ cinq jours me tomba dessus tous les jours à l'heure du thé et me gâcha copieusement les soirées. Mais au fond ce n'était rien.
Le vrai rhume de cet hiver, voire d'une force quinquennale, j'en ai heureusement très rarement des comme ça, je viens de me l'attraper cette semaine, avec quatre jours de fortes fièvres - elle n'est réellement tombée qu'hier soir en rentrant, ne baissant depuis lundi que lorsque je me truffais de paracétamol et autres secours, remontant au bout de trois heures, me laissant même une nuit absolument trempée de sueur et secouée de grelottements -.
Ce qui a été particulièrement étrange, c'est cette capacité qu'il a eue de me saisir d'un seul coup, tout juste au retour dimanche matin d'avoir couru, ai-je eus quelques toussotements. Puis au cours de la belle représentation théâtrale à laquelle j'assistais dans l'après-midi, quelques tentatives de toux, vite réprimées. Le nez qui un peu reniflait mais je me suis simplement demandé si je n'avais pas un peu pleuré. Rien de décisif ou suffisant pour m'alarmer.
Il s'agissait du "Canard Sauvage" d'Ibsen au théâtre de la Colline. Quelque chose dans la pièce n'était pas sans humour, ou qui portait à rire car les us et coûtumes ont quelque peu changé (ouf pour les femmes) depuis 1884, et que ce qui pouvait paraître scandaleux et répréhensible alors (qu'une jeune bonne soit considérée comme bonne à tout faire au sens littéral par son employeur) l'est désormais d'un autre point de vue, à savoir qu'au moins la femme n'est plus tenue coupable des privautés à son encontre exercées (1), ni tenue pour pécheresse quand c'est l'homme qui a quelque chose à se reprocher. Certains passages paroxismiques de la pièce peuvent alors de nos jours être perçus comme tirant plutôt sur le comique alors qu'ils furent peut-être écrits sur un mode de drame strict. J'avoue qu'à plusieurs reprises en entendant le public rire moi incluse (2), je me suis posée la question.
La mise en scène plutôt intelligente, en tout cas qui n'était pas décevante comme parfois peuvent l'être celles du théâtre contemporain qui se croient obligées d'en rajouter par rapport au texte afin d'y mettre une patte actuelle, parfois bienvenue, souvent calamiteuse (3), jointe à une interprétation de grande qualité donnait un bel ensemble. J'étais heureuse d'être là.
Mais il se trouve que le personnage d'Hedwig, l'adolescente que son père soudain rejette pour un motif qu'elle ignore, m'a profondément touchée. D'une part il était joué avec une crédibilité impressionnante par Suzanne Aubert (4) qui avait quinze ans, l'adoration affectueuse que l'on peut avoir (si, si) ado pour des parents qui se montrent attentifs et bienveillants et qu'on aimerait les rendre heureux en retour, parce qu'aussi dans sa tête on se sent un peu grands et qu'on voit bien que maman est triste, qu'elle travaille trop, et ce pauvre papa dans la difficulté lui qui a de grands rêves pour un quotidien si restreint.
D'autre part ce moment où son père la rejette soudain alors que de son point de vue personnel rien n'avait de raison de changer, ce sont des choses que les adultes entre eux se sont dites qui ont modifié la perception de son père mais elle n'a rien, strictement rien à se reprocher, m'a fait violemment revenir les souvenirs d'une rupture : l'homme avait rencontré quelqu'un d'autre, je l'ignorais, mais voilà qu'à mon égard il avait totalement changé d'attitude, prêt à la dispute pour un rien, au bord de l'invective, me reprochant mes habituelles attentions que la veille encore il semblait apprécier. Et comme la gamine vis-à-vis de son père je m'étais retrouvée à gémir Mais qu'est-ce qui t'arrive ? Mais qu'est-ce que j'ai fait ? (5). Ce désespoir de la désaffection brutale sans cause apparente, je ne le connaissais que trop. Je l'ai même connu à plusieurs reprise, une fois aussi en grande amitié. À vous donner envie de mourir ou de chanter Bourvil.
Ceux qui m'aiment seront contents que j'aie choisie à chaque fois la seconde option. Ce que c'est que de connaître le répertoire ...
Il est évident que ma faiblesse de cette fin d'hiver vient d'un chagrin qui traîne, des tracas du désemploi et d'avoir voulu en ces décembre et janvier en finir à toute blinde sur un de mes petits chantiers d'écriture afin de pouvoir avant de trouver de l'embauche entreprendre la tournée des refus, j'ai commis une erreur de jeune, présumer de mes forces. Et que s'il m'a fallu quatre jours de fortes fièvres avant de dégager cette petite saloperie de saison ça n'est sans doute pas étranger à cet étrange surmenage de chômeuse, quand c'est rentière qu'il faudrait.
