Premier souvenir du Rond-Point, depuis théâtre bien-aimé
25 novembre 2011
Right now, in the place
La pièce (1) me laisse perturbée, il y a dedans de vrais morceaux de correspondance nazie ou si bien imités qu'ils donnent la nausée, j'attends au fond d'un canapé le courage de rentrer.
J'ai l'ordinateur, ils offrent le wi-fi, autant bloguer.
Je suis à deux pas de l'endroit où j'ai causé jadis avec Jean Marais. Trois ou quatre phrases pas plus, j'étais de ma banlieue, trop mal bien éduquée, je n'osais pas parler.
Il n'empêche.
C'était au mitan des années 80. Je devais être en fin d'études, vivotant déjà avec le futur père de mes enfants, lequel s'apprêtait à partir faire sa coopé au Burkina Faso.
J'avais une grande amie qui se prénommait Éliane mais que l'internet et mes mauvaises fréquentations ont fini par froisser.
Une petite sœur que j'aimais et à qui je tentais d'ouvrir la voie vers les belles choses, elles-mêmes pas tout à fait accessibles pour moi. Je crois qu'obscurément je me disais, je suis l'aînée, je dois assurer mais peut-être qu'elle, au moins, pourra en profiter.
Ma sœur pour le théâtre était douée. Elle n'en a fichtre rien fait.
J'ai honte de ne plus me souvenir si mon père était ou non de la sortie. Il n'aimait ni la dépense ni le manque de sommeil. Mais peut-être qu'il s'était dévoué pour pouvoir raccompagner ma mère et ma sœur dans la lointaine banlieue où ils habitaient.
J'ignore pourquoi mais puisqu'elle était là alors qu'habitant en province peut-être lui devions-nous l'impulsion d'y aller, mais voilà, nous avions des places pour cette représentation du Cid, avec Gérard Philipe Francis Huster et Jean Marais (désolée mais 30 ans plus tard, les autres je les ai oubliés - Isabelle Nanty may be ? -). Nous allions peu au théâtre, à l'époque très cher par rapport au cinéma plus populaire et bon marché.
Autant dire que nous étions tout espantés, émus, secoués, ne causant plus qu'en alexandrins en sortant.
Mes banlieusards devaient être tout stressés de devoir rentrés. Et celui qui est devenu l'homme de la maison déjà jeune préférait dormir à sortir (2). Alors pourquoi sommes-nous un peu restés ? Peut-être que ma petite sœur rêvait de voir les acteurs ?
Par un hasard de calendrier (3), ça devait être la dernière. Au sous-sol du théâtre, la trouve festoyait.
Nous étions en haut des escaliers une toute petite poignée de gens quelconque encore attardés (4). Quelqu'un du théâtre, un responsables, nous a alors dit, allez restez pas là, on est en train de fêtez en bas, vous avez aimé la pièce, venez (5).
Et soudain on s'est retrouvés avec dans les mains une flûte de Mumm Cordon Rouge (6) en train de trinquer à la beauté du Cid et du théâtre tout entier.
À deux pas de nous, Jean Marais. Ma sœur voudrait un autographe mais elle n'ose pas demander.
Et j'y vais.
Et je trouve même une fois ma mission accomplie - c'est si facile je la désigne, elle est encore toute gamine, le vieil homme est heureux de voir que des jeunes encore s'intéressent -, les mots pour dire comment j'ai aimé, et pourquoi. Je me souviens que le plus dur était de ne pas parler avec ce putain de rythme contaminant des alexandrins.
Il prononce des paroles bienveillantes. Seul leur ton m'est resté. Et son regard, impossible à oublier.
Trente ans après et malgré qu'il a viré trop chic et "en vue" ces dernières années, ce même théâtre est l'un de mes refuges préférés.
Et je mesure émue le chemin parcouru.
En plus que depuis quelques temps, je travaille tout près.
Je crois que la beauté, la grâce du plus haut niveau, quel que soit le domaine concerné, une fois qu'elle nous a effleuré, on est contaminés. Et ensuite nous n'avons de cesse qu'à la rejoindre, coûte que coûte.
Mon écriture d'aujourd'hui, loin d'être stabilisée mais que j'ai gagné le droit de tenter, doit probablement quelque chose au regard de Jean Marais et l'encouragement qu'il contenait pour quelque chose qu'à l'époque j'ignorais moi-même porter.
Un soir de juin des années quatre-vingt au Rond-Point.
PS : J'espère que ma petite sœur n'a pas perdu le bout de papier / le programme ? / le billet ? qui avait été signé.
PS' : Si vous pouvez allez voir "Et mon cœur scintille" de et avec Jacques Gamblin et deux danseurs, faites-vous du bien, foncez.
(1) "H. H." de Jean-Claude Grumberg. Il n'y a aucune ambiguïté, ce qui est cité c'est pour le dénoncer, en faire mesurer l'horreur. C'est moi qui ne le supporte pas, de lire ou d'entendre ça.
(2) Ô jeunes filles n'épousez jamais un casanier, en vieillissant il empire.
(3) Je suis quasiment certaine que le choix dans la date était conditionné par les jours de venue d'Éliane dans la capitale. Variante : elle habitait déjà Paris mais c'était juin et il avait fallu jongler entre des dates d'examens.
(4) En fait c'était peut-être très prosaïquement parce que nous avions dû aller aux toilettes, nos banlieues respectives étaient éloignées.
(5) Version moins glamour mais tout aussi plausible : - Les toilettes sont où ?
- En bas, je vous montre, venez.
(6) Que du coup j'aime à tout jamais
(billet non relu parce que j'ai quand même une maison où rentrer)
[photo : sur place]