De ce quartier, qu'est-ce qu'il y aurait à dire ? Sortir du métro et ne penser qu'au porche, juste ça la première fois. Deux changements, une bouche de métro, la rue Franklin Roosevelt, la petite librairie (thé, chien, photographies), la ruelle sur la gauche dont j'oublie le nom chaque semaine, Monter l'étage, se déshabiller, s'allonger sur une table qui s'incline, les restaurants étroits où ils déjeunent, ceux qui travaillent ici, respirer, se détendre, inspirer, bloquer la respiration, relâcher, l'avenue Matignon, flics, CRS, galeries de peinture, l'art abstrait et Bernard Buffet, l'arrivée devant la porte, un code, la porte s'ouvre d'elle-même, un second code, quelqu'un ouvre la seconde porte, l'entrée, l'appartement, ses couloirs, ses salons, trois heures de relecture et dactylographie contre quelques billets.
Dans ce quartier, attention ça va craquer. cinq minutes de marche, un petit tour rapide, église et carrefour, faubourg Saint-Honoré, qu'y aurait-il à penser ? « Je ne pourrais jamais y croiser quelqu'un que je connais », voilà la phrase, l'unique. Des boucles et des talons, des fourrures, des costumes et des robes légères, ces habitants que je croise et qui ne signent rien, à mes yeux c'est certain, d'autre que leur fortune, je ne les saisis pas. Quand ils traversent, ils restent flous.
Les fois suivantes, les saisons passent,
Rien d'autre en tête que ce que je retrouverai trois heures plus tard, le soleil s'il y en a, la rue, la librairie et le métro retour, bondé alors, le livre dans le sac. D'autres choses en tête, peut-être, dont on ne parle pas, qui se cachent, se terrent. Silence, carnet.
Quartier où rien ne bouge, repérer les hôtels luxueux et le Franprix, les chaussures soldées toute l'année, où je ne comprends rien. Où est la vie ? Quartier du flux, pourtant, près des Champs-Elysées, des touristes on le sait à bobs, à shorts, qui n'ont pas cet air pincé. On voudrait les en remercier, presque rassurés qu'ils existent quand défilent les lunettes, les escarpins, les ceintures de marque sur l'avenue Matignon. La pharmacie à l'angle ou faire des affaires et le bar-tabac en face.
Travaux. Compliqué, ce carrefour où l'on vend aux enchères ce qui se fait de rare (il y pousse des grooms, des haies, des voitures de luxe) ; où les bus, taxis ne cessent de tourner tandis que traverse toujours le même homme, souvent au téléphone et parfois en colère, cravate et costume de lui je ne sais rien de plus.
Toujours la même femme, permanente bronzage et les rides tirées les lunettes fumées et le liseré blanc du tailleur bleu marine,  À chaque fois, courbé dans un sens, tout cela apparaît, en vrac, se réajuste, s'enferre, et si vite oublié tandis que le 10 de l'avenue commence à se profiler, qu'il faut bien penser à
trois heures
trois heures de vie
droit comme un i dans l'autre
billets ensuite dans le porte-monnaie brusquement à nouveau tout payer en liquide, comme avant, comme loin dans l'enfance, troquer les trois heures contre des sacs de courses, pain, stylo, s'il fait froid un manteau et moins de livres
dans l'entre-deux : ses mains.
mais des livres quand même.
Ce qu'il y aurait à dire ? Aveugle au quartier et en circuit fermé, boucle de la ligne 9 (à Saint-Philippe du Roule, métro qui l'an dernier, terminus Mairie de Montreuil, Toujours La Boétie, qui guérit. m'emportait à l'envers) ; boucle du pâté de maisons ; boucle de ce qui (silence, carnet) fait signe sur la page, pour le reste se tait. Quelle ligne droite, alors ?
Celle tracée pour dire : précarité tant pis, je vais continuer à écrire.
Anne Savelli, avec phrases du passant, celui que l'on connaît mais qu'on ne croise pas.
Texte pour les Vases Communicants d'avril 2012
(Le chien se prénomme Yéti, le thé est bon marché, parmi les photographies on peut reconnaître Carole Martinez, Sorj Chalandon, Anna Gavalda, , R J Ellory, Alain Giraudeau et bien d'autres)
Anne Savelli a publié entre autre :
– Fenêtres Open space, éditions Le Mot et le reste, collection Ecrits, 2007
– Cowboy Junkies, The Trinity Session, éditions Le Mot et le reste, collection Solo, 2008
– Franck, éditions Stock, collection La Forêt, 2010 et son blog associé
– Des Oloé, espaces élastiques où lire où écrire, éditions D-Fiction, 2011
last but not least Anne tient le blog Fenêtre open space
et si je doute parfois qu'elle ait sa photographie au sein de notre galerie c'est uniquement parce que me semble bien sombre l'avenir de la librairie (en général et en particulier) et que j'imagine mal un lieu de restauration sur le pouce afficher les images des personnes qui écrivent (mais je peux me tromper).