Autre surprise mais terrifiante celle-là
D'accord d'accord c'est de la publicité (mais je la trouve excellente)

Le tracas relatif

Alors qu'on discute sur l'autre chaîne des rapports compliqués entre maladie grave et travail,

d'une part parce qu'à de mêmes traitements certains réagissent en ne tenant plus debout (physiquement) alors que d'autres se dressent encore vaillamment (1) et
d'autre part parce que beaucoup ont un travail qui est un fardeau - c'est pour payer le loyer mais ce boulot n'est pas un choix, c'est un pis-aller, il est subi et fait peiner, ils ne se sentent pas défini par lui -, tandis que pour d'autres il est la colonne vertébrale de l'existence, sa justification, un accomplissement, quelque chose qui la justifie. Avec bien sûr toutes les nuances entre ces deux extrêmités. Un peu comme les gamins pour l'école, en fait,

il me vient en mémoire un bref échange dont j'ai été témoin hier soir entre deux hommes pas tout jeunes (2) que je ne connaissais pas mais qui semblaient de bons copains. 

Le local associatif où avait lieu les belles lectures auxquelles j'ai assisté comportait entre deux pièces plus grandes un couloir étroit et suivant le mouvement d'un endroit à l'autre je me suis trouvée toute proche d'eux.

Le premier (visiblement tout content) : - Oh [prénom prononcé d'un ton affectueux], ça faisait longtemps ! Content de te voir, dis-donc. T'étais passé où ?

Le second (tranquille, serein) : - J'ai eu quelques tracas de santé, mais là ça va ça y est. Je suis content de revenir.

Le premier pose une question muette avec les yeux : - (Ah bon qu'est-ce qui t'est arrivé ?)

Le second (exactement du ton où il aurait dit Un rhume) : - Un cancer du poumon. 

Il fait silence un très bref instant, j'ai l'impression qu'il cherche quelque chose d'atténuant à dire mais sans le trouver parce que c'est comme ça et pas autrement (mais j'interprète je peux me tromper. Seule certitude : ça n'était pas un silence de type Je cherche à faire mon petit effet), l'autre ne dit rien, et encaisse (Merde alors, j'ai failli te perdre, pense-t-il si fort qu'à deux pas je l'entends) mais, voilà, ne dit rien (Que dire ?).

Le second alors concède : - C'est vrai que ça a quand même été un peu long.

Et puis ils ont parlé de poésie, le premier respectant l'évident besoin de son ami de ne pas faire de sa maladie toute une maladie et de justement passer à autre chose, il est la pour ça, et on était tous là pour la poésie, d'ailleurs. Auprès d'un galopin de 95 ans, qui pétillait de plaisanteries et semblait pour le coup se porter comme un charme. Et si l'humour majeur était dans certains cas un facteur de survie ?

J'ai été très touchée par l'affection qu'ils se portaient, toute muette et un peu distante (s'ils avaient été proches la maladie de l'un aurait été connue de l'autre) qu'elle était.

 

(1) Je crains l'attitude qui consiste à dire, Je me suis secoué(e) faites-en autant. Non, la maladie et les effets néfastes de certains traitements sont plus forts que la volonté des plus héroïques. C'est comme face aux typhons, tornades et autres ouragans, sur le moment on ne peut que se planquer, et vite ; après, peut-être que votre maison sera encore pour partie debout et celle du voisin totalement à terre ou carrément volatilisée. Qui oserait alors dire au voisin Allons faites un effort, ça ne tient qu'à vous que votre maison soit encore là. De plus, tout le monde n'a pas un amour, une passion, un achèvement majeur, une extrême ambition à quoi se raccrocher. La maladie peut avoir pour effet de nous arracher à ce(ux) qui nous aidai(en)t paisiblement à tenir et nous rendre incapables d'assumer nos obligations. Comme l'écrivait tout à l'heure @tellinestory, "ras le bol des injonctions "souffrir selon les pointillés".

(2) Autrement dit : de mon âge, à peine un peu plus. Il serait peut-être temps que je me (re)mette en tête que je n'ai pas vingt-cinq ans. En fait je parcours ma vie à l'envers : j'ai été adulte enfant et je suis enfin jeune vieille.

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