Le rêve (ultra) contemporain
31 octobre 2011
Cette nuit, au chaud
Je sais bien d'où ce rêve me vient : je lis en ce moment son "Atelier noir" chez les Busclats ; et puis aussi de mon histoire professionnelle personnelle.
Mais voilà :
Je retournais travailler dans un bureau d'une tour à La Défense. Un éclat de conscience, sans doute qui fait que du rêve je me suis au réveil rappelée, m'a fait penser "Oh non pas ça !". Mais étrangement j'étais joyeuse.
Un peu comme l'autre jeudi quand j'ai reçu la lettre d'Anna après une petite déception affective, et que plus tard dans la journée je me sentais joyeuse, me demandant pourquoi, puis me souvenais du courrier qui réconfortait et d'où l'allégresse me venait.
Et alors je me rappelais : j'allais travailler avec Annie Ernaux. C'est même elle avec mon amie la DRH Mireille qui m'avait embauchée. Un salaire confortable (enfin !) et régulier (puisque c'est un rêve, on peut toujours rêver) pour assister cette femme dont j'admire le travail.
Les entreprises avaient en effet décidé face aux vagues de suicides consécutives à la managérialisation à outrance, ainsi qu'au totalitarisme ambiant qui s'avérait contreproductif finalement, de créer des possibilités d'échanges et d'expression, des endroits subtilement délimités afin d'y laisser libre cours aux prostestations et contestations. On en était en effet arrivés à un mode de fonctionnement où les seuls conflits autorisés étaient ceux d'enjeux de pouvoir et d'ambitions, tout le reste était verrouillé, les salariés paralysés par la peur de perdre leur emploi, mais de fait les rouages grippés, plus rien d'innovant et les bénéfices qui chutaient.
Au prétexte de prendre en compte les gens, on avait donc décidé de remédier à cette trop grande réussite de l'oppression du rendement et faire à appel à des "créatifs" pour tenter de rendre à nouveau productive la pression. Nous étions chargées d'animer quelques ateliers d'écriture et rédiger dans les journaux de propagande interne des articles de pure contestation. Ce dont je savais pouvoir fort bien m'occuper.
J'avais quelques scrupules à contribuer à ce qui était au fond une manipulation de plus, cette force du capitalisme d'alimenter ses propres circuits par sa contestation même. En même temps nous avions un statut semblable à celui des sportifs de haut niveau de certaines disciplines olympiques, un emploi peu contraint pour pouvoir s'entraîner et nos contrats stipulaient une entière liberté de propos, notre job était vigies, quitte à déplaire. Il eût d'aillleurs déplu qu'on ne déplaise pas.
Nos bureaux étaient individuels et pourvus d'un accès l'un à l'autre direct, le mien plus petit, c'était Annie la responsable et ça me convenait. Mon problème avec la hiérarchie et l'autorité ne survient que lorsqu'elles ne sont pas basée sur l'écart de compétence. Consciente de mes limites, je n'aime rien tant qu'être le Watson d'un Holmes supérieur. J'y suis au meilleur de mon efficacité.
Les ordinateurs étaient parfaits, la connexion plus rapide que la pensée, la vue celle sur Paris que j'avais du temps de la tour Ariane et qu'elle m'encourageait.
Cette première journée était ensoleillée. Nous rigolions, complices et pas dupes, des présentations qu'on nous accordait avec une déférence surfaite.
Dans l'après-midi d'un accord tacite, nous nous étions consacrées chacune à nos travaux personnels, déterminées à ne pas laisser perdre une miette de cette étrange opportunité et assez méfiantes quant à la durée de l'expérience : le cynisme sociétal de nos employeurs n'empêchait pas leur naïveté et nous savions l'une comme l'autre que notre force de subversion n'avait de limite que celles de nos santés et du temps compté.
(Je me suis réveillée parce que j'en rigolais)
(Et puis bosser avec Annie Ernaux, mazette, quelle consécration ! Au prochain beau rêve, j'embarque Virginia Woolf ;-) )
La qualité de nos songes est faite de présomption quand le meilleur de nos vies ne saurait se traverser sans la plus grande humilité.
Au moment de partir, elle me dit que La Défense, finalement, en RER s'était pratique pour elle (1) et s'inquiétait de mon trajet, je répondais que je n'étais pas loin et surtout habituée (2).
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(1) C'était un rêve qui pense à tout.
(2) Tiens, il faudrait que je compte le nombre d'années durant lesquelles j'ai travaillé à La Défense en pour de vrai.