"À boire"
31 décembre 2012
Comme dans mon souvenir
Comme dans mon souvenir
Le blog s'est aussi un outil formidable afin de se mettre de côté ce qu'on sait qu'on sera curieux de retrouver plus tard afin de le confronter à ce qui sera devenu la réalité.
Cet article de Pierre-Louis Rozynès me semble d'une grande justesse et lucidité, en plus que sa façon de résumer la différence entre liseurs et tablettes est de toute clarté ;-) :
Éteins ton livre, il est tard.
Je l'avais peut-être déjà croisé il date du printemps dernier, mais je l'ai retrouvé à l'occasion d'une conversation sur FB avec Matoo, au sujet d'un billet du blog Aldus sur les liseurs.
Rendez-vous dans plus tard, afin de voir ce que l'ensemble aura donné. Je le saurai peut-être au fait d'avoir entre-temps dû changer ou non de métier.
C'était je dirais au début des années soixante-dix. Les fins de mois avaient cessées d'être épouvantables pour mes parents et mon père n'était plus rendu fou de fatigue du cumul de deux boulots, c'était ces années où l'inflation n'était pas de pure hostilité envers les salariés dont les rémunérations étaient pour partie indexées - du moins en France (1), ça n'a pas duré -.
D'Italie, une de mes tantes ou cousine aînée (2) avait demandé puisque nous avions ce privilège inouï d'habiter Paris, ville si prestigieuse, si nous pouvions pour elle acheter un sac Vuitton, que bien sûr elle rembourserait.
Le premier réflexe de mon père avait été de dire Je te l'offrirai. Il n'a pas insisté quand plus tard il a vu le prix stupéfiant de l'objet.
Le premier réflexe de ma mère a été de dire : - Un sac quoi ?
Le mien de me demander quel sorte de sac ça pouvait bien être : je connaissais les sacs à mains, les sacs à dos, les sacs de couchages, les sacs à patates, mais que diable pouvait bien être un sac vui-thon ? J'imaginais aussitôt un sac à provision particulier, d'une absolue étanchéité et destiné aux jours d'aller chez le poissonier, histoire que la ménagère ne sente pas le merlan sur le chemin de retour au bercail.
Mon père a alors expliqué : - C'est une marque. Elle m'a dit qu'ils avaient un magasin sur les Champs-Élysées.
Puis avait décolé une de leurs sempiternelles disputes sur le thème Tu vas à Paris tout le temps dilapider l'argent du ménage (3), tu peux bien y aller pour rendre service. Ma mère protestant qu'elle n'était pas là pour satisfaire les caprices de snobisme des autres, et comment on va faire, avancer l'argent ? Ça va être hors de prix. Et puis comment savoir où c'est ?
Il est vrai qu'en ce temps-là, pas d'internet, pas même encore de minitel, j'ai l'impression que mes parents ignoraient l'existence d'un service de renseignements téléphoniques (ou la connaissaient mais craignaient qu'y faire appel ne fût horriblement coûteux) et les annuaires de la maison ne couvraient que le Val d'Oise où nous vivions.
Je crois m'être proposée pour aller chercher dans les annuaires de la poste. Le sac devait être pour quelqu'un que j'aimais bien, et je souhaitais couper court à la dispute. Comme d'habitude j'avais brillamment réussi à détourner les deux colères sur ma personne. Un moindre mal.
Ma mère, agacée a consenti à accepter, ajoutant un dédaigneux, Je demanderai à mes amies, qui aurait pu remettre le feu aux poudres étant donné qu'un autre grief paternel était que son épouse se prenne pour une bourgeoise et via ses activités sportives de femme au foyer fréquentât quelques dames d'un milieu social inconvenant pour une femme d'à peine plus qu'ouvrier.
