yesterday, on my way to #LeKiné
À Wytejczk je pense encore, même si je n'en parle guère plus : de ma vie il a disparu. Une volatilisation qui reste mystérieuse (1), un peu comme font certains blogueurs vis-à-vis de la toile et dont on s'aperçoit un jour en venant les lire qu'il ne reste plus rien : ils ont sans prévenir cessé leur activité et aussi tout effacé. De loin en loin, par des amis communs qui sont restés présents, j'attrape quelques nouvelles.
Je sais qu'il va.
Je suis déjà en fait un chagrin plus loin. Que je tente de divertir en me concentrant sur le travail, qui dépend davantage de moi.
Au point qu'au jour anniversaire de mon assassinat je fus plus préoccupée d'édition numérique (ou pas) que de commémoration (2).
Lire désormais est une part de mon métier.
Je me régale en ce moment de ce gros ouvrage trop coûteux sur papier bible, écrit par un homme qui n'aime rien tant que vivre retiré, auprès de celle qu'il aime, tout entier voué à ses travaux de création, physiques ou plus cérébraux. Il retrouve aussi avec plaisir certains membres de sa famille ; par ailleurs de vieux amis.
Sa vie mondaine se limite aux circonstances professionnelles les plus inévitables.
Type d'existence dont je rêverais mais pour laquelle il me manque l'élément principal de stabilité. En attendant la rencontre providentielle ou la résignation physiquement apaisée au renoncement, le lire est un secours. Se dire que c'est possible pour quelqu'un quelque part ; que l'un d'entre nous au moins est sauvé.
C'est arrivé alors que je commettais l'erreur de poursuivre ma lecture dans les transports en commun (3), et que j'arrivais à la station de métro correspondant à mon kiné. Il mentionnait concernant l'une des rares soirées où il se rendait, la présence, parmi d'autres, de Wytejczk. Ils ne vivent, du moins je le croyais, pas dans les mêmes zones, j'ignorais qu'ils fréquentaient des personnes en commun, objectivement presque aucune raison d'accointance et puis voilà que soudain si.
Je suis descendue à la station prévue, pas perdu le nord à ce point. Mais à peine quelques pas et le malaise m'a saisie. La sensation physique d'avoir été séchée par un croche-pied, d'être tombée sans avoir eu le temps d'assouplir, toute raide, mains et genoux écorchés.
Le manque de sa présence, les autres manques induits, les circonstances étranges de notre dernier moment commun, la violence de l'inexplicable, ma solitude enfin, que j'avais crue rompue, plus tard, quelqu'un semblait m'aimer. Et puis finalement non. Celui-là a changé d'idée. Sans honneur.
Je me croyais tirée d'affaires, une simple mention inattendue m'a fait prendre conscience à quel point rien au fond n'était résolu. Seul mon comportement s'est normalisé. Et pour partie ma vie professionnelle. Le reste reste fantômatique et flottant.
Le kiné, compétent, a fait ce qu'il pouvait. Comme s'il recomposait des bouts de corps qui n'avaient plus entre eux d'unité. Mais depuis j'ai repris de pleurer (4), mélange des chagrins cumulés sans plus de bonheur affectif ni physique pour les faire passer.
"Retournez en prison. Ne passez pas par la case départ. Ne touchez pas 20000." Étrange carte chance piochée au sein d'un livre qui me faisait du bien. Auteur, on ignore ce qu'on peut déclencher.
(1) Même si, de même que pour Sorj Chalandon (que je remercie au passage, il fait partie de ceux qui m'ont aidée à tenir au moment du pic de désarroi et de perplexité) et son "Traitre" j'ai peu à peu recomposé le puzzle des éléments manquants.
(2) Simone s'en souviendra.
(3) Quand un livre nous fait trop d'effet il convient d'éviter.
(4) Ce qui depuis l'été avait cessé. Je croyais avoir accepté de n'être plus éligible à l'amour des hommes, lesquels aiment ailleurs, et m'être adaptée depuis longtemps à l'absence de la grande amitié pulvérisée. Double voire triple illusion.
PS : Je suis reconnaissante envers l'auteur du livre que je lisais, lequel ne peut imaginer que la personne qu'il a croisée est un tueur en série des plus belles affections, de m'avoir permis cette révélation. Je me croyais guérie, ne l'étais qu'à moitiée, grâce à lui je le sais. Me voilà sur mes gardes à nouveau désormais.