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366 - comme un touriste

Comme un touriste il a semblé demander une carte, certains recherchent un plan, "des cartes neiges, des bonnets" avais-je compris, peu d'ancienneté dans le métier mais déjà plus rien ne m'étonne. Je me suis seulement dit que pour un pur touriste, il parlait bien français, peu d'accent, pas trop marqué et que des cartes neiges même pour Montmartre, en fin de mai c'était un peu surfait. Le plus poliment de mes capacités, concentrée sur le sérieux qu'il me fallait garder, je lui ai demandé de répéter, en le priant de m'excuser de n'avoir pas compris. Et puis enfin c'est venu en même temps que j'ai appris un truc et parce qu'il ajoutait Vous savez, chez Gallimard, dans le temps.

Il n'était pas touriste ou sans doute pas plus que moi et cherchait des volumes en cartonnages Bonet.

Je me coucherais moins ignorante.


366 réels à prise rapide - le projet
 

366 réels à prise rapide - les consignes.


L'effet Ruquier ("Monsieur le Commandant" de Romain Slocombe)

 

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Je l'avais reçu à titre personnel, l'avais lu presque aussitôt et admiré. Aimer n'est pas le mot : il s'agit d'une lecture difficile. 

Dans cette collection il est demandé aux auteurs d'écrire la lettre qu'ils n'ont pas eu l'occasion d'écrire. La plupart sont partis sur des éléments de leur propre biographie : lettre à un amour évanoui, à une sœur prématurément disparue ... 

Romain Slocombe s'est engagné dans une tout autre direction : il écrit la lettre de dénonciation de sa belle-fille juive qu'aurait rédigée un académicien collaborationiste sous l'occupation.  Le livre voisine au chef d'œuvre : style correspondant au personnage avec juste ce qu'il faut de contemporanéité pour rester accessible à un bon lecteur, logique imparable de l'enchaînement des événements, cohérence (pour certains effrayante) des personnages. Compte tenu des circonstances on n'échappe pas à quelques scènes de tortures et de guerre et comme c'est écrit en "je" du fournisseur aux bourreaux et que c'est parfaitement réussi, on se sent assez vite, dès lors que l'on est humaniste, passablement nauséeux.

Je l'avais lu, tenté de transmettre à mon patron. Il avait accepté qu'on le vende et pris un exemplaire pour le lecture personnelle, qu'il n'avait sans doute pas eu le temp d'effectuer. C'est sa femme, environ huit mois après qui a redécouvert l'objet et lu d'une traite et perçu la qualité de l'ouvrage. Je l'avais vendu honorablement non sans difficultés (le sujet effrayait) aux plus fins de nos lecteurs, mais nous ne pouvons nous permettre à moins d'un fort succès de maintenir longtemps une même vente et étions déjà passés à d'autres titres. Son intérêt à elle a relancé celui de son mari et le livre est réapparu sur notre étalage, pour ma plus grande satisfaction. Mais il restait réservé à ceux qu'on appelle des "lecteurs avertis". 

Puis est apparu Ruquier, qui dans une de ces émissions "On n'est pas couchés" à parlé avec enthousiasme du livre, l'auteur était présent qui a assuré ... et soudain ce livre est devenu un "Must have", le présentateur avait mis le feu aux poudres. Comme nous étions déjà dans la boucle, les affaires ont bien marché et j'étais heureuse que ça tombe sur un roman de haute qualité.

Je suis juste à peu près persuadée que les 2/3 des "clients télé" ne l'ont qu'à peine effleuré.

Il n'y a presque plus d'émissions littéraires sur la télé de grande écoute. "La grande librairie" a parfois un peu d'influence, mais ça reste marginal, nombre de gros lecteurs ne la suivent pas. En revanche il semblerait bien que si quelqu'un a pris la relève d'influence du vide intersidéral laissé par le départ de Bernard Pivot, ce soit Laurent Ruquier. 

Drôle d'époque que la nôtre, dans laquelle une émission non littéraire emporte le morceau concernant les bouquins.

