Les employés fatigués
13 octobre 2013
J'étais peut-être partie ce soir pour un billet personnel et pensif, partie pour remercier l'amie grâce à laquelle je peux poursuivre en attendant la fin du mois mes cours de danse malgré l'abonnement échu, mais qui était bien parti pour déraper vers la tristesse que c'est de n'avoir plus au sortir de celui-ci l'habituel petit message du bien-aimé attentif, ni non plus la présence de l'homme qui dort ou n'est pas là, lequel a quand même fait l'effort quelques fois (1). J'avais un peu songé à mes amis susceptibles de troubler du premier une apparition publique qui le réjouissait - hé oui, les temps ont changé - et que j'étais prête à dissuader : qu'y a-t-il à venger à part mon infinie naïveté ? Au premier déni, très vite, j'avais su certaines choses du passé, sans même l'avoir cherché. Mais une femme prise et bien prise a presque toujours cette présomption de croire qu'elle sera celle avec laquelle tout se passera mieux, que l'homme a tiré les leçons de ses errements précédents, qu'il a eu suffisamment peur au moins par deux fois d'être une sorte de meurtrier, qu'il se montre attentif désormais et que son étrange intransigeance à l'égard des femmes s'est calmée. J'ai été naïve et présomptueuse, je paie pour ces deux erreurs. Avant d'être décevant, le partant avait été secourable, et avec moi formidable il y a quatre ans pendant plus de huit mois. Après, tout était devenu compliqué : il semblait soudain avoir changé d'idée, ne plus me vouloir. Depuis la bonne distance n'avait jamais vraiment été trouvée. Se passer l'un de l'autre reste difficile. Surtout pour moi qui éprouvais plus qu'une simple amitié et cette attirance dont il ne voulait pas mais qu'il avait par ses mots, ses gestes et ses regards un temps suscitée.
Voilà tout. S'il y a une profonde blessure de confiance bafouée à panser, il n'y a, je le répête, rien à venger.
Donc oui j'étais partie pour ce genre de sombres réflexions, issues des peines à répétition.
Puis l'homme qui n'était pas là est finalement rentré au même moment que moi et restaient des courses à faire. Je ne souhaitais pas rester seule. Et depuis certains propos de leur patron, je cherche de bons spaghetti pour remplacer les Barilla que nous consommions habituellement. Ce n'est même pas que je cherche à participer à un boycott, c'est que depuis ses mots, bizarrement, je leur trouve un arrière-goût déplaisant. Donc autant aller voir dans l'hypermarché local quelles autres marques sont proposées (2). L'homme qui dort, travaille beaucoup (3) et n'est pas (souvent) là fait de gros efforts de consolation ; mais lui-même a du mal avec la vie, alors comment faire ?
La balade n'est pas désagréable tant que le temps n'est pas trop froid. Nous avons carressé un chat dont on se demandait s'il était libre et de rue ou bien échappé et désemparé. Il cherchait notre compagnie ; acheté aussi une bonne bouteille, j'espère tant avoir bientôt quelque chose d'heureux à fêter, et qu'à nouveau l'existence puisse avancer au lieu de n'être plus composée que de fins successives et subies.
Et puis au rayon charcuterie traiteur, étant les derniers clients, nous avons discuté avec les employés. Leur journée du samedi les avait laissés éreintés. Ils nous ont raconté la foule, la fatigue des pas de long en large et recommencer, cherché à estimer le nombre cumulé de kilomètres avalés. Un homme et une femme si différents, sauf peut-être d'âge, et que rassemblaient le boulot ponctuellement. Ils avaient décidé d'y mettre du leur pour que tout se passe bien, malgré les conditions, et de ne pas se laisser robotiser sans résister. La femme trouvait moyen conserver son humour, l'homme d'être pédagogue et nous montrer comment on peut faire pour tenir quand vient l'épuisement. Ils ne nous avaient pas adressé la parole d'emblée pour se plaindre mais parce que nous la leur avions, nous, adressée comme à d'autres être humains et non pas des robots coupeurs de parts de produits semi-frais. Et puis c'était venu, je crois, qu'elle n'avait pas coupé droit une tranche, avait présenté ses excuses et pas pu s'empêcher d'ajouter comme pour elle-même Je n'arrive plus à couper droit, je tiens plus debout.
Je me suis sentie profondément honorée de leur confiance : nous aurions pu être des cadres masqués, des clients-tests, quelqu'un destiné à les piéger ; de nos jours, hélas, ce sont des pratiques possibles et gare à eux si leur lassitude il leur prend la faiblesse de la touiter. J'étais juste une cliente, occasionnelle mais vraie, et me garderai bien de citer la moindre enseigne.
Ils avaient l'air en tout cas de bien s'entendre et leur efficacité en tant que coéquipiers leur avait sauvé la journée.
Ce n'est qu'après coup que j'ai pensé qu'ils n'avaient pas même au poste de caisse de quoi brièvement s'appuyer, ce qu'à la librairie on avait et qui permettait entre deux recherches en boutique de soulager les jambes. Ils s'appuient donc sur les avant-bras quand ils le peuvent au comptoir, malgré qu'il est bas. Pour soulager le dos aussi.
J'aimerais que dans tout travail l'on fit tester aux décideurs ce qu'ils ont estimé faisable par les autres, afin de les rendre dans leur chair enfin attentifs à l'ergonomie et aux effets de durée.
Quant à mes MGCP (4) du début du billet ils ont soudain été ramenés à une très relative importance.
J'aimerais pouvoir aider ceux qui travaillent ainsi, mais sans leur nuire à mon insu (5). Je ne suis personne d'influence ni de poids. Alors comment faire ?
(1) dont une parce qu'il avait les soldes à faire dans le quartier et qui de plus tombait mal car une amie consolait ma solitude ce soir-là. On s'habitue tellement au rien que lorsqu'il n'a plus lieu on est prise par surprise.
(2) J'ai trouvé des Sacla qui semblaient appétissantes. Quelqu'un saurait-il si cette marque dépend d'un groupe plus grand et si oui, lequel ? (parce que bon, si c'est une filiale de Barilla, j'aurais l'air fin)
(3) Je finis à nouveau par le croire. Il avait beaucoup fait pour m'en laisser douter.
(4) Méga-Gros-Chagrins de Privilégiée (sur le modèle des MPP d'Anita la Baleine)
(5) Sans doute qu'en théorie ils n'ont pas le droit de s'épancher vis-à-vis des clients. Écrire à la direction afin de relever que leurs conditions de travail sont, à moins d'être marathoniens, trop exigeantes risquerait même sans mentionner qu'ils (nous) ont parlé sans doute facteur pour eux de convocation pour un savon. Nos paiements par carte bancaire avec en plus carte de fidélité, peut permettre de tracer notre grief, et munis de la date et de l'heure, d'aller chercher des noises aux employés de permanence à ce moment.