Tout n'est pas si réfléchi (alors pour eux, tant pis)
30 septembre 2013
Ce sont deux choses qui n'ont au départ rien à voir, mais dont on parle sur les réseaux ces jours-ci.
Un patron d'une boîte de pâtes a décrété que les homosexuels n'étaient pas aussi dignes que d'autres de déguster ses spaghetti. Appels au boycott, infos contradictoires, rétractation (mais peu d'excuses et quand bien même : quelle sincérité ?), dérivation de la discussion vers la présence dans les produits de cette marque d'OGM ou non.
Par ailleurs, un musicien dont les drames de la vie ne sont pas sans rappeler ceux de Ted Hughes va sortir un nouveau disque et en plus d'une maladresse détestable dans la date initialement choisie, l'affaire fait grand bruit, entre ceux qui disent "On oublie" et ceux qui trouvent inique qu'il puisse continuer malgré les graves dégâts alentours à vivre la même vie (professionnelle).
Je suis une mangeuse de spaghetti et par ailleurs j'aimais autrefois bien le groupe dont le chanteur faisait partie.
Il se trouve que je suis un brin sceptique quant au boycott, d'une façon générale. Il faut vraiment être très très nombreux et tenir sur longtemps pour que ça soit efficace. Et puis les ricochets de la démarche, si elle l'est, peuvent faire d'autres victimes qui n'étaient pour rien dans ce qui nous mécontente, nous colérifie.
Il se trouve aussi que je suis pour empêcher les gens dangereux de récidiver, mais que je suis fort bien placée pour savoir qu'en matière amoureuse rien n'est plus difficile, on se laisse prendre si facilement et une fois embarquées dans des sentiments forts il est si dur de prendre ses distances - on se persuade si bien que d'accord, l'homme en question, a quelques choses très graves sur la conscience mais qu'on sera celle avec qui enfin tout se passera bien -. Je suis aussi favorable à ce que les gens aient droit à d'autres chances, seuls les créateurs de génocides méritent d'être traités sans humanité puisqu'à des groupes entiers de personnes ils l'ont, pour prendre ou consolider leur pouvoir, déniée.
(pour ne prendre que deux exemples dans ces domaines que l'actualité nous fournit ces jours-ci, mais je pourrais aussi parler d'un certain politicien jadis fortement compromis et qui tente un retour aux affaires ou de bien d'autres sujets où le même mécanisme est à l'œuvre).
Il n'en demeure pas moins que bizarrement, depuis la déclaration fracassante du patron homophobe, je ne trouve plus les "numéro 5" de sa production aussi bons. Que j'ai à présent envie d'aller voir ce que donnent les autres marques, alors que satisfaite j'étais restée fidèle depuis nombre d'années (1). Or cette impulsion n'est pas réversible, le type aura beau déclarer partout que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire, qu'il regrette, ce que j'ai capté m'a déjà détachée de sa marque. J'ai perdu jusqu'à la confiance en la qualité de ses ingrédients.
Et pour le musicien, voilà, j'ai beau me dire que sa nouvelle production est peut-être très bien, je sais que je ne pourrais pas l'écouter sans arrière-pensées, sans que ne soit présente, même fugitivement, l'image de ses fantômes. J'ai trop d'imagination, je le sais, mais voilà, je ne peux pas lutter. Alors entre son disque et tant d'autres, peut-être moins bien mais que je pourrais écouter sans surimpression des images d'une lutte, d'une chute, d'une autre fin prématurée, je vais choisir les autres car j'écoute la musique pour me détendre, danser ou me concentrer et j'aime autant qu'elle ne me ramène pas de façon insidieuse vers la tristesse du monde.
Débattre m'est inutile, car c'est le cœur qui n'y est plus. C'est sans doute un peu bête, mais le mal est fait. Et je ne suis sans doute pas la seule personne suffisamment primaire et insuffisamment cérébrale pour être incapable d'enclencher la marche arrière vers une mansuétude certaine, qu'on la juge souhaitable ou non.
Vos qualités, celles de votre travail, m'avaient donné de vous une opinion favorable. Je ne tenais pas à en changer mais vous l'avez perdue.
Je ne m'en réjouis ni ne m'en peine, ça n'est pas non plus de l'ordre d'un pardon, qu'on accorde ou non, c'est une constatation.
(1) Je fais partie de ses consommatrices vieille école qui quand elles trouvent un produit qui leur convient n'en changent pas, ne serait-ce que dans un souci d'efficacité. De toutes façons le marketing moderne fait disparaître les produits avant que je ne m'en sois lassée.