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Le rêve (ultra) contemporain

Cette nuit, au chaud

 

Je sais bien d'où ce rêve me vient : je lis en ce moment son "Atelier noir" chez les Busclats ; et puis aussi de mon histoire professionnelle personnelle.

 

Mais voilà :

Je retournais travailler dans un bureau d'une tour à La Défense. Un éclat de conscience, sans doute qui fait que du rêve je me suis au réveil rappelée, m'a fait penser "Oh non pas ça !". Mais étrangement j'étais joyeuse.

Un peu comme l'autre jeudi quand j'ai reçu la lettre d'Anna après une petite déception affective, et que plus tard dans la journée je me sentais joyeuse, me demandant pourquoi, puis me souvenais du courrier qui réconfortait et d'où l'allégresse me venait.

Et alors je me rappelais : j'allais travailler avec Annie Ernaux. C'est même elle avec mon amie la DRH Mireille qui m'avait embauchée. Un salaire confortable (enfin !) et régulier (puisque c'est un rêve, on peut toujours rêver) pour assister cette femme dont j'admire le travail.

Les entreprises avaient en effet décidé face aux vagues de suicides consécutives à la managérialisation à outrance, ainsi qu'au totalitarisme ambiant qui s'avérait contreproductif finalement, de créer des possibilités d'échanges et d'expression, des endroits subtilement délimités afin d'y laisser libre cours aux prostestations et contestations. On en était en effet arrivés à un mode de fonctionnement où les seuls conflits autorisés étaient ceux d'enjeux de pouvoir et d'ambitions, tout le reste était verrouillé, les salariés paralysés par la peur de perdre leur emploi, mais de fait les rouages grippés, plus rien d'innovant et les bénéfices qui chutaient.

Au prétexte de prendre en compte les gens, on avait donc décidé de remédier à cette trop grande réussite de l'oppression du rendement et faire à appel à des "créatifs" pour tenter de rendre à nouveau productive la pression. Nous étions chargées d'animer quelques ateliers d'écriture et rédiger dans les journaux de propagande interne des articles de pure contestation. Ce dont je savais pouvoir fort bien m'occuper.

J'avais quelques scrupules à contribuer à ce qui était au fond une manipulation de plus, cette force du capitalisme d'alimenter ses propres circuits par sa contestation même. En même temps nous avions un statut semblable à celui des sportifs de haut niveau de certaines disciplines olympiques, un emploi peu contraint pour pouvoir s'entraîner et nos contrats stipulaient une entière liberté de propos, notre job était vigies, quitte à déplaire. Il eût d'aillleurs déplu qu'on ne déplaise pas.

Nos bureaux étaient individuels et pourvus d'un accès l'un à l'autre direct, le mien plus petit, c'était Annie la responsable et ça me convenait. Mon problème avec la hiérarchie et l'autorité ne survient que lorsqu'elles ne sont pas basée sur l'écart de compétence. Consciente de mes limites, je n'aime rien tant qu'être le Watson d'un Holmes supérieur. J'y suis au meilleur de mon efficacité.

Les ordinateurs étaient parfaits, la connexion plus rapide que la pensée, la vue celle sur Paris que j'avais du temps de la tour Ariane et qu'elle m'encourageait.

Cette première journée était ensoleillée. Nous rigolions, complices et pas dupes, des présentations qu'on nous accordait avec une déférence surfaite.

Dans l'après-midi d'un accord tacite, nous nous étions consacrées chacune à nos travaux personnels, déterminées à ne pas laisser perdre une miette de cette étrange opportunité et assez méfiantes quant à la durée de l'expérience : le cynisme sociétal de nos employeurs n'empêchait pas leur naïveté et nous savions l'une comme l'autre que notre force de subversion n'avait de limite que celles de nos santés et du temps compté.

(Je me suis réveillée parce que j'en rigolais) 

(Et puis bosser avec Annie Ernaux, mazette, quelle consécration ! Au prochain beau rêve, j'embarque Virginia Woolf ;-) )

La qualité de nos songes est faite de présomption quand le meilleur de nos vies ne saurait se traverser sans la plus grande humilité.

Au moment de partir, elle me dit que La Défense, finalement, en RER s'était pratique pour elle (1) et s'inquiétait de mon trajet, je répondais que je n'étais pas loin et surtout habituée (2).

 

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(1) C'était un rêve qui pense à tout.

(2) Tiens, il faudrait que je compte le nombre d'années durant lesquelles j'ai travaillé à La Défense en pour de vrai.