 

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Une première fois qui n'est pas celle qu'on croit

ce vendredi de mai 2012, Clichy puis Paris.

 

Ils ont fait du bon boulot les gars, le petit bouquin est soigné dans les moindres détails (1), la quatrième de couv. une formidable idée. Et le lexique est un bijou d'humour à deux ou trois degrés.

C'est la première publication papier à laquelle je participe si officiellement. Je pensais me lever ce matin en y songeant.

Même pas. Je suis déjà dans le travail à suivre, et celui de la vente puisque me voilà en position de nous défendre directement. C'est peut-être ce qui fait le plus de bien, pour une fois n'être pas en situation de totale impuissance, entièrement livrée au bon vouloir des autres. Je vais enfin pouvoir tenter ma part de chance. Ça n'est pas comme l'amour, ça dépend de moi.

En fait ce qui me marque le plus dans cette journée de premières fois (2), c'est d'avoir envoyé un bouquin au Qatar. En tant qu'active correspondante depuis l'enfance, j'ai envoyé bien des courriers dans des pays lointains, longtemps eu la chance d'avoir une amie inconnue en Nouvelle Zélande, une autre en Roumanie du temps où ça ne se faisait pas, sans parler des branches lointaines de ma famille, des Belges séduisants, d'une Allemande sympathique, de Californiens accueillants ...

Mais le Qatar, c'est une grande première. De celles qui m'adviennent sans que l'éventualité ne m'en ait avant effleuré.

Et même si c'est sur un détail (ici un point de géographie), on dirait que liée à un effet de surprise une première fois fait plus d'effet qu'une autre issue d'un travail entrepris avec passion et ténacité depuis plusieurs années.

Paradoxale nature de notre humanité.

 

(1) Jusqu'à la note d'impression

(2) Rapport aux premières fois elles-mêmes car longtemps plus tard je me souviendrai de cette semaine comme celle du procès Breivik (sans doute quand tout sera fini, un billet ?) qui est lourd d'enseignements et que je suis via quelques journalistes solides et consciencieux.

nb. : Il n'entre pas non plus pour rien dans l'histoire que la personne à laquelle le livre est destiné est pour moi quelqu'un qui compte, à la façon discrète de ceux qu'on voit fort rarement (et pour cause), mais depuis longtemps.


366 - Aujourd'hui une photo qui vous touche

Elle est visible par ici

Prise par mon grand ami, celui que je considère comme mon grand frère d'élection car nos affinités sont si fortes qu'il paraît impensable qu'il n'y ait aucun lien de parenté, elle m'a aidée à franchir les années difficiles ; cette période si violente où ma vie me tombait sur la tête.

Elle fut mon fond d'écran du téléphone d'avant.

J'ai d'ailleurs un peu grandi puisqu'au dernier mesurage officiel et qui date d'un jour où lors de l'établissement de certificats médicaux pour le sport mon fiston voulait savoir s'il était enfin plus grand que sa maman, je mesurais 1,65m. Et lui déjà un peu plus, effectivement. 

(et carrément beaucoup plus entre-temps).


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366 réels à prise rapide - les consignes.

PS : Le mur n'existe plus, se trouve à la place un petit supermarché de quartier.

 


Les frères Gibb et le Continent (souvenir décalé)

Ce matin, maison 


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C'est @virgile_ qui m'aura avertie d'une mort annoncée et en me faisant sourire ce qui est un exploit, car si je ne fais pas partie des fans éplorés je suis de ceux que cette nouvelle rend plutôt triste, ne serait-ce que comme marque du temps écoulé.

  

Mon souvenir personnel des Bee Gees est comme qui dirait un tantinet ... décalé.

  

J'ai onze ans, peut-être douze, en tout cas dix au moins.

  

Un hypermarché vient de s'ouvrir dans la ville de banlieue voisine. Deux ou trois kilomètres à pied. Par leur mère ou des conversations captées, certains copains du quartier ont entendu dire qu'à cette occasion il y aurait fête, des tas de trucs à gagner et même peut-être un goûter. 