Mais mon père s'était dit que l'essentiel était dans l'achat consenti et avait poursuivi sa colère sur un autre sujet, une fois la tempête lancée, il n'était pas immédiat de l'apaiser. Dans ces moments-là même ma petite sœur pouvait tomber dans le collimateur. Je tiens à préciser que mon père n'était jamais violent physiquement, il ne frappait pas, mais sa force présentait une menace, le fait de sentir qu'il se retenait au prix d'un grand effort, et ses colères des ouragans. Persuadée que je devais protéger ma pauvre petite sœur de la dynamique destructrice des parents j'étais la seule à m'opposer frontalement lorsque vraiment ils dépassaient les bornes. Et je me réfugiais dans le travail scolaire à outrance, c'était ce qui dépendait de moi, ce qu'ils respectaient, mon havre de paix. Il faut parfois se méfier d'une forme d'excellence scolaire, qui crie une détresse.
J'espérais vaguement que l'achat du sac serait l'occasion d'une expédition collective : ma mère, ma sœur et moi ; l'opportunité de découvrir un quartier que je n'avais fait que très rarement croiser. Seulement ma mère, comme pour compenser le dérangement, avait profité de la bénédiction du mari pour s'accorder un jour de liberté alors que nous avions classe. Je me souviens vaguement d'avoir pressenti quelque chose à la voir en semaine habillée en dimanche de ceux où quelqu'un vient - fête de famille, plus rarement collègue du père -. Elle avait dû se dire, non sans raison, que si elle entrait dans une boutique de luxe avec ses vêtements quotidiens on ne la prendrait pas pour la cliente que les circonstances faisait d'elle. Elle ignorait qu'il n'est plus fort marqueur de décalage social que le fait d'avoir l'air endimanché. Je l'ignorais aussi à l'époque et nous croyais sincèrement plus beaux avec nos "beaux" habits, lesquels de toutes façons devaient sembler minables à qui s'y connaissait.
Au soir la mère était de retour, le dîner de retard, mais l'excuse de marbre, Je suis allée chercher le sac pour xxx, mon père n'avait pas crié ; ma mère avait raconté son périple, les vendeuses méprisantes et surmenées, l'agitation, certains clients qui faisaient des achats énormes entre lesquels il fallait parvenir à s'intercaler, les prix qui stupéfiaient et qu'elle n'avait pas eu le courage de demander un paquet - mais après tout ce n'était pas un cadeau -. Elle avait ajouté qu'elle ne comprenait vraiment pas ce que tout ces gens à ces sacs-là trouvaient.
- Mais qu'est-ce qu'ils ont de spécial, ces sacs ? Je souhaitais comprendre, ma petite sœur, vive et curieuse de tout, voulait voir, alors ma mère avait précautionneusement entrouvert l'emballage, si soigné qu'il ressemblait en tant que tel à un paquet pour un cadeau, et nous avions découvert cette texture granuleuse, ce marron à nos yeux quelconque et les lettres enchassées dont je trouvais qu'elles gâchaient plutôt l'ensemble qu'autre chose.
- Mais, on dirait même pas du cuir !
Je ne sais plus qui de mon père ou moi avait poussé l'exclamation. Nous qui étions habitués aux doux contact des objets (sacs ou chaussures) de maroquinerie italienne et que nous rapportions de nos vacances, si agréables au toucher, si souples, étions incapables de comprendre que les Italiens apprécient cette texture granuleuse, lointaine et piètre imitation du matériau que nous trouvions beau.
Ma cousine ou ma tante avait été si heureuse de son achat par notre intermédiaire qu'il y eut d'autres demandes, pour d'autres personnes de la parentée ou de proches amies. Il y eut donc d'autres expéditions. Un jour la mode a tourné ou bien ma mère est parvenue à faire entendre que vraiment ça devenait trop ou mon père s'est rendu compte qu'ils n'avaient pas les moyens de faire les avances nécessaires - tout en ayant trop de fierté pour réclamer paiement préalable -, bref, un jour les expéditions Vuitton ont cessé.
M'est restée de l'expérience, le souvenir d'une dispute de plus, une solide indifférence des marques, pour moi définitivement rangées au rayon "on dirait des gosses à la récré qui veulent faire leur crâneurs" et complètement inutiles, sauf pour les stylos plumes (4), certains cahiers (5), les raquettes de tennis (6) ou les chaussures de foot (7).
