C'est un appel téléphonique adorable, reçu dans l'après-midi qui t'a remonté le moral puis soudain fait réfléchir (si, si ça t'arrive). Une amie te remerciait d'être venue la veille au soir (1) et puis elle disait J'étais heureuse de voir que tu allais mieux.
Effectivement, une confirmation administrative reçue dans la semaine est d'un immense soulagement, financier et aussi pour la couverture sociale. Précisément parce que ça ne va pas fort, tu le sais, tu le ressens, tu as peur que ton corps, délaissé, te lâche. Tu fais ce que tu peux pour compenser, il y en a même un qui essaie de t'aider, mais ça ne suffit guère et le chagrin qui succède à un chagrin qui succèdaient à un autre, les trois du même tonneau poursuit son travail de sape. Donc c'est important de pouvoir se dire : quoi qu'il advienne je ne vais pas ruiner ma petite famille en frais médicaux.
Mais l'essentiel reste sombre, l'été n'a pas permis, ou tu n'en as pas encore conscience, d'avancer dans la guérison, ou si peu. Tu restes par ailleurs triste du métier que tu as aimé exercer et qui semble déjà pour toi terminé. Celui avec qui tu travaillais te manque, c'est un plaisir de travailler ensemble lorsque l'on s'entend bien pour bosser - et rare, une excellente entente, de celles qui permettent l'économie de mots -.
Rien n'est gagné.
Mais voilà, même dans l'effondrement, à part il y a sept ans quand tu as failli y passer - et encore tu t'es contentée d'être profondément abattue, longtemps, mais l'interruption de travail, elle, avait été brève, tu étais redevenue opérationnelle rapidement, cachant les crises de larmes, les vacillement, tu assures. Tu assures ce minimum vital, les factures à payer, les rendez-vous médicaux à prendre, ceux avec les amis, tu ne fais pas défaut, tu es malgré un intérieur comme un parebrise fendillé, quelqu'un qui pense à rentrer par la gare pour prendre des billets en vue d'un trajet ultérieur pour un travail, tu mets le réveil à sonner et tu te léveras. Tu peux même faire rire, c'est (depuis toujours) comme ça.
Ton compagnon de (dé)routes, lui, en semblables cas, rate ses rendez-vous, gémit sans se soigner, reporte tout (sans que personne ne lui en tienne rigueur, il a ce pouvoir-là), au besoin s'énerve après qui se trouve là.
Celui qui ne fait désormais plus partie de ta vie, écrivait de longs messages de détresse, pleurant sa solitude et paraissant si fort te réclamer toi. Celle qui compta tant, l'amie la presque sœur, craquait ses échéances de travail, et tu tentais d'aider - d'ailleurs tu tentes toujours d'aider, tu ne peux pas t'en empêcher -.
Alors peut-être que c'est ça qui ne va pas chez toi : que ça ne se voie pas tant que ça, quand ça ne va vraiment pas, ou en tout cas pas plus que ta fatigue usuelle, celle qui n'est sans doute pas pour rien dans ton absence de séduction (2), et qu'alors quand vient le moment d'une exclusivité, amoureuse ou de très grande amitié, ils se disent que ce n'est pas trop grave si c'est toi qu'ils quittent, alors que l'autre personne ne s'en remettrait pas, leur créerait bien davantage de complications. S'ils reviennent vers toi, sois sans illusion : c'est que l'autre s'est lassée ou qu'ils ont à nouveau grand besoin d'être secondés.
Parce que toi, fors des maladies imbattables, tu tiens le choc coûte que coûte, tu ne pars pas en vrille, tu suis la traces de générations de femmes qui ont fait vivre des familles malgré les guerres et l'argent qui n'y était pas, que c'est intégré en toi, leur force, ta béné-malé-diction.
Alors qu'au fond tu ne souhaites plus qu'une chose, te réfugier au calme dans un endroit chauffé de l'automne au printemps et y lire, écrire, dormir en paix (3).
(1) Oui parce qu'il y a des gens comme ça au lieu d'accepter des remerciements pour l'invitation dont ils t'ont fait l'honneur, ils te remercient de l'avoir honorée #mondeàlenvers (mes amours sont calamiteuses mais mes amitiés assez formidables ; et d'ailleurs tu viens de passer une journée d'une douceur inouïe, protégée, privilégiée)
(2) Et qui très clairement participe du fait que tu n'es pas capable de te déguiser en pétasse pour les affrioler, ni faire semblant de ressembler à autre chose que ce tu es, ou d'un autre âge. Et puis tu as froid alors tu mets des pulls (épais).
(3) Aller nager et courir aussi parfois, il ne faut pas exagérer, et ça au moins ne dépend que de toi.