  

Eux qui ont peu de liberté ont obtenue celle de pour une fois quitter le quartier. Je demande la permission à mon tour. Il y a intérêt que je l'obtienne car ils ont annoncé haut et fort que j'en étais - je suis une fille et bonne élève, je sers de caution morale -. À l'inverse ma mère n'est pas ravie que je parte en expédition aussi loin avec ma bande de traîne-la-rue. Néanmoins elle consent.

Il va de soi que je serai rentrée avant le retour du père afin d'éviter toute complication.


Une condition de notre escapade est aussi de n'y pas aller en vélo. Il y aura en effet au delà de notre petite ville et de celle qui voisine, une ou deux méchantes artères à passer dont une en tournant à gauche à l'aller, pour les mères, trop de danger. On se laisse faire : c'est une époque où dès tout gosse, ne serait-ce que pour aller à l'école, on est habitués à marcher et puis il faut bien dire que là-bas on connaît pas les bandes, alors les vélos on a peur de se les faire chourer. On s'efforce de décourager quelques petits (1) par le nombre lointain de kilomètres et puis enfin c'est parti.

  

Il y a là-bas des animations. On ne nous avait pas menti. C'était pas une blague, c'était pour de vrai.

   

La consigne qu'on s'est donnés est de ne surtout pas faire d'âneries, rien voler. Au plus voyou d'entre nous on a intimé l'ordre de se contenter de faire du repérage. Tu ne vas pas nous faire virer dès le début (2). Et puis un hyper, on se disait vaguement que ça devait super pas rigoler si on se faisait poisser. Peut-être qu'ils risquaient direct d'appeler la police.

   

Je ne vole pas. Ce n'est pas de l'honnêteté, j'ai le sentiment que l'injustice est dans le fait de n'avoir jamais assez d'argent pour acheter le peu qu'on voudrait, c'est que j'ai fait vœu de ne jamais déformer, sauf dans des histoires ou sur une scène, la vérité. Or voler, c'est devoir tôt ou tard produire de véhémentes dénégations de ce qu'on a fait. 

  

Au début de la visite, je surveille un peu la petite troupe, en particulier Philippe, qui chez lui est tenu si fort qu'il tend à l'extérieur à parfois déconner. 

   


Mais très vite, je suis captivée par ce qui se passe sur un podium, où un animateur comme à la radio au jeu des mille francs pose des questions de culture générale, et offre des lots aux bons répondants. Parmi ceux-ci pas mal de nunucheries, seulement j'aperçois des livres. Alors j'y vais.

   


Petite foule qui se presse et moi alors un poids plume pour mon âge et pas bien grande non plus. Plusieurs bonnes réponses me passent sous le nez, je savais mais personne n'a vu que je levais la main.

   

Alors je me faufile. Il faut bien qu'il y ait quelque contrepartie à être petit(e).

  

Je parviens au ras d'une table sur laquelle sont entreposés les prix. Quand je dis au ras, c'est que mes yeux passent à peine au dessus du niveau du meuble, lui-même surrélevé du fait d'être sur le podium.

   

L'animateur a posé sa feuille avec les questions. Face à lui. Mais je sais lire à l'envers et écrire en miroir aussi. Alors je les lis à l'avance, en repère une à ma portée, attends qu'il l'ai posée et bondis si vite à me manifester pour répondre que puisque je suis sous ses yeux il ne peut m'éviter.

   

Je crois me souvenir d'une question historique, quelque chose en lien avec "Les trois mousquetaires" ou "Le conte de Monte-Cristo", que peut-être il s'agissait d'histoire mais qu'en ayant lu les livres et d'y croiser l'époque on savait.

   

Il m'accorde la parole avec la condescendance de Jacques Martin envers les gamins de l'école des fans, je donne la bonne réponse, il est un peu surpris - bref conciliabule avec la personne qui organise, le jeu n'est pas pour les enfants -, mais il a dû voir que je risquais de ne pas me laisser faire, qu'une bande de gosses soudain s'était rapprochée, et puis après tout.