J'avais oublié cet épisode pourtant symbolique d'un monde en train de basculer vers le consumérisme alors qu'en dehors des marques de voitures, il nous était longtemps resté totalement étranger, tout juste si on remarquait que telle lessive par rapport à telle autre avait un "meilleur" parfum. Pour le reste, on s'en foutait, l'essentiel était le produit ou l'objet et qu'il remplisse convenablement sa fonction.
Ce sont les commentaires après une photo de Nawal, celle dont la fin du monde est formidable, qui m'ont soudain fait revenir ce souvenir du sac en cuir qui n'y ressemblait pas.
(1) Je crois me rappeler qu'en Italie ils avaient quelque chose que les adultes appelaient "la scala mobile" et voyais bien chaque année qu'alors que nous nous enfoncions dans une nouvelle période très serrée, la famille prospérait.
(2) Phénomène courant dans les familles nombreuses et celle de mon père l'était : entre les enfants de mes oncles les plus âgés et ma sœur ou moi - filles tardives d'un puîné - , il existait presque une génération d'écart.
(3) C'était archi-faux. En plus que la plupart des expéditions de la lointaine banlieue vers Paris avait pour but ... de nous habiller chez Tati. Et le grand luxe alors était de faire escale le midi afin de manger un croque-monsieur dans une brasserie. Le deuxième grand luxe étant de prendre de l'eau gazeuse pour accompagner au lieu de l'eau du robinet.
(4) Entre Parker, Waterman et les ancêtres des jetables aux couleurs joyeuses, mon cœur oscillait. Je m'en faisais offrir certains jolis aux grandes occasions, qu'on me volait au collège ou au lycées dans ces moments où il nous fallait laisser nos cartables dans tel ou tel endroit sans pouvoir les surveiller.
(5) Gauchère qui souffrait d'être obligée d'écrire dans le mauvais sens, j'avais trouvé dans les Clairefontaine et leur glisse inhabituelle pour l'époque, un précieux allié. Grâce à eux je pouvais écrire aussi vite qu'un droitier dont le cahier grattait.
(5) Si tu as la raquette de Björn Borg, tu joueras aussi bien (peut-être ?).
(7) Certaines chaussures courent plus vite que d'autres, ce n'est pas Gilles qui me contredira.
Intéressante expo photos à la BNF, jusqu'au 17 février, à condition de ne pas trop s'attendre à des chefs d'œuvre, justement. J'ai un peu l'impression que le thème réel était "100 photos que par coup de chance on peut vous montrer".
Certaines sont inoubliables, certaines sont déjà archi-connues, par exemple l'enfant à la grenade de Diane Arbus, la plupart ne sont connues que par le nom du photographe ou le nom du photographié.
En fait l'expo est un curieux bric-à-brac d'images entre :
- celles, les plus nombreuses, dont l'intérêt est technique, expérimentations du XIXème siècle, images impressionantes de voyages parfois lointains et pour lesquelles on n'ose imaginer la peine qu'ils se donnaient à trimballer le matériel nécessaire, alors forcément fragile et volumineux. Des essais en extérieur, du matériel agricole, un paysage ;
- celles dont l'intérêt est la notoriété du photographe, par exemple ce Grand nu renversé en arrière de Man Ray (qu'on a connu mieux inspiré ; mais peut-être que pour un homme hétérosexuel en bonne santé cette image présente un certain intérêt) ;
- celles dont l'intérêt est la notoriété du photographié (à la mémoire et entre autre : une où figure Fernand Léger) ;
- celles qui sont d'authentiques chefs d'œuvre qu'on passerait des heures à contempler (ainsi une Sarah Bernardt dans un drapé noir) ;
- quelques bonnes images de street-photography à l'Américaine. Pourquoi ne pas en faire un thème pour une expo à part entière ?