L'homme casqué

au coin de la rue, jeudi fin de matinée

 

CIMG4021Je marche vite, j'ai rendez-vous et compte "descendre" en vélib, d'où la nécessité d'un quart d'heure à l'avance en cas de mal à se garer (1). Au tournant du trottoir il s'en faut donc de peu que je ne percute cet homme de noir vêtu, pourtant piéton mais tout casqué et qui marche de long en large. Le téléphone est dans le casque, d'où qu'il ne l'a pas posé mais sans doute si le scooter assorti, le temps de prendre ce coup de fil dont je n'entends qu'une phrase au ton ferme et sans riposte :


- Il est vrai qu'on ne peut pas dire que cet appartement soit un summum de calme.


J'éclate de rire tout en filant, ce qui passe inaperçu, trop absorbé qu'il est, agent immobilier ?, dans la poursuite curieuse de sa conversation, homme transformé en cabine téléphonique dont il a l'exclusivité.

J'aurais pu avoir mal si nous nous étions percutés.

(1) Ce qui ne fut pas un luxe : deux stations complètes et la 3ème, plus loin, j'y ai pris le dernier plot malgré ce petit coup de chance dans la malchance. Résultat : 10 mn de retard.

[photo : peu après]

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Le mémo du mémorial

ce matin au courrier de la vieille poste, celui que dans l'immeuble on va chercher en bas.

 

Tout un lot d'enveloppes sérieuses, par une ficelle soigneusement nouées. Usual stuff, factures et relevés.

Parmi ce qu'elles contiennent un lot de jolis papiers colorés de la part de ma banque qui me propose un fabuleux agenda, en cuir, design féminin, en rouge ou noir au choix, tout ça tout ça, présenté sur un mode On vous l'offre pour récompenser votre fidélité (1). Il ne m'en coûtera que 5,90€ de frais d'envois et en tout petit ... la première année. En y regardant de plus près, car cette précision intrigue, accepter l'offre revient à s'engager à en recevoir un tous les ans pour la somme d'un nombre d'euros suffisants pour en trouver un beau dans le commerce, prélèvement automatique sauf à penser à temps de résilier cet abonnement. L'anarque est subtile : tout est tout bien écrit, mais néanmoins présenté de façon à induire la cliente pressée en erreur, qui aura lu trop vite, cru qu'on lui envoyait vraiment un agenda offert, qu'il suffisait de remplir le bon.

L'enveloppe voisine est de toute sobriété, pas de couleurs, essentiellement du texte. Et un carnet. Tout simple, aux feuilles blanches, le format idéal pour un petit sac ou une poche, avoir ainsi de quoi noter. Il est complété par un appel aux dons. C'est le mémorial de la shoah qui l'envoie, où je vais parfois écouter des conférences. Je fais partie des vieux humanistes ringards qui croient encore que transmettre peut permettre d'éviter le retour du pire. Et à part une pandémie mortelle générale ou une guerre nucléaire, le pire c'est quand un groupe d'humains décide d'en décimer un autre de façon industrialisée. Et y parvient.

Le contraste entre les deux envois n'aurait pas pu être plus saisissant.

J'ai jeté l'un et conservé de l'autre les documents qui pourraient me permettre d'aider si jamais un jour la fortune me souriait. Quant au carnet, il servira.

 

(1) Je veux que je suis fidèle, pendant plus de 20 ans j'y bossais, bien obligée d'y avoir au moins un compte pour y recevoir ma paie. Après, je suis restée.

 


Le sèche-linge interdit (spéciale dédicace pour @edasfr)

aujourd'hui, au club de gym


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Je n'aime pas les interdictions, en plus que depuis ces 10 ou 12 dernières années elles tendent à se multiplier, probablement pour d'obcures questions d'assurances et que les propriétaires des lieux où l'on se trouve, qu'il s'agisse d'un club de gym, de locaux d'entreprise ou de quoi que ce soit) puissent se dédouaner en cas d'utilisation induisant un péril, provoquant l'accident.

Mais celle-ci me plait.

Je me demande si elle n'est pas venue d'avoir trouvé un jour quelqu'un qui le faisait.

J'imagine alors une lessive entière, fils et pinces-à-lige, un plan napolitain, du jean à la guêpière et aux dessous coquins.

L'idée semble astucieuse.

Je présume qu'il y aurait risque d'incendie ?


