Si je gagnais
21 décembre 2013
C'est cet article qui m'est revenu en tête en lisant cet entrefilet dans le Canard Enchaîné de la semaine.
Un Canadien vainqueur d'un très gros lot mais qui n'avait pas particulièrement besoin d'argent, après un long temps de silence et parce qu'apparemment il ne pouvait persister dans l'anonymat, a décidé "en accord avec ses enfants" de verser la somme à des œuvres de bienfaisances.
Ça m'a remonté le moral de lire ça.
Ainsi donc tout le monde n'est pas contaminé par cette fausse valeur qu'est le fric mais sans laquelle hélas il est si difficile de survivre, de vivre, d'avancer.
Je me suis vaguement demandée ce qu'à sa place je ferais. Il y a un volet pour moi évident : je liquiderai les petites dettes qui depuis bientôt 5 ans d'écriture dont une partie comme libraire à temps partiel se sont accumulées. Je m'arrangerais pour faire quelque placement autant que possible éthique (mais je suis très sceptique sur ce que proposent les banques sous ce genre de label, un peu comme pour les produits bio) qui me garantisse cette rente mensuelle dont pour vivre au quotidien là où je suis (1) dont j'ai besoin pour écrire l'esprit libre. Je garderais l'anonymat et je me tairais autant que possible (2).
Néanmoins rembourserais au centuple et si possible en exauceant leurs rêves les amis qui m'ont aidés et m'aident en ce moment aux heures de difficultés. Ce qui risque d'être compliqué en gardant le silence (non, non ce n'est pas du blanchiment ;-) )
Mais pour le reste.
Mettre ce qu'il faut de côté pour la période de très grand âge de ma mère, je vois venir avec effroi le moment où elle perdra son autonomie et où je serai bien incapable d'aider à payer quelque placement que ce soit - si tant est que je lui survive, bien sûr -.
Mettre mes enfants à l'abri du besoin mais pour après ma mort, qu'ils puissent en attendant vivre une vie normale, dans laquelle contrairement à l'heure actuelle je pourrais les dépanner en cas de besoin, mais qu'ils aient quand même à se confronter au principe de réalité et d'utilité encore quelques années. Ça aide à acquérir de bonnes bases et préserve de certaines dérives.
Me border, ainsi que leur père, en vue des prochaine étapes de nos vies qui peuvent être d'ici à 20 ans, et c'est très court 20 ans, la dépendance, la mort, toutes choses coûteuses pour les restants. Prendre mes dispositions pour en cas de maladie incurable dégradante ou violente dans les souffrances pouvoir aller mourir sans crainte et dignement là où on l'autorise (3).
Faire refaire l'électricité dans l'appartement, car notre installation est dangereuse, refaire la salle de bain comme elle était avant notre installation (4), faire faire toutes les réparations qui s'imposent (chauffe-eau, fuites d'eau, plafond de la cuisine) et que le manque d'argent nous fait différer.
Bref des choses sérieuses, et rien qui changerait fondamentalement ma propre vie. Peut-être un séjour en Toscane, en chambre d'hôtes, et un pied-à-terre modeste et discret à Bruxelles, pour pouvoir retourner nager dans la piscine de mes rêves dès que ça pourrait, et voir souvent les amis que j'y ai. M'habiller sans complexe financier chez le boutiquier hypermnésique. Renflouer la maison d'édition de mon bien-aimé.
Et puis, cet entrefilet. Ces deux mecs virés pour avoir dit Non, qu'ils ne voulaient pas pour un job, sans doute en plus pas tant payé, mettre en danger irrémédiablement leur santé.
Alors je sais. Ça prendra le temps que ça prendra, mais si je gagnais un vrai gros lot monstrueux au loto je créerais une fondation ; il doit bien y avoir un moyen pour le faire en conservant une part solide d'anonymat aux yeux de l'extérieur. J'embaucherai un(e) assistant(e) pour tout ce qui relève du secrétariat et de la pré-compta et d'un peu plus que ça, la cheville ouvrière. Et puis aussi un(e) fin(e) limier(e) capable de se débrouiller dans le monde entier. Et quand je tomberai sur une information de ce style, je ferai en sorte que la fondation verse une compensation équivalente à ce que les gens auront perdu (ou par exemple une aide équivalente au salaire qu'ils touchaient le temps qu'ils trouvent un nouveau travail). Pour qu'au moins ponctuellement puissent s'en sortir ceux et celles qui auront eu le courage de dire non. De ne pas accepter le n'importe quoi qu'on leur aura imposé les croyant sans ressources ou endettés et donc à la merci de tout pouvoir abusif. Mais comme on ne peut pas même en étant devenu immensément riche aider le monde entier, et que changer le monde est un tout autre projet, qui nécessiterait sans doute de commencer par une sérieuse modification de la nature humaine, le critère d'entrée serait celui-là, ceux qui ont su dire non alors que dans l'immédiat ça les condamnait à de gros ennuis, mais qu'il en allait de leur intégrité, leur dignité, leur survie à plus long terme.
Par ailleurs je créerai une résidence d'écrivains (ou peut-être plusieurs mais séparées) dans des endroits accessibles à peu près en train mais qui n'ont rien de prestigieux ni de remarquables. D'anciennes villes industrielles par exemple. Des endroits avec le nécessaire mais rien de superflu et une bourse d'écriture permettant de tenir mais sans gras, et je sélectionnerai les candidats avec mon frère d'élection et peut-être l'assistant(e), en ne jugeant que sur la qualité de potentiel de textes fournis et la motivation d'accepter pour un temps les conditions de base offertes. Il n'y aurait aucune obligation simplement une limite de temps convenue au départ et non renégociable sauf ennuis de santé. Avec des possibilités de fractionnements pour ceux qui auront de jeunes enfants et des remboursement de frais de transport pour s'ils veulent aux week-ends retrouver leur famille. Mais le séjour de travail s'effectuerait seul(e) car c'est un service à rendre que parfois d'obliger.
Et puis bien entendu je continuerai à dépanner les potes comme je l'ai toujours fait lorsque c'était possible, mais pour ça pas besoin de gagner un gros lot, s'en sortir correctement au mois le mois suffit.
(1) La proximité de Paris, même une fois les murs payés coûte si cher.
(2) Je veux dire d'un point de vue administrativo-juridico trucs comme ça. Ne rien dire sinon ne me pose aucun problème.
(3) Vu comme c'est emmanché je sens que le gouvernement actuel va nous pondre un truc de b... molle en demi-mesure et qui fera semblant qu'on autorise la mort dans la dignité mais que dans tout plein de cas en pratique on en restera avec l'hypocrisie actuelle qui consiste à trouver la personne compétente pour aider en secret.
(4) Seuls travaux que nous avions faits ... et une erreur (mal conseillés, peu fortunés)