- celles dont on se demandent pourquoi elles ont été sélectionnées (ainsi un paysage en noir et blanc de 1986, je n'ai pas compris en quoi résidait sa spécificité) ;
- celles qui à part pour les initiés ne présentent aucun intérêt : un "ciel rosé" qui n'est qu'une feuille rosée un peu en mode Mon imprimante était mal réglée : un nu microscopique sur un grand fond noir et dont il est précisé qu'il s'agit de la femme du photographe vue de dos, ce qu'on a cru sur parole. Je pense qu'elle était là pour faire sourire par contraste avec sa voisine, un nu féminin vu de dos mais d'une taille normale (l'auteur était connu pour ses "nus de grande taille" était-il précisé, ce qui par rapport au cliché voisin, n'était pas usurpé) ;
- Émile Zola.
Mon fiston, dont une bouffée d'envie culturelle était à l'origine du déplacement, posait les bonnes questions (auxquelles je savais assez peu répondre je l'avoue), et sa présence a fait de cette visite un moment épatant.
Il n'empêche que l'éclectisme échevelé de l'ensemble laisse un peu dans l'attente : on eût aimé peut-être des séries plus repérables, certains thèmes plus étoffés. En même temps l'aspect #WTF de l'ensemble est amusant, titille la curiosité, donne envie d'en voir et d'en savoir plus sur certains des photographes ou de leurs sujets.
Bref, un bon moment.
D'autant que j'y ai croisé comme par surprise Maman Woolf (1) photographiée par Julia Margaret Cameron et qu'une expo qui vous accorde un instant d'extase stupéfaite n'est jamais perdue.
PS : Il y a même une photo prise par Auguste Vacquerie, un proche de Victor Hugo et qui avant 1855 invente le concept du #Pitichat si cher @Tarvalanion.
(Ce qui au passage tendrait à confirmer ce que j'ai toujours pensé : Hugo à l'époque de l'internet trop comment il se serait éclaté, blogué son exil, touité ses succès ...)
Une sélection des images par ici (site Time Out Paris)
Un article d'Édouard Launet dans Libé et qui m'apprend qu' "éclectisme échevelé" et #WTF se disent "valorisés par une scénographie astucieuse" dans les milieux autorisés.
à signaler : gratuit si vous avez la carte d'entrée à la bibliothèque, totalement gratuit si vous avez moins de 18 ans et dans ce cas pas même besoin de faire la queue à la billeterie, sur votre air juvénile ou la présentation d'une pièce d'identité si l'allure offre un doute de majorité, le préposé à l'entrée de l'expo vous ouvrira le tourniquet. Sinon c'est 7 ou 5 € ce qui reste raisonnable. En revanche vu le nombre d'image dont le charge réside dans la technique ou l'ancienneté et pas dans ce qu'on voit, peu indiqué pour des enfants petits en plus qu'on est dans le noir et que les images sont à hauteur d'au moins 8 ans.
(1) sinon cette image-même, du moins sa cousine et une ressemblance frappante avec ce portrait-ci de celle de ses filles devenue écrivain.
Voilà, les bagues trouvées à la BNF la semaine passée sont déposées au vestiaire ouest, où il y a effectivement un registre mais rien qui permette d'enregistrer sérieusement le dépôt. J'attends éventuellement un mail qui me ferait mentir, et attesterait de celui-ci, mais en tout cas dans un premier temps, que vous rapportiez des objets de valeurs ou un parapluie c'est un peu la même chose.
Je viens d'apprendre l'existence du blog lecteur de la BNF et leur transmettre une annonce, mais ils vont peut-être répondre que ce n'est pas leur vocation de publier les notifications des objets trouvés.
J'aurais mieux fait d'imprimer un mot que j'aurais laissé dans les toilettes où ont été perdus les objets et qui aurait demandé de me contacter. Si quelqu'un se montrait assez précis dans sa description et les circonstances de la perte, il y aurait eu de fortes chances que ça soit la bonne personne. Il y aurait eu plus de probabilité qu'elle les récupère et sinon au bout d'un an et un jour, j'aurais pu profiter de mon "invention".