   

Il me remet mon lot et je suis affligée : ce n'est pas un livre mais un disque.

  

Un disque avec des types chevelus dessus, un peu comme mes cousins.

  

Je n'ai rien contre la musique, j'aime bien quand ils m'en font écouter. Mais voilà, à la maison c'est un peu compliqué : mon père ne veut rien entendre d'autre que du classique, il est le maître absolu du grand tourne-disque suisse blanc (3). J'ai quant à moi un petit crin-crin du genre de cadeau de Noël d'entreprise aux enfants des salariés méritants, mieux que rien mais tout ce qu'il y a de plus mono et crachouillant. Alors un disque ne peut être écouté que pendant les heures où le paternel est au travail et la musique passée pas trop fort sur un appareil qui ne restitue le son que très imparfaitement.

  

Un livre que l'on peut déguster en silence et sans équipement intermédiaire c'est tellement mieux.  

 


Mais bon, voilà, moi c'est un disque que j'ai gagné et l'hésitation qu'ils ont eue à me le confier me fait clairement comprendre que je n'aurais rien du tout si je tente de négocier.

  

Les potes m'entourent. Ils ont été épatés que j'aie su répondre et me faire entendre parmi tous ces gens.

  

Plus tard à un jeu pour les gosses, nous gagnons des épées en plastique. Et puis je crois me souvenir aussi d'une distribution de sodas sucrés et de gâteaux industriels et que comme j'ai soif et faim j'en bois et j'en mange mais vaguement écœurée.

  

Après, il est temps de rentrer. 

  

Mon disque suscite davantage de moqueries que de convoitises, "The Bee Gees", c'est qui ces nuls ? Tu t'es fait avoir. 

  

Personne n'a jamais entendu ces noms-là, les mecs sur la photos sont de parfaits inconnus, le terme de déstockage n'a pas encore été inventé mais on pense bien qu'il s'agit de ça. À Continent ils sont pas fous, ils auront mis comme cadeaux des trucs dont personne ne voulait.

  

En même temps c'est pas mal : personne ne va tenter de me piquer mon trophée. Comme il est du genre fragile ça se serait forcément plutôt mal terminé. Alors que là, un jour, je pourrai l'écouter.

  

Ce jour viendra longtemps plus tard. Je reconnais un peu de Beatles en mal chanté (4). Il y a un morceau, alors intitulé "Morning", qui me plaît bien. Le reste me rappelle "California Dreamin''" ou les Beach Boys ; je me dis aussi qu'il faudrait que le chanteur travaille un peu sa voix.

  

Il le fera mais dans un sens qui surprendra, à l'instar des Rubettes qui cartonnent si fort en 1974-75 qu'on les entend dans le moindre supermarché entre un Johnny et un Cloclo. Je n'ai rien contre ces voix aiguës sauf que les copains qui sont en train de muer prennent un malin plaisir à les imiter et alors sauve qui peut.

  

Alors que je suis en 3ème, quelques années après, j'entends un jour une camarade de classe se moquer d'autres qui "en étaient restés au Beatles et ne connaissaient même pas les Bee Gees". Je mets un moment avant d'aller vérifier qu'il s'agit du même nom que sur la pochette du "disque de Continent". Il me restera un doute qu'il s'agit bien des mêmes, mais en ce temps-là comment vérifier, il n'est question d'aucun Bee Gees dans l'encyclopédie familiale en quatre volumes Quillet. Le Petit Larousse c'est même pas la peine d'aller regarder.
Parmi mes copains qu'ils soient des pro ou des anti- Bee Gees (5), de ceux que la fièvre du samedi soir a atteints ou fait rigoler, aucun ne sait assez de leur histoire pour me confirmer ou non qu'il s'agit bien d'eux. Comme on a peu vu les musiciens du film devenu culte, on ne peut même pas physiquement comparer et personne n'a le disque alors on ne peut même pas voir sur la pochette.