[mauvaise photo mais sans trucages]

 


Pas belle mais rebelle

aujourd'hui au vestiaire (et après)

 

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La première fois c'était au bord de la mer. 

Comme mes cheveux ont déclaré leur indépendance au milieu des années soixantes, d'une façon que le degré d'humidité ambiant ne laisse pas indifférente, j'avais ri un bon coup, à défaut d'en tirer.

L'objet oublié (1) était en effet pour ce bref voyage un shampoing. J'étais donc allée me rééquiper au plus vite au plus près : une pharmacie et donc dûment pourvue en produits de soins. Comme ma tignasse ne souffre de rien, et que les bords de mer la rende inclassable j'avais cru judicieux de m'équiper d'un "anti-frizz" (sic) pour "cheveux rebelles et indisciplinés", on ne pouvait mieux qualifier les miens.

Le résultat fut ... des frisures proches des coiffures afro-américaines des années 70. Au point que j'avais cru un instant avoir mal compris : peut-être que ce shampoing était pour maintenir les boucles obtenues par intervention artificielle (2). 

Alors j'ai relu les détails d'emballage. C'était même écrit en 10 langues, shampoing lissage soyeux, shampoo capelli lisci effetto seta per capelli ribelli e indisciplinati.

De retour à la maison, j'ai retrouvé l'usage des usual cosmétiques, le n'importe quoi qui traîne aux abords de la baignoire quand j'en ai soudain besoin et qui ne fait aucun effet particulier sinon lavant.

Devant filer à la danse et prévoyant la douche qui suivrait, j'ai aujourd'hui un peu par hasard (et une brève vélléité de ranger) retrouvé le shampoing particulier dont le contenant de taille raisonnable ne risquait guère d'alourdir mon sac.

Je suis à Paris.

La mer est loin.

Ce n'est pas un jour de pluie.

Je me suis pourtant retrouvée avec une coiffure en mode Jackson Five des grandes années., en plus gris.

Si j'étais aux États-Unis, je prendrais un luxueux avocat et j'attaquerais la marque pour publicité mensongère. Mais puisque je suis ici, vieille et sage, le mieux est de laisser faire le naturel en toute liberté.

 

[photo : j'avais entre temps passé un peigne, histoire de voir si l'effet lissant nécessitait un auxiliaire ; peine perdue, mais c'est moins spectaculaire même si subsiste un peu du crépu]

 

(1) Quoi qu'on fasse il reste toujours lors d'un voyage un objet oublié à la maison. J'ai une certaine prédilection pour le peigne ou la brosse à dent, mais parfois je m'accorde quelque fantaisie : chaussons, chaussettes ou shampoing.

(2) Ça restera pour moi un mystère : pourquoi des êtres humains qui ont la chance d'être nés coiffés se font faire des fausses frisures, qu'en plus ça se voit que c'est du pas vrai ?


La légende confuse de l'oncle Benito

I can't say when, I just don't know

 

Tout a (re)commencé par un touite de Maître Eolas, que j'ai lu d'abord d'un œil amusé

Image 1

 

 

avant qu'il ne me fasse flipper ma race, car j'ai mauvais esprit : un prénom de fille italien, mais ... Au secours !, Non !, Pas ça !


Une rapide recherche m'a fait comprendre qu'à un u et un i près,  ainsi qu'au soutien du D mon bien-aimé, j'étais sauvée. Je n'ose imaginer l'enfer d'allusions que serait devenue ma vie sinon. Oh putain bordel merde con (1). C'est déjà assez pesant d'être née presque en même temps qu'un président des États-Unis est mort, je n'allais pas en plus porter le même prénom que l'enfant d'un politicien pour lequel j'ai peu d'estime (1bis).

  

Il faut dire qu'à cause de la profonde méconnaissance de ses parents en terme de vie des célébrités un genre d'aventure voisin était arrivée à ma fille, baptisée en toute innocence de la même façon qu'une femme qui se trouva peu après, mais heureusement assez brièvement, sous les feux de la rampe (merci Laeticia). Dès lors un réflexe de type "Ah non, ça va pas recommencer !" était assez compréhensible.

  

Et que cette question des prénoms venait réveiller chez moi un mystérieux et obscur antécédent de la génération d'avant.

