En marge du débat sur le travail du dimanche (la question des "faux choix")
Tout n'est pas si réfléchi (alors pour eux, tant pis)

Alors on danse

(billet écrit dans l'élan, non relu (pour le moment))

 

C'est une amie des cours de danse qui te sachant abonnée au Théâtre du Rond-Point t'a dit : Si tu ne l'as pas pris dans ton abonnement, vas-y vite !

Quand avec les camarades du ciné-club mais qui aiment le théâtre aussi, vous aviez sélectionné en juin vos spectacles pour l'année à venir, tu n'étais pas précisément dans ton assiette. Et puis tu avais des contraintes de travail qui rendaient difficiles un spectacle à 18h30 (1). Enfin tu as effectué des choix a minima : il fallait que le budget final reste ultra-raisonnable.

Donc "Swan Lake" n'y était pas.

Et puis ce dimanche tu t'es retrouvée seule et il ne fallait pas. Alors tu as écouté les conseils de l'amie danseuse. Un strapontin a fait l'affaire. La salle était comble. 

Tu avais bien compris qu'il s'agissait d'une adapatation débridée du "Lac des cygnes". Ça tombait bien : la danse classique, tu n'apprécies guère fort quelques exploits techniques masculins. La façon dont le corps des femmes y est standardisé, contraint, t'horripile, que tu trouves rarement gracieuse et plutôt étudiée à la base pour titiller la libido de vieux bourgeois du XIXème coincés. Tu supportes mal la vue de leurs bras maigres. Et comme tu es sensible dans certains cas à l'effet miroir (2), rien qu'à les regarder danser tu as mal aux pieds.

Tu avais plus ou moins capté qu'il s'agissait d'une troupe d'Afrique du Sud. 

Dès les premières secondes, tu as été saisie. D'essayer soi-même de danser, semaines après semaines depuis de longues années te rend capable de percevoir avec précision le niveau de difficulté de chacun des gestes, des enchaînements effectués. La chorégraphe a pris le meilleur du classique, le meilleur de danses africaines, le meilleur des grands maîtres (on croit deviner qu'elle apprécie le travail de Pina Bausch dont elle cousine par l'humour). Les danseurs sont également comédiens, avec des textes presque tous brefs fors un monologue explicatif spirituel et drôle qui résume en début de jeu tous les grands balets classiques. 

Captivée au point de ne me rendre compte que vers la fin qu'il était dit en anglais.

Tout le spectacle ainsi, d'un rythme soutenu précipitant le sourire et l'émotion avec un niveau de danse ahurissant.

C'est sans doute aussi un brin subversif - un pas de deux entre deux hommes est à tomber de beauté -, je ne m'en rends pas bien compte, tout était normal pour moi, mais sans doute était-ce très militant.

Et beau, et beau, et beau.

Crucifiée par tant de grâce, de générosité, d'humour et de beauté, je suis sortie de l'heure qu'il dure (3) et des dix minutes de standing ovation (4), en larmes et les jambes en coton. J'ai dû manger quelque chose, m'asseoir sur un banc, reprendre mes esprits avant de me sentir capable de prendre le métro pour rentrer.

Réconciliée au moins pour quelques heures (une soirée ?) avec l'humanité. Équipée à nouveau de l'espoir que tout n'est pas perdu (5).

(Et éperduement reconnaissante envers l'amie qui avait insisté afin que je fasse l'effort d'y aller).

J'aimerais savoir nommer les danseurs. Mais retenir leur noms est au dessus de mes forces pour l'instant. En revanche je n'oublierai pas : Dada Masilo, chorégraphe.

Et dèche ou pas, j'irai à chacun des spectacles qu'elle créera qui passeront à ma portée.

 

PS : C'est peut-être déjà tout complet mais si vous voulez tenter votre chance c'est par là. Je lis au passage dans le billet de présentation "La chorégraphe Dada Masilo n’a pas trente ans. Elle trafique toutes les armes de la danse classique, de la tradition africaine et des tendances contemporaines.". Voilà. 

 

(1) Entre temps la contrainte (hélas) a disparu.

(2) Par pour tout et j'ignore pourquoi. Par exemple je ne peux pas regarder de la natation synchronisée, je retiens trop mon souffle. En revanche la sexualité au cinéma me laisse impavide sauf dans de très rares cas ... ou on ne la montre en fait pas.

(3) L'intensité est telle qu'on a, à se le remémorer l'impression qu'il est beaucoup plus long. Sur le moment on est plutôt embarqués dans une faille spatio-temporel où l'horloge n'a plus de sens. Encore un coup de la mécanique quantique de l'état de grâce.

(4) Pourtant c'était le public du dimanche après-midi, plus naturellement porté à digérer le déjeuner dominical qu'à trépigner.

(5) Malgré une fin de ballet triste, mais c'est le fait même qu'il existe une chorégraphe pour l'inventer et des interprètes capables de suivre, qui était réconfortant. 

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