Les photos que je ne prends pas
09 août 2013
Je suis née paparazzo, c'est comme ça, je n'y peux rien. Dès gamine, dès le premier appareil (un petit Bereite, tout manuel, avec un objectif d'une qualité inouïe), j'ai documenté ce que je voyais. Aucune démarche artistique (mais celle de bien faire, si : trouver le bon angle, la distance optimale, l'éclairage favorable), un besoin irrépressible de pouvoir témoigner.
Si quelque chose d'inhabituel survient ma première réaction est de saisir l'appareil, je n'en suis pas fière, c'est plus fort que moi. Ça ne passe pas par le cerveau, du moins sa part consciente.
Quand celui-ci se met en route, il prend raisonnablement le dessus - par exemple s'il s'agit d'un accident appeler les secours tenter d'aider -. Mais le risque est grand que dans les mains j'ai l'appareil photo alors que le téléphone portable est encore dans la poche.
Il y a cependant des cas où je maîtrise ce bas instinct.
Certains moments magiques. Je les sens arriver et sais qu'ils seront si forts qu'ils me resteront gravés en mémoire. Que je pourrais revenir sur mon image mentale aussi longtemps que je serais moi-même, en regarder certains détails exactement comme lorsqu'on regarde une photo. Ne pas l'avoir prise m'a permis de les vivre avec une présence absolue (1). Un jour à La Rochelle je me suis placée à l'endroit qu'il fallait où je savais que passerait Juliette Binoche, dont j'admire le travail. J'avais raison elle est passée à quelques pas. J'avais l'appareil photo posé devant moi. Je n'y touchais pas. Nous avons échangé un sourire, qu'elle a sans doute totalement oublié. Mais je garde l'image du sien comme si j'avais pris l'image je ne l'aurais pas fait.
Certains moments terribles pour ceux qui sont concernés. Je fais volontairement l'effort de ne pas prendre de clichés. Ou alors il faudrait qu'ils puissent être utiles.
Ainsi aujourd'hui sur le chemin de ce qu'on va convenir d'appeler des vacances, par deux fois nous sommes passés tout peu après d'accidents graves : une voiture renversée en plein milieu des voies, sur l'autoroute A13. Une autre vers Carentan, plongée dans un fossé, les pompiers en train de procéder (tenter de) à la réanimation du corps extrait du véhicule salement esquinté. Je me suis interdit de prendre quoi que ce soit. Il n'empêche que quand j'ai repris un peu de maîtrise de soi - le deuxième accident à voir faisait mal -, je me suis rendue compte que j'avais l'appareil en main. J'avais maîtrisé de n'en pas faire usage, mais pas de ne pas le sortir de sa sacoche.
On se fait peur parfois.
(1) Rare chez moi, j'ai toujours des sortes de sous-programmes qui turbinent, un truc qui s'écrit, des songeries, des pensées surgissantes (si possible incongrues).
Je l'ai déjà écrit ici ou là mais je reste persuadée que le 26 décembre 1999 si je n'avais pas été malade comme un chien atteint de mal de mer (la variation violente de pressions je pense, bien plus que les agapes raisonnables que nous avions faites chez mes parents et qui d'ailleurs n'ont rendu malade personne d'autre), je serais sortie prendre des photos comme une canditate aux Darwin Awards. Et je me souviens que du fond de ma fièvre et nausées je pensais Il y a des photos extraordinaires à prendre et je ne peux pas y aller. La maladie m'a sauvée de ma stupidité.