Un homme qui a changé ma vie
26 novembre 2013
J'apprends ce matin la mort de Lucien Neuwirth. Nous ne nous connaissions pas, mais il fait partie de ces hommes (et femmes) qui ont changé ma vie, et sans l'action desquelles je ne serais peut-être plus là pour en parler. La plupart de ceux-là font partie du corps médical (ceux qui ont mis au point les antibiotiques (auxquels je suis désormais allergique mais qui m'ont sauvée la mise plus d'une fois dans l'enfance), certains vaccins, la pillule contraceptive), certains de la technique (j'adresse chaque matin en allumant mon ordi un remerciement muet à tous ceux qui ont permis et l'appareil et sa connexion au monde et songe encore souvent aux concepteurs des réfrigérateurs et machines à laver le linge), mais celui-ci faisait partie des législateurs sans lesquels l'accès à certains soins aurait été impossible ou trop tardif.
Je sais que la bataille qu'il dut livrer, et pour grande partie contre son propre camp (il était conservateur, de droite, mais de ces gaullistes que les extrêmistes décomplexés que l'on a désormais nous font bien regretter - une droite décente et relativement sociale, moins axée sur le profit à tout prix et le mépris, des gens sûrs de leur supériorité mais traitant humainement le petit personnel s'il lui est dévoué -), fut homérique, qu'il fut en quelque sort la Taubira de ce moment-là (palsambleu que ce pays est rétrograde et qu'il est difficile d'en faire évoluer les mentalités).
Je sais que si j'ai vécu dans la sérénité mes premières amours et que si mes enfants sont en nombre raisonnable, la planète est surpeuplée, et venus parce que nous étions leur père et moi tout prêts à les aimer c'est en partie grâce à la lutte que mena cet homme-là. D'autres l'auraient sans doute fait tôt ou tard s'il ne s'y était pas dévoué. Mais le "ou tard" serait peut-être venu trop tard pour les femmes de ma génération.
Mes grands-mères ont mené à leur terme respectivement six et onze (ou treize !) grossesses, sont devenus adultes échappant à la guerre et aux maladies trois et sept de leurs enfants. Ces existences vouées à la conception et au travail familial sont assez proches de moi pour que je mesure l'importance du progrès accompli. Les deux grossesses que j'ai vécues m'ont suffisamment épuisée pour que je sache le prix de ce à quoi j'ai échappé. Le droit de disposer de mon cerveau et que toutes mes forces vitales ne soient pas tout au long de ma vie fertile happées par la reproduction et son service après vente qu'on tente d'ennoblir en l'appelant éducation.
Bien sûr et de nos jours il existe d'autres moyens de contraception efficaces (1), de gros progrès ont été faits quant aux DIU ; plus jeune de dix ou quinze ans et non équipée d'une permanente anémie, j'eusse sans doute opté pour cette méthode. Il n'en demeure pas moins qu'au vieux monsieur qui vient de quitter ce bas monde, je dois une fière chandelle, un accès à un soin malgré mon manque chronique de moyens financiers (2) et des moments de bonheur et d'exultation dépourvus d'appréhension.
Monsieur Neuwirth, merci infiniment.
PS : Davantage de précisions par exemple dans cet article du Monde datant de 1994 ou avant et joliment réactualisé. J'espère qu'il n'est pas réservé strictement aux abonnés.
(1) du préservatif seul, se méfier.
(2) Il y aurait sans doute eu moyen de se débrouiller pour ce procurer des contraceptifs mais il était important qu'une loi passe afin que l'usage, réglementé, plus sûr car encadré, puisse n'être pas trop coûteux (voire, les premières années totalement remboursé).