Je me souviendrai
Faire un peu de bien (se)

Montreuil et son Méliès

 

ce matin mais au fond fidèlement depuis 6 ans


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C'était pendant ma saison en enfer, il y a 6 ans de ça, de ces périodes dans la vie ou tout va mal, des amours aux santés des proches en passant par le travail, les finances familiales, et même, ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant, l'amitié.

Me restait l'amour des livres. Celui-là ne m'a jamais lâché.

Et le ciné. Cette autre passion.

Restaient aussi de grands amis. Ce sont eux également, dont beaucoup rencontrés grâce à l'internet, qui m'ont sauvée.

  

Deux d'entre eux et elles qui habitent Montreuil, ville que je connaissais essentiellement pour son Salon du Livre Jeunesse, m'avaient depuis un moment signalé que la programmation de son cinéma, Le Méliès, méritait le déplacement.

  

Le hic était que je travaillais dur, ce qui ne rendait pas facile d'aller au ciné après de lourdes journées, et l'autre contrainte qu'habitant Clichy La Garenne j'étais à plus d'une heure ligne 13 + 9, qui n'étaient pas des modèles de régularité.

  

J'ai compris très vite après celui des coups durs qui a failli me tuer qu'une façon de m'en sortir, peut-être la seule, était de vivre chaque jour des moments si intéressants que je ne regretterai ni ma survie, même incomplète, cabossée, ni l'absence de ceux dont la désaffection m'avait abattue.

  

Alors j'ai poussé ce qu'il fallait de mon emploi du temps trop sévère, pris de bons livres pour le trajet (1) et suis allée dans ce ciné.

  

Y aller, c'était ne plus pouvoir, et très vite, s'en passer.

  

Ce n'était pas un cinéma comme tant d'autres à Paris, ville de privilégiés pour les passionnés où l'on peut même choisir dans quel quartier on préfère aller, c'était un cinéma alliant intelligemment projections grand public et d'autres Art et Essais et qui invitait les professionnels à parler de leur métier. J'entends par là non seulement les réalisateurs - quel régal d'écouter certains -, les acteurs, mais aussi certains des métiers techniques. J'ai par exemple beaucoup appris sur le montage, c'est quelque chose d'important et pas seulement pour les images (2). 

  

Parce qu'entre temps dans ces mois qui me furent si difficiles, où j'arrachais chaque jour au néant des ruptures subies et d'une vie métro-boulot-dodo dans laquelle le boulot était plombant, j'étais devenue une Montreuilloise d'adoption, une adhérente des "Amis du Méliès", une fidèle des projections.

  

Il y a eu de grands rires, une salle entière chantant pour Jeanne Moreau, des débats un peu houleux, des questions qui menaient les réalisateurs à avancer plus loin qu'ailleurs, à sortir des rails de l'habituelle promotion, des rencontres qui restent - merci madame A. -, un centenaire dansant, Pierre Étaix, Jacques Tati (pas là mais son esprit). Je ne sais même plus me souvenir de tout. Ce cinéma loin de chez moi était l'un de mes refuges, puis à mesure que je refaisais surface et reprenais ma vie en main, l'un de mes bonheurs.

  


Je dois à l'une des séances en juin 2006 d'avoir découvert une librairie, Folies d'Encre, qui elle aussi a beaucoup compté. J'étais arrivée tôt, une fois pris mon ticket bien avant la séance (3), j'étais montée par l'un ou l'autre des escaliers mécaniques dans l'idée tranquille de me balader dans le quartier. Et puis voilà qu'une librairie annonçait pour quelques jours après une séance musique et lecture autour du "Ravel" d'Echenoz. J'y suis venue et ce lieu-là non plus ne l'ai plus vraiment quitté.

  


Je sais que je dois beaucoup à Stéphane Goudet, Jean-Marie Ozanne et ceux qui travaillent ou ont travaillé avec eux pendant toutes ces années à permettre qu'un cinéma soit un peu plus qu'un endroit où l'on va voir des films et une librairie pas simplement un lieu d'où l'on repart avec des euros en moins et des bouquins en plus.

  


Ce matin je lis sur l'un des principaux réseaux sociaux que Stéphane Goudet ne serait plus le directeur du Méliès, si ce n'est déjà fait. J'ignore les raisons de cette décision. Je sais en revanche que si elle se confirme, je prendrai moins souvent la peine de traverser tout Paris et quelques brins de banlieues pour ne plus écouter ce qu'il a de la passion du cinéma à nous communiquer.

  


(Je ne me fais pas de soucis pour lui : qui saura lui confier de nouvelles responsabilités en sera heureux et ceux qui seront là où il travaillera ; c'est pour nous autres, les spectateurs de par ici que je suis fort marrie et pour ses leçons de cinéma données alors ailleurs auxquelles je n'assisterai pas à moins qu'il ne reste vers Paris) 

 

 

 

(1) Peux-tu encore lire ? me demanda Christian, médecin et ami. J'ai su alors que je m'en sortirai : la réponse passée quelques jours terrifiants était OUI 

(2) dans l'écriture aussi.

(3) Seul défaut du Méliès d'aujourd'hui : les séances exceptionnelles affichent souvent Complet :-)

PS : Je salue au passage la classe (!) des décisionnaires qui profitent et du festival de Cannes et d'un pont qui rend les gens absents pour effectuer leur annonce, un peu comme un mauvais gouvernement profiterait du 15 août pour ce qui peut fâcher.

 

 

[Après la projection, se cacher pour rester - photo personnelle, 14 octobre 2006]

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