Dialogue au dîner
La courte vies des (sacs) Papillons

D'une réticence quotidienne plus ou moins partagée (l'usage du téléphone)

 

Je ne sais plus si j'ai déjà ou non écrit sur le sujet, mais ce billet si bien mis en patates chez Martin Vidberg m'a rappelé une difficulté, une réticence que dans la vie quotidienne j'avais : 

Téléphonophobie

J'ai grandi dans un monde sans téléphone (sauf dans les entreprises et chez les gens riches), puis avec le téléphone rare, cher et très contrôlé par des parents dont le budget était limité. Quand j'ai pu disposer d'un téléphone fixe mais personnel, j'en ai fait quelques années un presque abondant usage : elles correspondaient aussi à la période dans laquelle après les études les amis s'établissent dans différentes régions et garder le contact passait souvent par là. Il fallait également satisfaire les parents, qui nous voulaient très présents. Ma famille d'origine (j'ai des cousin(e)s que j'apprécie) était dispersée de par ma bi-nationalité native (1) même. Et puis il y avait les appels cruciaux avec mon fiancé qui effectuait son VSNE au Burkina Faso et c'était si bon et si indispensable d'entendre sa voix, une fois par semaine, sauf coup d'état.

Une période de ma vie professionnelle durant laquelle mes fonctions d'informaticienne avaient vu une part "assistance" s'inclure, qui se faisait par téléphone, m'a vue passer beaucoup de temps sur cet appareil. Au point d'en avoir mal aux oreilles parfois, le soir. Et la gorge sèche d'avoir trop parlé. 

Presque simultanément sont apparus ou plutôt démocratisés l'internet, les messageries et les téléphones portables. Très vite je n'ai eu de ces derniers qu'un usage parcimonieux et ce n'était pas une question de forfait : ils étaient formidables pour les appels précis, utilitaires, les rendez-vous de dernière minutes, les retard de ligne 13. Parfois on pouvait même grâce aux textos s'appeler en silence.

Toute la part "appels pour prendre des nouvelles et en donner" a basculé vers les e-mails qui présentaient pour moi une foule d'avantages :

- ne pas avoir à articuler, vocaliser était pour moi un soulagement, je suis quelqu'un qui lutte sans relâche contre une perpétuelle fatigue et il m'arrive d'être mutique par épuisement. Écrire ne me coute que d'être assise à une table ou devant un ordi. 

- pouvoir communiquer à n'importe quelle heure sans déranger était formidablement pratique : en effet mes heures de liberté étaient essentiellement le soir tard une fois la journée de bureau accomplie et la deuxième journée de mère de famille bouclée. Or je suis d'une génération où un coup de fil passé 22h30 signifie : Un malheur est arrivé.

- comme Martin Vidberg j'ai les pensées plus claires, en tout cas moins confuses à l'écrit qu'à l'oral. 

- J'entends parfois mal ce que l'autre me dit, c'est mon côté "Professeur Tryphon". Il n'est pas lié à l'âge, jeune j'étais déjà comme ça. 

- d'une façon que je ne sais expliquer, "j'entends" parfois lors d'appels très intimes, des choses que l'autre ne dit pas, qui n'ont pas nécessairement à voir avec la conversation en cours et qui me révèlent des pans de son passé, généralement dont il ou elle ne souhaite pas parler soit qu'il ait joué un trop beau rôle soit un trop mauvais. Je me sens généralement très mal, sinon sur le moment (auquel cas je ne peux que raccrocher), du moins après. C'est comme si la communication téléphonique m'avait balancé en sus un paquet de données codées soudain en clair auxquelles je n'aurais pas dû avoir accès. Être la femme qui en savait trop n'est pas une sinécure.

 

Je n'ai pour autant pas de phobie, lorsque pour du travail ou une démarche seul convient l'appel, je l'effectue sans problème. Mais il me coûte un supplément d'effort. Lorsqu'il y a un enjeu affectif ou une urgence particulière, je sais appeler (2)

Quant aux sollicitations qu'évoque le billet, et plus particulièrement les appels commerciaux non désirés, il est évident que ma tendance immédiate est de couper par un "non" sans nuance alors que la même demande effectuée par message ou courrier a une chance d'être considérée et qui sait acceptée.

L'an passé à même époque j'avais rencontré un homme remarquable dans son métier. Nos échanges n'ont pas débouché sur un projet commun - dommage, je serai hors d'eau à l'heure qu'il est, au lieu d'au chômage -, mais ils m'auront beaucoup appris, offert un moment de grâce cinéphilique dont je me souviendrai toute ma vie et permis de comprendre ceci : pour nombre de personnes c'était le mail l'ennui et l'appel le plus facile et le mieux accepté. Lui préférait les coups de fil d'aussi loin que moi les lettres ou la messagerie.

Je lui dois de m'avoir rappelé que le téléphone permet, lorsqu'on aime (bien) la personne, d'entendre sa voix. Et d'avoir pris conscience par ricochet que lorsque je lis un message amoureux ou amical ou professionnel avec quelqu'un que je connais bien, j'entends sa voix me le dire à l'intérieur sans bruit.

 

(1) Et non administrative (je suis française) ce que je regrette un peu car mon identité réelle est partagée. 

(2) Cela dit lors de la dernière rupture subie, et alors que le bon réflexe eût sans doute été, si j'avais été assez fortunée, de bondir dans le premier train pour une explication directe (j'y ai pensé mais j'étais dans un rouge financier si foncé que la crainte de devoir rester ensuite sur place, trop brisée, et devoir payer en plus du train une nuit d'hôtel m'a bloquée - quelques jours plus tard une amie m'a proposé de financer l'expédition, Tu ne peux pas te laisser traiter comme ça, mais il était évident qu'après coup ça n'avait pas le même sens -) et le second bon réflexe de décrocher (même si on ne les décroche plus) mon téléphone. Cette seconde option ne m'a pas un seul instant effleurée. Du tout. Sans doute qu'une part de la désinvolture de mon correspondant venait de la connaissance de cette incapacité et que mon impécuniarité protégeait sa lâcheté.

Et j'ai écrit ... une lettre.
Maladroite et malheureuse.

"Y a des impulsifs qui téléphonent, y en a d'autres qui se déplacent" Théo dans Les Tontons

 

 

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