  

Mon père était italien, issu d'une nombreuse fratrie dont beaucoup sont morts dès la naissance ou jeunes. Ces dernières années trois parmi les quatre qui s'étaient montrés jusque-là vaillants sont morts de cancers à ces âges précédents le grand âge. Ne reste plus que le benjamin, celui auquel Paul Newman ressemblait. Il n'en demeure pas moins que du vivant des autres, et comme c'est souvent le cas dans les familles nombreuses quand plus de 20 ans séparent le plus jeune de l'aîné, et qu'une dictature plus une guerre mondiale viennent perturber la vie quotidienne, il avait souvent de leurs souvenirs en théorie communs une version divergente. Bien plus optimiste - peut-être qu'au plus petit on ne disait pas tout -, miraluleuse et colorée, héroïque et drôle.

 

Bref, je n'ai plus grand-monde à qui demander une once de vérité.

 

Sans compter que je n'ai appris la langue que par imprégnation estivale, ce qui aux légendes familiales n'aura fait que rajouter des fantaisies de mon cru français.

 

Ainsi j'ignore combien d'enfants ma grand-mère paternelle avait mis au monde, si certains bébés ont un peu vécu, s'ils étaient morts-nés ou perdus à peine esquissés. J'ai cru par recoupements comprendre 16 grossesses dont 13 accouchements, et la seule certitude est que 7 parvinrent malgré la guerre, ses bombes et ses privations, à l'âge adulte - le Dieu de ma Nonna, au fond, était bon -. 

 

Je sais en revanche avec une probabilité tendant vers un que mon grand-père paternel, ancien boulanger du sud reconverti en ouvrier chez Fiat à Turin, a fait de la prison sous Mussolini et pas pour une cause de droit commun. En revanche, impossible d'obtenir une idée fiable de la durée de ce séjour ni de sa cause : selon les interlocuteurs et l'ambiance du repas où les faits furent évoqués, il pouvait s'agir d'une simple rafle de rue, il n'avait pas ses papiers, hop au trou le temps qu'on vérifie, jusqu'à un fait de résistance et qu'on avait craint pour sa vie. Une version intermédiaire me semble la plus plausible : les ouvriers de l'usine étaient réquisitionnés pour aller acclamer le dictateur lors d'un de ses déplacements dans la ville (2) et mon grand-père (peut-être socialiste sinon syndiqué ?) avait décliné l'invitation, ce qui était risqué.

 

À l'opposé, j'ai oui-dire par plusieurs adultes à chaque fois désireux de détourner le sujet si l'on voulait en savoir davantage, qu'aux niveaux intermédiaires de la fratrie, soit dans les années 35 à 45, un jeune Benito serait né. Mon père, placé en pension (3) dès l'âge de 10 ans en un temps où ça ressemblait fort à un internement disciplinaire et où les enfants ne revoyaient leur famille qu'à Noël, Pâques peut-être, et aux grandes vacances, disait qu'il ne savait presque rien de leur vie quand il fut loin, que de toutes façons il n'avait de souvenir de sa mère qu'enceinte, ou plus tard vieille dame au corps sans forme tant il avait servi, des bébés ont pu naître, vivoter et s'en retourner rapidement dans les limbes sans qu'il n'en eût rien su.
D'autres oncles, si l'on posait une question plus avant, répondaient que de toutes façons il n'avait pas vécu (mort tout petit ou bien mort né ?), ce qui rendait le problème superflu. Quelqu'un m'a dit un jour qu'il y avait des mesures propagandistes visant à aider matériellement les familles des enfants ainsi prénommés, que l'appeler ainsi ne marquait pas d'accord politique mais un grand désespoir économique et nourricier. Les aînés, je le sais, avaient souffert de la faim, et bien avant la guerre.

 

N'empêche, ça fait peur. Si des parents en arrivent à considérer qu'il vaut mieux pour leur petit plutôt qu'un ventre vide un prénom importable.

 

Et même si sans doute existe de nos jours dans le même ordre d'idée ici ou là dans le monde, qu'une marque parraine un bébé dûment prénommé et qu'il devienne ainsi par son existence même une vivante publicité. 

 

Je crois donc savoir que s'il avait vécu, j'aurais croisé un Zio Benito, peut-être un type plein d'humour et gentil (4), sans doute entre-temps renommé d'usage Tino, Tito ou tout autre chose.

 

Et ça reste troublant, tant le fait lui-même que la confusion qui règne autour de sa légende d'être inexistant.

 

 

(1) Vulgarité de soulagement.

(1bis) Litote de politesse.

(2) J'en avais trouvé deux dates possibles.

