Cet après-midi
Je reviens d'un doux moment, mais les meilleures choses ont une fin, à la maison quelques nécessités m'attendent, "de ces activités que les femmes aiment tant" a dit la veille au soir Auđur Ava Olafsdottir, second degré même en français.
Il pleuvine.
Mon Olympus me manque et mon non-amoureux, mon non-amant, qu'un homme enfin m'aime vraiment et pas seulement en interstice, en complément ou à défaut d'une qui rend fou. Moi je sais rendre (un peu) heureux, mais voilà, dès qu'ils vont un peu mieux, les hommes s'en vont ailleurs et me laissent à ma peine, assez vite oublieux, passé de brefs remerciements et prends soin de toi, on se tient au courant ou encore, ne t'inquiète pas je ne pars pas (mais c'est à l'autre que je pense et plus rarement à toi) ; parfois même reconnaissants envers d'autres dans un bel élan d'amnésie protectrice (je suppose) - surtout effacer de sa mémoire les moments où l'on était si mal et qui vous a vu au plus bas -. Du fait même d'avoir aidé on n'existe plus.
Pour autant, pour l'aller je fus accompagnée, et là c'est moi qui dois remercier. Et le petit Casio du temps de Voice of a City, lui, est à mon côté. Alors je profite du trajet à pied pour faire une chasse-photos pudique, paysages plutôt que personnes, détails qui serrent le souffle ou cadrages amusants.
La conversation m'a aidée à y voir plus clair, je crois enfin savoir ce qui me reste à faire quant au sujet de mon (principal) tourment. Les mois à venir seront de solitude. Survivre, sans doute, est à ce prix.
Je suis donc à la fois attentive à la vue, ainsi que toute photographe, et perdue dans mes pensées, ce qui est moins recommandé.
Qu'il soit juste affectif ou de grande tragédie, le chagrin nous enserre et nous rend aussi peu réceptifs aux beautés du monde comme à leurs accidents qu'admiratif au paysage un pauvre agneau qu'un aigle saisirait. Je suis depuis plusieurs semaines plutôt absente, en fait. Concentrée sur tenir le coup et préserver coûte que coûte la qualité de mon travail. Mais pour le reste, à côté.
L'actualité me parvient cependant ; son bruit atténué. C'est comme d'être cloué au lit enfiévré, lorsqu'on refait surface on ignore ce qui s'est passé, mais l'on a peut-être capté une bribe, deux mots à la radio ; on reste conscient que la planète tournait.
Et puis il faut remarquer qu'en ce printemps, et la fin d'hiver qui vient de précéder, l'actualité a été violente, forte, inattendue, pleine de dangers pour qui était directement concerné. Difficile de n'en rien savoir, fors être malade gravement, dans un coma sévère, inconscient.
Entre Tunisie, Égypte, Libye, Syrie (1) et par ailleurs Japon dévasté, s'étaient même glissées quelques informations plus locales, comme la mort d'un jeune gars, à 5 km de chez moi, la mort par embrouilles inter-bandes inter-quartiers et qui peut-être ne le concernaient pas, il suffit alors d'être "pris pour", mauvaise heure, mauvais endroit, objet hasardeux d'une vengeance absurde.
En arrivant sur zone j'avais remarqué les cars de CRS et m'étais souvenue, qu'effectivement on était par là où ça s'était passé. Pensée brève. Sans s'attarder.
Alors que je repars, longe un stade, et suis presque parvenue au métro, je suis surprise par quelques bouquets de fleurs, une banderole, une photo attachée aux grilles du terrain de sport. Je comprends que c'est l'hommage improvisé de ses proches au garçon tué, qu'il a perdu la vie précisément là, près de ces buts de football, non loin d'un chantier, d'une barre d'appartements déjà désaffectée et en voie de démontage, que ce sont peut-être ces tribunes verticales et étroites qu'il aura vu en dernier, qu'une vie interrompue avant son terme paisible ôte quelque chose à l'ensemble de l'humanité. Je pense aussi à ceux et celles qui ont déposé les bouquets, leur deuil, que le défunt avait l'âge de mon fils, que sa fin ne rime à rien.
Et c'est une tragédie qui me ramène au monde, moi qui vais bien, moi qui n'ai rien qu'un cœur métaphoriquement meurtri et un corps dans l'oubli.
Repense aux lieux du crime si tu te sens flancher.
(1) Liste non exhaustive, je sais que ça bouge ailleurs aussi.
[photo : non loin de là]