Bernard était plus qu'un collègue, pas tout à fait un ami, nous nous fréquentions peu en dehors du boulot. Au jour où pour des raisons bassement calculatoires, revenant d'un stage après un congé maternité, mais déjà très occupée au poste que j'y avais retrouvé, je m'étais retrouvée maillon faible théorique d'un service pour lequel on avait fixé au big big chef l'objectif de "dégraisser", j'avais fait l'objet d'une tentative d'intimidation violente (moralement) pour me pousser à partir. C'était mal me connaître, je suis nulle en attaque - je ne cherche pas noise à qui ne me fait pas tort - mais un warrior quand il s'agit de me défendre, surtout s'il s'agit indirectement de défendre les intérêts de mes petits. Mais dans un premier temps, le warrior, pris par surprise un soir d'une journée bien remplie à l'heure de tourner à la maison et cueillir l'un de ses enfants à la crèche, l'autre à la garderie scolaire, n'a su que résister sans s'effondrer ... pour appeler à l'aide à peine sorti du bâtiment. Et c'est Bernard que j'avais appelé. Qui avait fait ce qu'il fallait : me dire de passer chez lui, me présenter son compagnon (1), me faire boire un bon whisky, exposer l'essentiel de l'affaire, m'assurer de son soutien (2).
J'avais pu trouver les forces de rentrer chez moi. Bien dormi. Et étais revenue le lendemain bien décidée à défendre ma cause coûte que coûte. Bernard et ma responsable de l'époque m'avaient épargné cet effort : ils étaient première heure allés voir Big Big Chef afin de prendre ma défense : je bossais dur et bien, j'étais un élément solide, me virer était une erreur. Grâce à eux on m'a gardée.
(Quand certains me malmènent, que je désespère de mes frères humains, je repense à ce qu'ils ont fait pour moi et me dit qu'il existe quand même des personnes de qualité, des gens avec lesquels on pourrait travailler dans un réseau de résistance si besoin en revenait (3).)
Seulement voilà, quatre ans plus tard, alors que ma situation professionnelle, grâce à lui s'était stabilisée, Bernard disparaissait.
Il était celui qui avait aidé. Et moi je n'avais rien pu faire, rien vu venir non plus. Ce qui s'appelle rien. Ce décalage d'au bout du compte, une fois le temps passé, est quelque chose qui me laisse désemparée. Comme si celui qui aide une fois se devait d'être immortel - quelque chose comme ça -.
Pour Mario Ramos les choses sont plus diffuses, mais le malaise et la peine du même ordre. Je ne le connaissais pas personnellement. Mes enfants et moi faisions partis de ses lecteurs. Je ne l'ai croisé qu'une fois. Il s'agissait à Nanterre d'un très bizarre salon du livre, sur un samedi après-midi, (presque ?) dans les locaux de la préfecture, une foule d'auteurs rassemblés pour des dédicaces et quelques animations. C'était en décembre 2005, dans ces mois où ma vie était en train de me tomber sur la tête, les ennuis professionnels de treize ans plus tôt une blague à côté de ce que j'encaissais. Et puis le malheur numéro un, qui concernait ma fille, tombée malade à quinze ans (4) d'une saloperie Crohnique dont déjà son père souffrait. Je ne sais plus le circuit précis mais j'avais dû recevoir une invitation pour ce salon "auteurs signant en rang d'oignon" et il y avait un tirage au sort pour une BD, ma fille avait participé aux jeux (quelques questions ?) et gagné mais il convenait d'aller chercher le lot. C'étaient les jours difficiles entre diagnostic (établi) et place libérée en hospitalisation à La Maison de Solenn, on voyait l'enfant dépérir sans pouvoir aider, elle ne parvenait plus à manger ou si peu ou en ayant si mal. Comme c'était une période compliquée au travail (pour changer) je n'osais pas imposer des absences longues, tentais de jongler bravement entre un temps partiel trop fraîchement obtenu et de fragiles RTT (5). Bref, je m'étais dit, allez, même si aller à Nanterre est compliqué, alors chercher le livre, et que ça serait bon de retrouver quelques amis et connaissances parmi les signataires, souffler un peu - le père des enfants avait consenti à rester pour veiller -.
