Désir désétiqueté
24 septembre 2013
Craignant d'être en retard chez l'efficace kiné, je me suis placée tout en bout de quai afin d'être plus proche de la sortie après cette correspondance. Des travaux sont en cours et le quai étroit. Un homme vient se placer près de moi. Grand, svelte, jeune d'allure (et peut-être vraiment, ses cheveux abondants, semblent sans tricherie). Il est en tee-shirt, l'été semble revenu. Ses bras sont musclés sans paraître gonflés, comme ceux de qui aurait un travail physique ou pratiquerait un sport régulier mais sans chercher l'apparence ; poilus aussi, mais sans excès. Il se tient droit sans rester raide, et attend la rame paisiblement, sans écouter de musique en boîte ni pianoter sur son téléphone. Son sac est une sorte de sacoche de facteur, pas neuve, ni non plus épuisée d'usure.
C'est en la regardant, parce que si je trouve son possesseur séduisant, c'est la beauté de l'objet qui m'a sautée aux yeux, que d'un coup je comprends : elle n'a pas de marque visible, c'est inhabituel de nos jours. Je vois alors qu'il porte de vieilles chaussures en cuir sans forme particulière, ni marque non plus. Son tee-shirt est blanc en coton. Il a noué son pull, un classique pull marin au sac. Pantalon de toile bleue sombre, porté de longtemps mais pas rapé, sans forme spéciale.
C'est alors que je pige : il n'était ni daté d'une mode particulière, ni griffé. Imberbe, il échappait même aux tendances du moment, variations de barbes brèves aux contours travaillés ou de moustaches qui sont si difficiles à porter avec grâce.
Et l'ensemble, justement, lui en donnait. Cet homme donnait précisément parce qu'il n'avait l'air de rien, rien de particulier, une belle et tranquille impression de liberté. Comme sur certains hébergeurs où il faut payer afin d'éviter d'imposer à nos visiteurs de la publicité, c'est devenu un art d'éviter de se faire le relais d'une griffe ou d'une autre. J'ai admiré l'artiste.
Il me semble qu'il s'en est allé prendre son tour dans la file d'attente de l'expo du moment, fondation Cartier. Difficile dans notre monde marchand d'échapper à l'omniprésence des sociétés privées très longtemps.