Si fumer tue, lire rend malade (dans certains cas) (et d'ailleurs écrire aussi)
Il vaut mieux éviter de se faire percuter

Le soudeur et l'ancien enfant (de troupe)

Aujourd'hui, Paris, Petit Palais (qui hébergeait la Maison des Écrivains et ses activités)

 

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Ils ont tous deux beaucoup écrit, mais c'était de leur travail de diaristes dont il était question.

Ça tombe que j'avais lu Charles Juliet croyais-je adolescente, quand je vois la date de parution de "L'année de l'éveil", je comprends qu'il n'en était rien, que c'était plus tard. Seul mon bouleversement datait de l'enfance : mon père avait été envoyé à 10 ou 11 ans en pension chez les Salésiens un peu à l'écart de Turin où vivait sa famille, et quand j'étais petite il m'en racontait parfois, se faisant houspiller par ma mère qui s'opposait fermement à ce qu'on apprenne le monde (heureusement que m'a sauvée d'être une lectrice avide et mon père abonné à l'Express puis au Nouvel Observateur que je lisais en loucedé). Entre une discipline toute militaire, des journées entières consacrées à l'étude avec pratiquement pas de récréation, et la famine qu'ils subirent pendant la guerre, ça ressemblait bien fort à ces récits d'enfants enfermés que je lisais dès que j'en trouvais. Je n'ai compris qu'une éternité plus tard ce qu'il avait vraiment dû subir là-bas et dont il ne parlait pas, et qui pouvait expliquer ces bouffées de violences qu'il avait parfois - jamais contre ses enfants, seulement verbale, celle-là -.

En revanche j'avais compris combien il convenait d'admirer ceux qui comme Charles Juliet avaient trouvé moyen de parler (1). Confusément je ressentais que mon père, s'il avait pu en faire autant serait devenu l'homme qu'il était quand on regardait ensemble le foot à la télé, ou quand en oncle joyeux il chahutait avec mes cousins, et non pas la boule de grondements et colère qu'il était si souvent pour un oui ou pour un non. Pour lui qui assuma à certaines périodes des journées de travail double, qui avait perdu beaucoup de sa langue d'origine mais n'était peut-être pas totalement à l'aise pour envisager de l'écriture en français, pour lui devenu à force de trimer certes un peu moins pas qu'un prolétaire mais beaucoup moins et beaucoup plus épuisé que tout autre casier social, écrire était inenvisageable.

M'en est restée cette admiration immense pour ceux qui avaient franchi le pas. Et cette idée bien ancrée que c'était rendre service aux autres.

De Pierre Bergougnioux, comme souvent pour un certain type de rencontres décisives - celle d'avec ceux qu'on ne fréquente pas personnellement mais qui prennent place dans nos vies ? C'est en fait peut-être plus compliqué - je ne saurais dire depuis combien de temps je le "connais". J'ai le sentiment que c'est toujours. Je sais bien que non. Je sais aussi que c'est lié à Pierre Michon - mais lequel m'a guidée vers l'autre ? -. Je sais que je suis immensément loin d'avoir tout lu. Il se pourrait que ça soit Janu qui soit à l'origine de cette "rencontre".

Je sais que je ne me lasse pas, cet homme sage et venu de si loin, loin en tout et pas seulement en géographie, de l'écouter, lui qui parle en phrases d'écriture, au point parfois de verbaliser la ponctuation, comme certains profs d'antan. Lui dont m'amuse et m'attendrit l'humble cabotinage, qui n'est pas sculpteur mais un soudeur, et un seul mois par an.

Les deux hommes ont l'un pour l'autre cette admiration particulière de ceux qui s'en sont sortis avec une distribution de départ qui faisait d'eux aux yeux du monde des sans-atouts. Et qui savent ce qu'ils doivent à l'écriture, mode si particulier de sauver la mise, et si exigeant.

Ma semaine s'annonce chargée, le week-end prochain dense, le froid me dévore l'énergie ainsi qu'un rhume modéré mais dont je me serais si volontiers passée. Je sais cependant qu'à leurs mots je penserai et repenserai et à plusieurs reprises. Qu'ils me tiendront compagnie. Et je crois bien qu'à les écouter j'ai (un peu) grandi.

Merci

(à eux, à Dominique Viart qui fut un modérateur parfait, à qui organisait, à qui m'a accompagnée (j'y serais allée quand même, notez))


(1) Je me souviens aussi de "Chiens perdus sans collier" de Gilbert Cesbron et dans un domaine légèrement différent quoiqu'il s'agit également d'une oppression faite à des enfants "Vipère au poing" d'Hervé Bazin et bien sûr "Poil de Carotte" de Jules Renard.

PS : Mieux écrit et plus large de sujet, un billet chez Martine Sonnet

Virgule, plus tard, virgule

 

PS' : J'ai adoré la réponse de Pierre Bergougnioux à la question "Pourquoi "carnet de notes" et pas "journal" ?" et qui était de dire en substance et avec humour qu'un prof à cette appellation pouvait difficilement échapper, ou résister.

[photo : cet après-midi au Petit Palais ; merci à la MEL qui organisait]

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