   

Le mystère restera si entier que je vais l'oublier. En ces années-là je ne suis pas très préoccupée de musique à danser et par ailleurs après le bac plutôt occupée (6). Il me faudra Fame, puis Flashdance avant de me réveiller. Ainsi qu'un petit jeune, beau comme un belge, qui déboulerait 5 ans après et mourrait tôt, déjà fantôme, avant de devenir vieux.

Ce n'est que très longtemps plus tard, rangement ou déménagement, et l'internet à proximité que j'aurais la clef de l'énigme, qu'il s'agissait des mêmes, mais avant le succès. 

 

 

(1) Certains parents étaient réticents à toute vraie sortie, c'est-à-dire en dehors de la cité, mais dès lors que la permission était accordée il était de bon ton que les aînés se chargent des petits. C'était sans doute façon de les lester et de les contraindre à agir en responsable. Ma petite sœur étant d'un tempéramment casanier, j'étais chanceuse.

(2) En ce temps-là le chapardage infantile était tenu pour ce qu'il était et donc on engueulait le gosse, s'il recommençait on appelait les parents - les pères d'alors étaient tenus de savoir manier le martinet - ce qui calmait bien des vocations. Celui qui piquait était repéré par les gardiens et fermement interdit de magasin. Il m'est arrivée de temps à autre d'accompagner un copain que sa mère avait envoyé en courses pour pouvoir les faire à sa place puis on revenait ensemble avec les achats et ainsi elle ne savait pas que son gosse était devenu à la supérette locale gamin non gratum.

(3) Le très peu d'objets auxquels je m'attache, on me les enlève. Celui-là a disparu, mon père a dû, de même que le vélo de mon grand-père, le donner à quelqu'un. Ma mère a jeté d'autres choses. Sans parler d'autres. Tout se passe comme si personne n'envisageait jamais que je tinsse à quoi que ce soit.

(4) Sur "Paperback writer" ou "Ticket to ride" ils sont, à un bref moment, faux.

(5) En gros le rock, le métal et le punk naissant, c'est un truc de mecs et de la vraie bonne [musique] et le disco un truc de filles ou à la rigueur pour draguer. L'absence de catégorisation homophobe étant dans ma banlieue et en ce temps là liée à un déni parfait : des hommes qui aiment les hommes ça ne peut tout simplement pas exister.

(6) article de Pascale Krémer "Les plaisirs de la classe prépa" 19 mai 2012

 

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Montreuil et son Méliès

 

ce matin mais au fond fidèlement depuis 6 ans


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C'était pendant ma saison en enfer, il y a 6 ans de ça, de ces périodes dans la vie ou tout va mal, des amours aux santés des proches en passant par le travail, les finances familiales, et même, ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant, l'amitié.

Me restait l'amour des livres. Celui-là ne m'a jamais lâché.

Et le ciné. Cette autre passion.

Restaient aussi de grands amis. Ce sont eux également, dont beaucoup rencontrés grâce à l'internet, qui m'ont sauvée.

  

Deux d'entre eux et elles qui habitent Montreuil, ville que je connaissais essentiellement pour son Salon du Livre Jeunesse, m'avaient depuis un moment signalé que la programmation de son cinéma, Le Méliès, méritait le déplacement.

  

Le hic était que je travaillais dur, ce qui ne rendait pas facile d'aller au ciné après de lourdes journées, et l'autre contrainte qu'habitant Clichy La Garenne j'étais à plus d'une heure ligne 13 + 9, qui n'étaient pas des modèles de régularité.

  

J'ai compris très vite après celui des coups durs qui a failli me tuer qu'une façon de m'en sortir, peut-être la seule, était de vivre chaque jour des moments si intéressants que je ne regretterai ni ma survie, même incomplète, cabossée, ni l'absence de ceux dont la désaffection m'avait abattue.

  

Alors j'ai poussé ce qu'il fallait de mon emploi du temps trop sévère, pris de bons livres pour le trajet (1) et suis allée dans ce ciné.

  

Y aller, c'était ne plus pouvoir, et très vite, s'en passer.