En arrivant sur la partie "jeunesse" du salon, une fois ma mission d'aller quérir le lot accomplie, j'étais tombée en tout premier sur une étiquette mentionnant le nom de l'amie de l'époque, dont j'étais sans nouvelles depuis le mois précédent qu'elle avait reçu un prix. Je comprenais qu'elle n'ait plus de temps à nous consacrer, savais, ce n'était pas la première fois que je connaissais quelqu'un qui attrapait du succès, comme on ne touche plus terre dans ces moments bénis (5bis). Il n'empêchait que dans ces jours perclus d'inquiétude, elle me manquait. J'avais donc eu un élan de joie, en constatant sa présence prévue, puis de retenue : tous les autres étaient déjà là, discutant entre eux ou avec quelques lecteurs, mais elle pas. Et aussi : pourquoi ne m'avait-elle pas prévenue d'une possible revoyure, alors que son agenda d'auteure à succès et le mien de mère-garde malade devant quand même aller travailler offraient si peu de plages communes ?
C'est alors que j'avais vu Mario Ramos, qui lui était bien là. Mes enfants étaient désormais trop grands pour réclamer ses livres, mais une nièce avait encore le bon âge et je venais de me souvenir soudain que Noël, que la difficulté de la période m'avait fait complètement occulter, approchait. Alors j'étais allée le voir pour demander pour elle une dédicace (6) et nous avions un peu parlé.
J'étais en ces jours-là et de partout secouée. Soucieuse comme on l'est quand un enfant est malade gravement et qu'on ignore comment il sera lorsque l'on rentrera. Éprouvée par mes propres tracas de santé - quoique bien plus légers, mais ça se cumulait -, peu confiante en leur père, en porte-à-faux dans mon travail (7). Je ne disais rien de tout ça, surtout à un inconnu, mais ça devait se voir que ça n'allait pas, surtout pour quelqu'un d'attentif et sensible. Du coup et comme il y avait du monde mais d'une façon modérée et que de toutes façons les lecteurs voyant un auteur occupé passaient d'abord voir quelqu'un d'autre puis revenaient, il avait pris du temps pour moi. Nous avions parlé de livres, de ce qui avait rendu les enfants heureux, un peu ; plaisanté de l'amie en retard, Si, si, elle va venir, m'avait-il, d'un bon sourire, garanti. Sans me connaître, par gentillesse, il m'avait ainsi offert une bulle de trève au sein de jours si sombres, que jusqu'à sa rencontre toute bienveillance avait fui.
L'amie finalement revue ce jour-là n'avait été d'aucun secours, et qu'elle ne le soit pas, ç'avait été un coup porté, une atteinte supplémentaire (8). C'était donc lui et aussi le conteur Victor Cova Correa, présent également et dont la magie de quelques histoires avaient permis un peu d'évasion, qui m'avaient aidée à traverser les jours d'après, en repensant aux paroles échangées avec l'un, et pour l'autre aux mots dits. Une fois hospitalisée, ma fille avait peu à peu remonté la pente, la maladie, traitée, devenait moins dangereuse. Mais un peu de doux, un peu de bon avaient été nécessaires pour tenir en attendant ce moment et je les dois cette fois-là à Mario Ramos principalement.
Je n'ai appris qu'hier son décès, peut-être avais-je croisé la mauvaise nouvelle avant mais sans la voir, tant je la refusais. À nouveau c'est quelqu'un qui aidait les autres, et qui part en premier. J'aimerais pouvoir dire à ses proches combien son travail et sa façon chalereuse d'accueillir ceux qui l'aimaient a pu compter. Au delà-même d'être des lecteurs heureux.
Ceux qui aident devraient pouvoir rester. S'en aller les derniers.
(1) hé oui, en ce temps-là déjà (grand sourire).