(3) Sur cette question aussi, tant de divergences. Seule certitude : il y fut de 10 à 16 ou 17 ans et en souffrit énormément, la guerre n'arrangeant rien (famine et bombardements)

(4) Défaut familial assez répandu. 

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"silencieux et lisse" : le (presque) rien que je sais du 17 octobre 1961

hic et nunc, faire le point

 

"Il pensait que pour être respecté, un immigré devait être silencieux et lisse, explique son fils. Il voulait nous protéger, éviter que l'on ait ces affreuses images dans la tête.". Cette phrase de témoignage extraite de l'article d'Anne Chemin dans Le Monde me rappelle mon père.


Il n'était pas Algérien, simple immigré italien. Bénéficiant à ce titre et jusqu'à l'âge des cheveux blancs, où il n'eut plus l'air que d'un monsieur vieillissant d'ici et de partout, d'une forme plus insidieuse de xénophobie sur le mode Vous êtes bosseurs, vous, au moins (1).


Mais je me souviens très bien qu'un jour devant l'image du vieux monsieur fâché en gris qui semblait parfois à la télé venir donner des leçons sévères (1 bis), mon père m'avait dit : quand on vient d'un autre pays il ne faut jamais parler de politique dans celui où on vit.

  

Toute gamine, mais déjà équipée de souvenirs sur la difficulté de franchir une frontière quand on a un papa pourvu d'un passeport étranger, j'avais supposé que la menace était d'être renvoyé dans le pays d'où l'on venait.

  

Plus tard (collégienne ? ou par mes lectures ? ou le cinéma ?) (2), quand j'ai su pour le fascisme et Mussolini, j'ai rétrospectivement pensé que mon père avait été marqué par les années de dictature. Lors d'une réunion de famille j'avais entendu dire que mon grand-père paternel avait fait un peu de prison pour non-participation à une sorte de grand-messe où la foule en liesse devait acclamer le dictateur. Il m'était donc paru évident que ces paroles de mon père, que j'avais senti grave et qui m'avaient marquées, s'appliquait à la part arbitraire de tout régime qui fait qu'on peut se retrouver en tôle pour un mot de contestation.

  

Je me souviens que mes parents, les deux, et avant que j'atteigne l'âge de pouvoir être concernée et tentée d'y aller, estimaient que participer à une manifestation de protestation était un grand risque (3). Je pensais qu'ils exagéraient. Ça s'est calmé sous Giscard, qui avait réussi à donner une image de modernité telle qu'on estimait que tirer sur la foule n'était plus de mise. On ne risquait plus que d'être mis en tôle ce qui était toutefois (considéré comme) très infammant.

  

C'est au cours des années 70 que j'ai appris que quelque chose de pas tout à fait normal c'était passé quelques années avant ma naissance, lors d'une manifestations de travailleurs immigrés, et à Paris.

  

Un article dans le Nouvel Obs.

 

Qui n'était pas très long (si mes souvenirs sont bons) et comportait beaucoup d'inexprimé, toute jeune que j'étais je pigeais que l'essentiel était entre les lignes, qu'il me manquait les éléments pour décoder.

 

Mais comme je lisais son magazine en cachette de mon père, il n'était pas question de lui poser des questions.

  

Il travaillait dans une usine automobile, dans les bureaux de dessinateurs après un temps aux ateliers. Il y avait gardé quelques potes algériens, qu'il évoquait parfois avec bienveillance. Souvent de brêves anecdotes où il était question qu'untel ou tel autre, en lui expliquant un problème sur une pièce détachée lui avait fait gagner du temps dans son propre travail. Parfois quelque bonne chose à manger ou à boire que l'un ou l'autre rapportait d'un retour au pays.

  

Ce que je savais de la guerre d'Algérie c'est que c'était une guerre difficile à comprendre, pas comme la seconde guerre mondiale où les Allemands nazis étaient les méchants et les Américains les gentils, et à laquelle la plupart des papas de mes camarades de classe avait été envoyés. Et même que pour certains ça les avait rendus un peu fous et que certains soirs ça dérouillait chez eux ("C'est parce qu'il a fait la guerre d'Algérie" expliquait l'une ou l'autre gamine, les yeux bouffis d'avoir trop pleurés, "Ma mère elle dit qu'il est comme ça depuis"). Ou bien certaines nuits le père faisait des cauchemars à réveiller toute la famille par ses hurlements.