Mais la soudaineté avec laquelle ce rhume-ci m'a attaquée se coucher un soir dans un état normal se réveiller tousseuse, cracheuse, éternueuse, fièvreuse au lendemain, pas même pouvoir tenter de résister un brin à un mal de gorge qui s'installe, à des petits atchoums ponctuels, à une légère gêne respiratoire, n'est peut-être pas étrangère au fait que les acteurs jouaient trop bien, une pièce réussie.
Notez que je ne leur en veux pas. Et ne regrette en rien.
J'ai seulement pris trop parfaitement conscience de la violence que certains m'ont faite et que contrairement à ce que mon naturel scrupuleux me pousse toujours à croire, il n'était pas exclu que je n'y sois pour rien, fors d'être comme la gosse de la pièce, trop simplement désireuse que ceux que j'aime aillent bien (6), et désaimée pour une raison extérieure que j'ignorais et à laquelle je ne pouvais rien.
Notez aussi qu'à vous autres, la pièce rappellera probablement tout autre chose, peut-être même simplement d'être allés un jour guetter dans un gabion le passage des canards avec votre oncle Eugène, ce fieffé chasseur, et que si vous n'êtes pas allés courir 7 kilomètres dans l'humidité parisenne de janvier le matin même, vous n'en reviendrez pas enrhumés.
Mais enchantés.
(ce que j'ai aussi été)
(1) Même si au vu des derniers développements de l'actualité, il semblerait fort plausible que d'aucuns prétendent qu'avec son petit costume de soubrette elle l'avait bien cherché.
(2) Un rire un peu étrange, à deux temps : la séance était pourvue d'un dispositif particulier pour les personnes qui voyaient mal ou pas avec programmes en braille et sortes d'audioguides qui je le suppose devaient décrire à mesure des scènes la part visuelle de ce qui s'y déroulait. Le résultat donnait quelque chose comme lors des rencontres littéraires avec un auteur étranger qu'une partie du public comprend en direct et qu'une autre doit attendre la traduction. D'où que les rires parfois étaient en légère stéréophonie désynchronisée. Eussé-je été actrice, j'aurais trouvé ça un peu difficile ; je crois que les réactions d'une salle aident à se caler, même si le gros du travail n'en dépend pas.
(3) L'option "Assumons que ce texte nous vient du passé" semble être devenu totalement indisponible. De même qu'à l'Opéra. Souvenir d'un "Simon Boccanegra" à Bastille dans lequel la mise en scène faisait ... mal aux yeux (à force d'effets ci ou ça pour pimenter tout d'ultra-contemporain). Souvenir d'un réjouissant "Noces de Figaro" qui ne faisaient pas leurs malignes, classique, d'époque, bien interprété, ce qui aidait au voyage. Et que j'en venais presque ponctuellement à apprécier Mozart davantage que Verdi.
Quelques mises en scènes récentifiées, parfois m'ont paru belles ou porteuses de sens, je n'y suis pas opposée systématiquement. C'est simplement que lorsqu'une œuvre tient la route, seule, il semble inutile de trop en rajouter dans le décalé et le back to the future incontournable.
(4) Laquelle était tellement prise qu'elle eut un lapsus créateur, disant dans la confusion qui saisissait son personnage exactement ce qu'une ado aurait bafouillé, perdue. J'espère que "l'erreur" aura depuis été validée car elle ajoute une part d'intense authenticité. Après, peut-être que les personnes du métier ne voient pas ça comme ça, ce n'est que le point de vue d'une spectatrice, elle-même prise par ce qu'elle voyait.
(5) La gosse de la pièce beaucoup plus futée que la moi d'en vrai qui envisage assez vite une hypothèse très proche de la réalité d'en faux.
(6) Le gros problème étant que quand on est comme ça, on nait, on est comme ça et l'on n'y peut trop rien. Même qu'on doit se faire violence plus tard, quand surviennent les malheurs de retour à ceux qui nous ont peiné, que c'est tout simplement bien fait pour elle ou lui.
PS : J'ai eu l'air de parler de théâtre et de canard dans ce billet mais en fait tout ça c'était pour dire que si j'ai été enrhumée lundi et malade toute la semaine ce n'était pas d'être allée dimanche après-midi manifester sous la pluie, surtout pas.