(2) très courageux, on entrait dans la période des vagues de plans sociaux, là où généralement chacun tente de sauver sa peau.
(3) c'est sans doute un peu étrange comme pensée, mais c'est celle que j'ai ; une sorte de référence ultime. Je suis de la génération dont les parents ont connu la seconde guerre mondiale directement et déjà suffisamment grands pour en garder souvenirs et séquelles. Quelque chose s'est transmis.
(4) Elle va mieux depuis et écrit à ce sujet.
(5) C'est peu dire que le formidable livre de Brigitte Giraud "Pas d'inquiétude" m'a bouleversée, comment des parents tentent de concilier leur travail, nécessaire à la famille et la présence auprès d'un enfant malade, et la solidarité des collègues qui offrent au père leur RTT afin qu'il puisse ainsi bénéficier d'un congé longue durée sans qu'il ne soit sans solde.
(5bis) N'est-ce pas, Joël ?
(6) et peut-être une autre pour mes enfants, tout en précisant que c'était plutôt pour les faire sourire alors que déjà grands.
(7) du mal à me concentrer, trop soucieuse. Et les urgences qui étaient notre mode de fonctionnement et que je ne parvenais plus à traiter avec la même efficacité.
(8) au point d'être restée plus de 9 mois amnésique de ce qu'elle m'avait répondu ce jour-là alors que nous parlions de la petite. Une amie prononçant la même phrase exactement, mais pour un tout autre sujet me l'avait "rendue".
(billet non relu, soyez indulgents)
Mais pour le film ce fut sans la casquette. Février 2004, il y a belle lurette qu'il ne ressemble plus à cela. C'était du temps du relatif bonheur, avant les grands tourments, qu'un grand-père ne meure, qu'une mère ne sombre définitivement dans l'écriture, qu'une sœur ne déclare une maladie chronique ...
C'était au temps d'une relative insouciance, au moins par périodes, et qu'on s'amuse à faire un peu de cinéma.
Le 30 octobre 2001, pour Stéphanot qui ne s'appelait pas encore comme ça puisque ce blog n'existait pas
Hé oui j'aurais dû lire sur mon horoscope qui m'aurait prévenue que parmi les clientes allait se glisser une charmante astrologue, qui après avoir faillit acheter un bouquin m'a demandé si elle pouvait laisser une annonce, j'ai répondu pourquoi pas et la voilà partie dans une explication profuse de son travail à elle, qui n'était pas comme celui des autres astrologues, elle faisait des thèmes par couples, pas des prédictions et puis on pouvait aussi la consulter pour parler, ça dépendait en fait de ce que la personne voulait, mais elle n'était pas médium, non, non, elle étudiait les thèmes astraux avec précision.
Sceptique comme une bonne vieille scientifique du siècle dernier, ça faisait depuis plusieurs minutes que je me mordais les joues et évitais de croiser son regard pour ne pas éclater de rire, je ne voulais pas la peiner, j'avais bien compris qu'elle tentait de s'en sortir en vendant les compétences qu'elles se supposait et je suis favorable à ce qui peut faire du bien tant que ça reste inoffensif - tant de gens sont dans la détresse, s'ils peuvent croire à quelque chose qui leur laisse un peu d'espoir, après tout tant mieux, c'est sans doute moins toxique pour leur corps que les béquilles chimiques -, mais plus mon silence persistait plus elle tentait de se justifier avec des explications de plus en plus fumeuses, je sentais le fou-rire irrépressible monter.
Elle est partie juste à temps, le côté médium qu'elle n'avait pas, ou mon côté trop expressif, lui ayant laissé pressentir l'explosion. J'ai par courtoisie laissé sa carte de visite en vue, que personne n'a relevée.
Oui, j'aurais dû lire sur mon horoscope qui m'aurait prévenu que plus les temps sont durs plus le besoin de croire croît, en parallèle avec celui de vendre, pour vivre, n'importe quoi. Ce que je savais déjà.
366 réels à prise rapide - le projet
366 réels à prise rapide - les consignes.