Ma première mort, sept ans après
Très étranges textos

Vie moderne (bis ou ter ?)

 

J'y ai pensé dès le matin mais ça restait flottant. C'est au soir dans le RER qui me raccompagnait de la BNF à ma banlieue, et alors que je lisais "Décor Lafayette" d'Anne Savelli, que le contraste m'a sauté aux yeux. Elle y évoque, entre une foule (sentimentale) d'autres choses qui méritent le détour et un moment d'arrêt, un film de William Klein tourné avec Simone Signoret aux Grands Magasins et qui interrogeait les passantes, venues là pour acheter des vrais choses de la vie quotidienne parce qu'en ce temps là "le grand magasin c'est encore le bazar, l'endroit où l'on achète sa serpillière, de l'élastique, une poêle à frire." (1).

Le contraste entre le monde de mon enfance, celui des serpillères aux galeries L. et la vie d'aujourd'hui.

Entre un temps où le téléphone n'équipait que les endroits professionnels ou les maisons des riches, puis les maisons des moins riches aussi, mais il fallait bien attendre le raccordement un an et demi auprès des PTT (2), et chaque appel coûtait, il ne fallait pas gaspiller, hors de question d'appeler uniquement pour se parler ; et ce matin où pour 15 centimes d'euros grâce à ma fidélité auprès d'un des nombreux opérateurs possibles, j'ai remplacé mon petit appareil personnel tombé en panne la veille. 

Et encore je reste vieux jeu puisque ma décision de remplacement si rapide est liée à une panne au moment où je risque d'avoir besoin d'être contactée rapidement, et non à l'envie d'avoir un modèle dans le vent (3). 

Mais la vie moderne à laquelle on n'échappe pas, veut qu'on remplace au lieu que l'on dépanne.

 

J'ai filé ensuite retirer dans cette grande enseigne jadis culturelle et trèe pointue sur tout ce qui concernait la photographie, désormais tout autant électroménagère, Erst kommt das Fressen, une place de théâtre achetée via l'internet la nuit précédente à une heure inavouable, une carte, une référence, une pièce d'identité, plus besoin de file d'attente à heures fixes à un guichet.

 

Puis je me suis glissée dans ce grand lieu d'étude, contrôle des sacs et des métaux, vestiaire réglementaire, carte magnétique d'accès, connexion internet filaire, casque aux oreilles pour regarder le document filmé demandé. Rien de tout ça n'existait dans mon temps d'enfant, où bien au pentagone ou autres lieux stratégiques. À présent n'importe qui peut avoir accès à des zones d'accès très contrôlées.

De retour après un trajet payé par le forfait de mon pass navigo, j'ai réchauffé quelques spaghetti au four micro-ondes, envoyé un SMS (un autre avant, du RER), en ai reçu un, écouté au casque sans rien qui ressemble à un disque, de sur l'ordinateur directement, un chanteur dont la mort, décidément, ne s'imprime pas pour moi. 

Il fait fort nuit pour poursuivre encore l'énumération et j'ai piscine demain, il n'empêche : à part me doucher, m'habiller, manger certaines choses simples, et lire encore en papier, peu de ce que j'ai fait aujourd'hui aurait été possible pour un adulte de mon âge au temps de mes cinq à quinze ans.

Or j'ai aimé ma journée. N'y manquait qu'une part d'amour, pour tout le reste elle fut intéressante, efficace, lumineuse, profitable au travail engagé.

La vie moderne est bourrée de contradictions, truffée d'absurdités, assez risquée pour nos santés, mais moins qu'une guerre déclarée. Il n'en demeure pas moins qu'elle a rendu nos existences bien plus fortes et vivantes, et libérées de certaines vaines contraintes. Je ne dois pas encore être trop vieille qui sais encore savourer les chances qu'elle sait nous donner. Mais juste assez sage d'âge pour savoir discerner le bon usage de l'emballement.

Pour le téléphone, le précédent en panne, je crois que je vais quand même tenter de le faire réparer. Je viens trop loin d'un temps où il ne fallait pas gâcher. 

 

 

 

(1) "Décor Lafayette", Anne Savelli (éditions Inculte p80)

(2) Je crois même que le deuxième T était alors pour Télégraphe, c'est dire !

(3) On disait ça aussi, être dans le vent. C'était bath.

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