Un petit bonheur (mais très puissant (pour une dingue de livres (comme moi)))
Le premier jour depuis un moment où mon téléphone a pu être rechargé

La première fois que je suis trop ébahie pour applaudir

à Bastille, cet après-midi

 

Comme j'aime à ressentir les choses et sans influence, qu'il s'agisse de découvrir un lieu (lors de voyages) ou un chant (à l'opéra), je m'efforce de ne rien en lire avant. J'ignore donc pourquoi j'avais peur d'une absence inopinée de Natalie Dessay, mais en lisant enfin et à l'instant le billet de Joël au sujet de la même production, je saisis pourquoi.

J'ignorais aussi que la mise en scène était de Coline Serreau (0), mais j'ai vite pigé - elle parvient à glisser de l'humour (entre autre les barbons qui se frottent les mains pendant l'air "Profitons bien de la jeunesse") là où peu en auraient vu -. Je me sais minoritaire, mais j'avoue que j'aime ça (1). De même que le mélange des époques en costumes, adaptés aux modes de pensées des personnages, ça n'était pas mal vu, même si ça ne s'imposait pas.

Je comprends mieux pourquoi je n'avais pas tout compris, en particulier le passage à tabac du chevalier Des Grieux : il y a donc eu des coupes en plus de ces coups. Je me suis d'ailleurs laissée allée lors de la première mi-temps à acheter le programme, malgré qu'ils sont devenus chers et qu'ils puent (sens littéral) toujours autant - ah que je regrette les anciens à 8 € sur papier mat, élégants et d'une odeur neutre -.


Et puis, hélas, j'ai trouvé le ténor bon de voix mais raidasse de corps, il est censé être fou amoureux fou et se comporte comme, non ... rien, mais bref quoi ça ne se voit pas. Ah que ç'eût été cent fois mieux avec le chaleureux Villazon ou le Roberto de l'an 2001 ou 3 (2).


Ce n'est pas la première fois que je le vois sur scène, lors d'un "Contes d'Hoffmann" il y a quelques années déjà et certes, il chante fort (et) bien mais il n'incarne pas.


C'était des sortes de retrouvailles avec Natalie Dessay et la magie pour moi y est, inchangée. Elle reste proche de ma "voix d'Eros" même si quelque chose empêche que tout à fait (3). Il y a un effet physique dès les premières mesures, des frissons aux larmes quelque chose qui atteint directement le tréfond de soi sans passer par le cerveau pensant, qui en serait presque frustré.


Au fil des chants celui-ci reprend généralement son pouvoir, surtout ces dernières années durant lesquelles les plaisirs du corps se sont éloignés. Alors on devient moins sensibles, sans doute pour que le manque s'en trouve atténué.


Il n'empêche qu'au début d'après le premier entracte, sur un air joyeux, qui célèbre la jeunesse, moi qui suis à l'ordinaire peu réceptive aux effets d'altitude (4), j'ai été à ce point sidérée par l'apparente facilité de notes impossibles que j'en suis restée bouche bée (5).


C'est la première fois lors d'un opera qu'alors que les applaudissements se déchaînaient dès qu'ils furent possibles, je suis restée sans bouger. Incapable du moindre mouvement, ailleurs, estomaquée. Mon seul degré de conscience était pour les entendre, le reste survolait.


Je suis revenue parmi nous en douceur, en cours de l'air suivant, soulagée d'avoir pu m'absenter un instant de ce monde pesant, par une autre voie que celle du sommeil auquel je succombe trop souvent.


Madame Natalie, merci pour l'extase.


(et si je parviens peut-être à écrire ce soir, c'est un peu grâce à cet élan)

 

 

(0) Au passage un petit hommage à une amie disparue (je ne choisis pas ce mot à la légère, c'est le sentiment que j'en ai et sans doute ses plus proches également)

(1) Cela dit, le "Miss Arras" d'où j'étais je ne le lisais pas et le drôle du truc m'échappe.

(2) Mon premier moment de grâce à l'opera, sa femme et lui dans La Bohème, un duo. Je me suis envolée, respiration coupée. Mais j'ai soudain un doute sur la date (non, ce n'est pas une contrepèterie ou alors involontaire).

(3) P'têt ben une mauvaise raison du genre que ça ne peut pour moi être qu'une voix d'homme (?).

(4) D'une façon générale : je sais admirer les performances extrêmes mais elles ne m'émeuvent pas. Fors si la grâce s'en mêle (Nadia Comaneci JO de Montréal 1976 à la poutre comme aux barres asymétriques)

(5) Les expressions populaires sont parfois imprécises : on dit "Les bras m'en tombent" alors que c'est en premier la mâchoire qui choit.

 

PS : Les places désormais vendues 15€ ne sont pas si mauvaises que je le croyais du moins pour celles au premier balcon. On ne voit pas du tout les surtitres, ni le haut de la scène si les personnages ont la mauvaise idée de monter un escalier, mais c'est le seul inconvénient.

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