  

Ce n'était pas un cinéma comme tant d'autres à Paris, ville de privilégiés pour les passionnés où l'on peut même choisir dans quel quartier on préfère aller, c'était un cinéma alliant intelligemment projections grand public et d'autres Art et Essais et qui invitait les professionnels à parler de leur métier. J'entends par là non seulement les réalisateurs - quel régal d'écouter certains -, les acteurs, mais aussi certains des métiers techniques. J'ai par exemple beaucoup appris sur le montage, c'est quelque chose d'important et pas seulement pour les images (2). 

  

Parce qu'entre temps dans ces mois qui me furent si difficiles, où j'arrachais chaque jour au néant des ruptures subies et d'une vie métro-boulot-dodo dans laquelle le boulot était plombant, j'étais devenue une Montreuilloise d'adoption, une adhérente des "Amis du Méliès", une fidèle des projections.

  

Il y a eu de grands rires, une salle entière chantant pour Jeanne Moreau, des débats un peu houleux, des questions qui menaient les réalisateurs à avancer plus loin qu'ailleurs, à sortir des rails de l'habituelle promotion, des rencontres qui restent - merci madame A. -, un centenaire dansant, Pierre Étaix, Jacques Tati (pas là mais son esprit). Je ne sais même plus me souvenir de tout. Ce cinéma loin de chez moi était l'un de mes refuges, puis à mesure que je refaisais surface et reprenais ma vie en main, l'un de mes bonheurs.

  


Je dois à l'une des séances en juin 2006 d'avoir découvert une librairie, Folies d'Encre, qui elle aussi a beaucoup compté. J'étais arrivée tôt, une fois pris mon ticket bien avant la séance (3), j'étais montée par l'un ou l'autre des escaliers mécaniques dans l'idée tranquille de me balader dans le quartier. Et puis voilà qu'une librairie annonçait pour quelques jours après une séance musique et lecture autour du "Ravel" d'Echenoz. J'y suis venue et ce lieu-là non plus ne l'ai plus vraiment quitté.

  


Je sais que je dois beaucoup à Stéphane Goudet, Jean-Marie Ozanne et ceux qui travaillent ou ont travaillé avec eux pendant toutes ces années à permettre qu'un cinéma soit un peu plus qu'un endroit où l'on va voir des films et une librairie pas simplement un lieu d'où l'on repart avec des euros en moins et des bouquins en plus.

  


Ce matin je lis sur l'un des principaux réseaux sociaux que Stéphane Goudet ne serait plus le directeur du Méliès, si ce n'est déjà fait. J'ignore les raisons de cette décision. Je sais en revanche que si elle se confirme, je prendrai moins souvent la peine de traverser tout Paris et quelques brins de banlieues pour ne plus écouter ce qu'il a de la passion du cinéma à nous communiquer.

  


(Je ne me fais pas de soucis pour lui : qui saura lui confier de nouvelles responsabilités en sera heureux et ceux qui seront là où il travaillera ; c'est pour nous autres, les spectateurs de par ici que je suis fort marrie et pour ses leçons de cinéma données alors ailleurs auxquelles je n'assisterai pas à moins qu'il ne reste vers Paris) 

 

 

 

(1) Peux-tu encore lire ? me demanda Christian, médecin et ami. J'ai su alors que je m'en sortirai : la réponse passée quelques jours terrifiants était OUI 

(2) dans l'écriture aussi.

(3) Seul défaut du Méliès d'aujourd'hui : les séances exceptionnelles affichent souvent Complet :-)

PS : Je salue au passage la classe (!) des décisionnaires qui profitent et du festival de Cannes et d'un pont qui rend les gens absents pour effectuer leur annonce, un peu comme un mauvais gouvernement profiterait du 15 août pour ce qui peut fâcher.

 

 

[Après la projection, se cacher pour rester - photo personnelle, 14 octobre 2006]


Je me souviendrai

 

Je me souviendrai que je n'en revenais pas tout en ayant attendu ce moment depuis la première partie des Premiers jours . Je me souviendrai que la soirée de la veille avait été délicieuse, que je me sentais toujours fatiguée mais que j'allais bien, que j'avais dès le réveil le cœur battant.

