Ce week-end, au bord d'un océan
Je préfère me moquer de moi-même que des autres, ou mettre en boîte les copains mais en leur présence, seulement voilà, parfois les gens que la vie nous présente et avec lesquels nous devons parler nous font des sortes de sketchs qu'on croirait tout droit sortis d'un spectacle comique.
Et je ne suis vraiment pas très douée à retenir mes rires.
C'était la très jeune femme qui nous a accueillis à l'hôtel le premier jour. Une petite fausse blonde comme il y en a tant, soucieuse, soigneuse de son apparence et précisément se conformant aux canons du moment, désireuse de bien faire - visiblement -.
La première bizarrerie est apparue quand j'ai eu l'idée incongrue de lui demander après qu'elle nous avait remis la clef en nous accompagnant à la chambre alors que je venais de lui dire que je connaissais les lieux, s'il fallait un code pour le wi-fi. J'ai eu l'impression d'avoir prononcé un mot vulgaire, grossier ou osé, eussé-je dit "levrette" (1) qu'elle n'eût pas présenté un visage différent, entre ahuri et un peu offusqué.
Elle m'a finalement dit qu'elle ne savait pas parce que l'hôtel avait changé de propriétaire il y a deux mois.
J'ai songé qu'il était sage de ne pas insister, qu'il y aurait probablement une personne mieux informée à l'accueil un peu plus tard et qu'il était inutile de persécuter inutilement celle qui avait le malheur de prendre son tour de garde quand arrivait une dangereuse internaute, l'internet c'est le diable, nous tous le savons.
Puis elle nous a demandé à quelle heure nous descendrions prendre au lendemain notre petit déjeuner. J'ai logiquement demandé entre quelle et quelle heure il était servi, elle m'a répondu entre 8 et 10, j'ai dit que nous descendrions entre 8 et 10 que ça nous allait et elle a alors insisté : - Oui mais à quelle heure vous descendrez ?
Puis comme on mettait un temps à répondre - pourquoi donc veut-elle un horaire précis ?- elle s'est justifiée : - C'est pour mon collègue, vous comprenez ?
Celui qui m'accompagnait a alors courageusement hasardé un Huit heure et demi, qui a clos une conversation laquelle menaçait dangereusement de me rappeler Teddy Vrignault et son complice ( - Le train pour où ? Pour Caen. Oui mais pour où ? etc.).
Pour le wi-fi je me suis débrouillée.
Au surlendemain matin, et alors que nous avions eu affaire la veille à des personnes affables, dont une parfaite jeune femme brune, et aux réactions compréhensibles, y compris lorsque nous signalâmes que le lait était tourné - probablement car nous étions descendus lâchement à 8h34 -, elle prit son service dans la matinée et s'empressa de venir frapper à notre porte.
- À quelle heure vous libérez la chambre ? C'est pour faire le ménage.
J'ai répondu que nous ne savions pas encore, c'était pour plusieurs raisons - une course à faire, les amis que nous avions hâte d'aller retrouver ... - la stricte vérité. Que notre journée ne soit pas déjà planifiée à la minute près a semblé la plonger dans un abîme de perplexité.
Une demi-heure plus tard, elle est revenue, poser la même question, comme si elle avait passé tout le temps intemédiaire à réfléchir comment était possible une telle anomalie, des gens qui un dimanche à 9 heures et demi ou 10 heures du matin ne savent pas encore précisément quand ils vont bouger.
J'ai soudain compris que sous son apparence d'ultra-conformité se cachait quelqu'un qui tentait désespérément de faire comme tout le monde, mais qu'elle devait souffrir d'un handicap léger, qu'elle avait du mal et besoin de se rattracher à des choses à la fois strictes et simples pour pouvoir les accomplir et que s'y joignait quelque peur de mal faire. Alors à la deuxième demande j'ai répondu doucement que ce n'était pas grave si elle ne faisait pas le ménage aujourd'hui, que nous gardions la chambre encore jusqu'au lundi que surtout elle ne se tracasse pas et qu'on ne lui en voudrait pas de ne pas l'avoir fait, Ne vous inquiétez pas, le lit on le refera, vous avez sûrement d'autres choses à faire. J'ai cru déceler une étincelle de compréhension, elle a remercié et s'est éclipsée.
Pour revenir un quart d'heure après. Entre temps, qui m'accompagnait était revenu de faire ses emplettes ou sorti de la salle de bain et c'est lui qui a répondu. Il n'avait pas entendu les tentatives précédentes et, plongée dans une heureuse lecture (2), je n'avais pas pensé à lui parler des interventions qui avaient préludé à cette nouvelle interruption de nos activités, par chance alors très sages (2 bis).
C'était la jeune femme consciencieuse qui demandait si cependant nous voulions des serviettes ou des draps propres. Il a dû deviner que j'avais dit qu'un ménage pour ce jour était inutile et répondu que ce n'était pas la peine, que les précédentes iraient encore très bien, que faire des lessives inutiles nuisait à l'environnement (et là je dresse l'oreille sur le mode, Ben qu'est-ce qu'il a ce matin, qu'est-ce qui lui prend ?) et je l'entends ajouter d'un ton professoral gentil (3) - Vous avez déjà entendu parler du développement durable ?
Je n'ai pas attendu la suite de l'exposé (4), j'ai filé sur la terrasser exploser (de rire).
Mon manque de charité est atténué par le fait qu'elle est probablement à l'heure où j'écris à trois minutes près, retard impardonnable, en train d'expliquer à sa famille que vraiment ce week-end il y a eu à l'hôtel des parisiens, des fous. Et qui n'avaient ni horaires ni (sens de l')hygiène. Vraiment, parfois, les clients ...
(1) cf. un billet mémorable de La fille aux craies (le retrouver quand je pourrai)
(2) "La femme et l'ours" de Philippe Jaenada, un régal de rire et de tragédies locales, comme dans la vie mais en mieux écrit.
(2 bis) Encore que je ne suis pas persuadée qu'il soit très sage de lire un roman de Philippe Jaenada, d'autant plus que celui-ci comporte quelques scènes à la sensualité surprenante quoiqu'au romantisme douteux. J'admire ceux qui savent faire rire sans vulgarité avec les moments bizarres de l'animal humain.
(3) Ce n'était pas pour se moquer, il était soudain lui-même tombé dans une faille écolo-militante, peut-être un article dans un journal qu'il venait de feuilleter. Il a ce don de répéter sans discernement à la personne suivante ce que vient de dire la personne d'avant (ou l'article qu'il vient de lire ou ce qu'il vient d'entendre aux informations) parfois de façon totalement hors sujet et inappropriée. Là au moins, il y avait un lien.
(4) Mais j'ai néanmoins capté qu'il profitait ensuite du premier degré irréductible de l'interlocutrice pour se rancarder sur la jolie femme du patron.