Bad blonde
22 juillet 2013
On était un joli paquet à s'être fait piéger par les berges de Seine et le tour de France : en fait au moment où tu remontes des quais dans l'idée de prendre un métro, tu t'aperçois que les barrières sont mises en continuité et que la caravane passant, toi petit piéton, tu es prié d'attendre - et si tu traverses la Seine, c'est pareil de l'autre côté -.
C'était dimanche, la plupart des gens prenaient la contrainte avec bonhommie ou comme nous décidaient après tout de rester voir : la caravane était kitchissime (un summum, une perfection) et quand il passe, le peloton fait un bruit joli.
Ceux qui étaient gênés s'en allaient jusqu'au point de passage potentiel suivant (un grand carefour, un pont) et attendaient la prochaine autorisation de traverser. Les forces de l'ordre étaient tendues (entre les attentats de Boston encore récent et les débordements potentiels d'anti-mariage pour tous)
Mais voilà cette petite famille, des touristes en fait (sont passés à l'anglais lorsqu'ils se sont énervés) ne toléraient pas cette atteinte insupportable à leur liberté et, alors que les enfants étaient suffisamment grands pour patienter (1), ils ont décidé de traverser quand même. Grande et blonde, la femme a enjambé les barrières, se faisant bien évidemment aussitôt enjoindre de repasser de l'autre côté, hélant un agent en face (alors qu'un autre était tout à côté), demandant outrée Pourquoi on ne peut pas passer ? (il eût suffi qu'elle posât la question à quiconque se trouvait à proximité), obtenant une réponse courtoise, mais refusant de repartir.
Alors un type en uniforme, sans doute un peu plus chef que le tout jeune d'à côté est venu, a demandé à nouveau à la femme de repasser la barrière, question de sécurité, personne ne peut passer, elle a à nouveau protesté, du coup il a carrément donné un ordre sur le mode Pour qui vous prenez-vous, ça vaut pour tout le monde, le passage sera libéré après. Elle a obtempéré non sans lui tirer la langue (ce qui a fait que la piétaille alentour, d'abord interloquée par l'esclandre, s'est rangée du côté de l'agent de sécurité) et l'insulter ; le mari d'icelle est venu en rajouter une couche en anglais (sur le mode En France on est vraiment traités mal - ben en même temps vous l'avez un peu cherché -). L'agent (ou le CRS, j'avoue en uniformes ma crasse nullité) ayant obtenu ce qu'il voulait, qu'elle dégage de la voie publique avant le passage des véhicules suivants, a laissé filer ce qu'en d'autres circonstances il n'aurait peut-être pas laissé passer et les touristes, pour une fois sans privilèges, sont partis mâchonner plus loin leur rancœur.
Une femme à mes côté donnait raison à l'agent tout en constatant qu'il était passé un peu vite à un ton menaçant. J'ai pensé qu'il y a deux ou trois ans j'aurais sans doute perçu les choses comme elle, mais qu'à présent non : il avait tout simplement pigé à quel genre de personnes il avait affaire, celles qui dans la vie sont favorisées de partout et estiment que tout leur est dû. Il s'en trouve à l'occasion parmi mes clients. À la discussion la dame élégante et son compagnon auraient peut-être fini par prendre l'ascendant, or il avait une contrainte immédiate de temps, donc efficacité, quite à passer pour un rustre et puis d'abord ça leur fera les pieds.
Le pire c'est qu'elle aura quand même obtenu une forme de privilège : je suis prête à parier qu'une personne d'une autre allure pourvue d'un accent populaire, prononçant les mêmes mots, effectuant les mêmes gestes, placée au même endroit (2), ce serait fait embarquer au poste, au moins pour une mise au point.
Encore quelqu'un pour qui les lois doivent être sévères ... pour les autres.
Le gag c'est que 10 minutes environ plus tard, un temps mort ayant lieu dans le défilé des équipes, équipiers, équipements, un passage a été accordé à ceux qui attendaient au carrefour le plus proche. Il suffisait donc d'attendre (un peu) (patiemment).
À part cette anicroche, il y avait une bonne ambiance parmi la petite foule de ce côté-ci des ponts : coincés là pour la plupart par hasard (3) et qui s'étaient dit, tiens après tout restons : ceux qui s'y connaissaient un peu et expliquaient aux autres, le vendeur de bouteilles d'eau à la sauvette qui faisait son petit-business sans abuser, les surveillants courtois dès leur qu'on leur posait question en restant du bon côté, les touristes intrigués, le muret sur lequel nous étions, plus haut qu'il ne semblait (4), le fait de s'accorder une pause, une attente amusée, un imprévu parfait.
(1) Il ne s'agissait pas d'un bébé qui hurle par la chaleur ou la faim incommodé
(2) Cela dit, elle n'en aurait sans doute dès le départ rien fait : il faut être d'un certain milieu pour croire qu'on mérite une exception, qu'une contrainte de sécurité évidente (et non absurde comme on en voit parfois) peut s'appliquer à tous sauf soi.
(3) Les passionnés de vélos attendaient sur les Champs pour certains depuis la mi-journée (passage des coureurs vers 20h30 seulement)
(4) Schadenfreude : des jeunes femmes qui me voyant installée (avec un peu d'aide : j'étais en jupe un brin étroite) ne se posaient pas la question de la difficulté et puis Ah tiens si quand même. De ma vie de libraire je conserverai au moins ce plaisir que c'est que d'avoir enfin de la force dans les bras. Avant de l'acquérir, je n'imaginais pas que ça aidait tant que ça.