Je me souviendrai que j'avais écrit un billet un brin prémonitoire. Je me souviendrai que madame N. avait été particulièrement       présente ce soir-là, je l'avais intriguée.

Je me souviendrai que je m'étais souvenue de ce vieux Vénézuelien rescapée des geôles politiques de son pays et qui rigolait en disant que ses compagnons d'infortune désormais étaient ministres.

Je me souviendrai que j'ai pleuré, que c'était bien la première fois qu'une annonce politique de cet ordre me faisait pleurer d'émotion. J'ai aussi regretté l'absence de mon père car je sais qu'il aurait éprouvé une bouffée confraternelle de fierté.

Je me souviendrai que la première chose que j'ai dite à V. était quelque chose comme Ça alors je n'en reviens pas : non pas tant que j'étais surprise de l'annonce mais bien de l'intensité de l'effet fait par ricochet.

Et puis une totale absence de connaissance des usages en ce cas. Et puis que je m'en foutais bien des usages. Mais c'était rigolo de constater que mes parents avec leur foutue idée de La Bonne Éducation qui m'a pourrie l'enfance et notre relation (entre eux et moi), n'avaient pas pu un seul instant envisager un tel cas.

Je me souviendrai que c'était la plus belle confirmation de ce dont je suis depuis l'enfance persuadée à savoir que revanche, vengeance et ressentiment n'ont pas lieu d'être : si quelqu'un vous fait du mal, il convient de reprendre pied puis rebondir tellement citius, altius, fortius, que l'autre n'a plus qu'à se dire 

- Bon sang si j'avais su !

(n'est-ce pas, Arnaud ? (1))

Je me souviendrai que je n'avais pas pu résister au plaisir de relire un peu de nos messages.

Je me souviendrai qu'après avoir fait après le 6 mai une sorte de dépression de soulagement j'aurai fait une forme d'insomnie par joyesue empathie (décidément, tout arrive).

Je me souviendrai que je suis Forrest Gump et une BM.

Je me souviendrai qu'il faisait froid (pour la saison) et qu'avec l'amour manquant c'étaient les seules choses directes qui n'allaient pas.

Je me souviendrai de cette pensée d'enfant : la sensation que la vie prenait un tour si intéressant qu'il était totalement exclus de tomber malade (ou dans la grande fatigue qui sait trop bien être ma compagne) maintenant.

Je me souviendrai du bonheur de voir et revoir les amis entre ceux qui étaient passés à la librairie : Joachim, Anne, Pascale et Véronique et son Jean-Marc au jour même d'être compromis propriétaires. 

Je me souviendrai que je souhaitais me souvenir et surtout que j'étais contente pour toi, comme une grande sœur bienveillante (2) sur laquelle on peut compter dans l'adversité.

Last but not least : je me souviendrai que nous avions scientifiquement prouvé qu'il était plus rapide pour se rendre en métro de Madeleine à Belleville de passer par 8 puis 11 que par 14 puis 11 - à cause de la longueur du couloir à Châtelet -.

 

(1) Arnaud ne m'a fait aucun mal mais il sait de quoi je parle.

(2) Peut paraître étrange, mais transcris comme la pensée m'est venue.


Magical Mystery Tour - petite précision -

 

Les moins de vingt ans m'ayant rappelée au désordre et les plus âgés étant peut-être friands d'une madeleine multicolore, le titre du billet précédent était donc une allusion que je croyais évidente mais qui est donc plus générationnelle que ce que je pensais à ce qui suit. Ce blog ne renonçant jamais à l'édification des masses, 

Have fun 

nb1: TLFW

nb2 : parfait pour un jour de passation de pouvoir présidentiel dans un petit pays d'un monde accéléré et fou, isn't it ? 

(et même avec un vrai morceau de Marseillaise dedans, c'est dire si ça colle à l'air du jour du temps)