  

C'est à cause de ça que j'avais appris (à 6 ou 7 ans) que mon père venait d'ailleurs. Car il ne l'avait pas faite. Je lui avais demandé pourquoi. Il m'avait expliqué que c'était une guerre qui n'avait concerné que les Français tout seuls et les Algériens et que lui-même était Italien. Alors non. 

  

Jusque-là j'avais cru que toutes les familles avaient deux pays, celui où elles vivaient l'année parce qu'il fallait travailler pour gagner de l'argent et celui pour les grandes vacances où la vie était belle mais où on ne pouvait pas rester parce que le travail pour gagner de l'argent était dans l'autre. Quel dommage.

  

D'ailleurs quand j'avais compris que tout le monde n'avait pas un pays de belles vacances, je m'étais sentie immensément privilégiée. Et d'ailleurs aussi d'avoir un papa qui n'avait pas fait de guerre ni tué personne. C'est rassurant un papa qui ne tue pas, pas même comme soldat.

  

Il a fallu donc très longtemps, très très, pour que je comprenne que par ses amis Algériens pour octobre 61 mon père savait, et que c'était à ça qu'il pensait lorsqu'il m'avait dit qu'un étranger dans un pays doit fermer sa gueule quant à la politique de là où il vit, et se contenter éventuellement à peine un peu d'en parler chez lui.

  

"silencieux et lisse".

 

Sous la chappe de plomb imposée, l'avertissement avait porté bien au delà d'une seule communauté. Les hommes qui avaient des amis Algériens savaient.  

  

 

(1) du même ordre que l'attitude de certains français envers les vietnamiens.

(1 bis) De Gaulle, bien sûr (éviter les allusions trop générationnelles sans la moindre explication).

(2) Ma mère effectuait une censure drastique : personne ne devait prononcer le mot "guerre" devant ma sœur ou moi, s'il y en avait à la télé soit un film soit aux infos elle éteignait le poste ou nous éloignait d'autorité et elle avait engueulé mon grand-père son père un jour qu'à mon plus grand intérêt il s'était hasardé à me dire un peu de "sa" grande guerre. Je lui en veux encore. Je crois que ma sœur, non.

(3) Au point que ma mère entendant parler de blessés après une des grandes manifestations anti-nucléaires qu'il y eu ces années-là avait eu un commentaire de type : ils savaient bien à quoi ils s'exposaient (implicite : ils n'avaient qu'à pas y aller).

 

 


Il en faut

au bureau de vote, ce matin

 

Ils sont sortis de leur stupéfaction du succès de la semaine précédente, et à la vérification des inscriptions l'un des assesseurs est efficace qui en plus retient les présences et les noms. Ce qui est amusant c'est qu'il ne peut s'empêcher de dire à voix haute ce à quoi il les associe. 

Un homme qui me précédait a donc eu droit à un commentaire de type "comme l'ancien ministre" (j'ignore lequel je n'écoutais pas) et celui juste avant moi à "Robinet ? Vous vous appelez comme mon ancien voisin", ce à quoi l'homme désigné, pince sans rire, a répondu :


- Il y en a beaucoup des Robinet.


J'ai retenu un grand rire (et un mauvais jeu de mots).


Une brève de comptoir comme ça ne s'invente pas

Au dernier mardi soir de l'été d'octobre, à Montreuil, cette année

 

J'étais en excellente compagnie en terrasse (1) et nous buvions des bières, savourant en fin de nos journées de travail respectives un moment de détente bien gagné. Mais celles-ci produisant leur effet (2) j'ai dû quitter un temps mes commensaux pour aller "au fond à gauche" du café qui nous accueillait.

C'est en passant près du comptoir que j'ai entendu cette bribe entre deux hommes que leurs consommations rendaient pensifs sur l'état de la situation : 

- De toutes façons, la bourse s'effondre, disait l'un avec un ton de "Ce monde se casse la gueule mais on n'y peut rien".

- Même l'amour, répondit l'autre noyé dans un chagrin (3).

 

Je regrette de n'être pas cinéaste, à peine arrangée, la scène était parfaite et digne de figurer dans la bande annonce : en trois mots tout était dit.

J'ai retrouvé ma tablée que j'en souriais encore.

 

(1) Anne, Lydie, Marie, Jean-Marie et une autre personne dont j'ai hélas oublié le prénom. 

(2) Par je ne sais quel spécificité organique je peux en boire en quantité sans effet notable ... autre que devoir aller aux toilettes toutes les 5 mn, mais quand je dis 5 mn c'est sans exagérer (hélas).

(3) et à mille lieu du jeu de mots