Dans le XVI�me, quai du RER C, au bord d'une fin d'apr�s-midi de juillet
Le coup n'�tait pas port� pour faire mal (ou alors c'est rat�) ni pour d�s�quilibrer. J'ai d'ailleurs mis 2 secondes au moins � me rendre compte qu'on m'avait envoy� ce qu'il convient d'appeler un coup de pied aux fesses. Par d�finition je tournais le dos. Comme j'attendais paisiblement mon tour de monter dans le RER j'�tais simplement attentive � ceux qui descendaient afin de prendre place d�s qu'ils auraient fini.
� ma droite deux touristes asiatiques qui furent aussi sinon plus �berlu�es que moi. Nous avons �chang� un regard de parfaite incompr�hension, la mimique signifiant "Mais qu'est-ce qui lui prend � ce type ?" �tant internationale. Le type venait de la gauche, probablement qu'il descendait de la rame � la porte suivante et son forfait accompli il s'�tait �loign� � grande enjamb�es, hors de ma port�e. Il s'�tait n�anmoins retourn�, index en l'air comme quand on met un m�me ou un chaton en garde d'une b�tise � ne pas faire
"Attention, attention" a-t-il avertit ou menac� (je ne sais), puis il a fil� sans r�pondre � mon geste de perplexit� ; j'esp�re vers la sortie plut�t que vers la victime d'apr�s. J'esp�re que ce n'�tait pas le d�but d'une phase d�lirante chez un grave d�s�quilibr�. J'esp�re qu'il n'�tait pas arm� d'autres choses que ses chaussures (propres, en rentrant j'ai v�rifi�, mon pantalon n'�tait pas marqu� par son forfait).
Il ne paraissait ni ivre ni sous l'emprise d'un produit aux effets redoutables. Ne semblait pas non plus de ces fous furieux comme on en croise parfois et qui expriment une haine de l'univers entier. Soit il m'avertissait d'un danger, mais sur un mode fort �trange (et de quel danger ? Aurais-je m�content� un dieu inconnu ?), soit il tenait � marquer que quelque chose que j'avais fait lui d�plaisait.
Il �tait plut�t grand, moyen de corpulence, rien dans son allure ne signalait quoique ce soit de particulier, pantalon sombre, veste claire d'�t�. Il ne ressemblait pas aux st�r�otypes qu'on attribue aux "Roms" (comme ils disent) (je pr�cise pour calmer les ardeurs l�gif�ratroces de certains). Pas de signes religieux ostenstatoires. On pourrait presque dire qu'il avait l'air calme.
De mon c�t�, je rentrais d'un rendez-vous li� potentiellement � un futur travail, j'�tais donc habill�e sans aucune provocation, ni bustier (1), ni jupe courte, rien de ni tr�s large, ni �chancr�, ni tr�s moulant. Rien de griff�, que du discret.
Mon vieux sac � main � dos ; un sac plastique de magasin avec dedans une bo�te de rangement et trois bouquins ou plut�t deux et un � la main (2).
Je ne suis ni jeune ni le moins du monde sexy, il ne peut donc pas s'agir d'une technique de drague muscl�e.
Il �tait seul et sans appareil d'enregistrement, il ne s'agissait donc pas d'un plan � la je tape, je filme et je diffuse.
Rien ne m'a �t� vol�, il ne s'agissait pas d'une forme brutale (mais efficace) de diversion.
Je ne crois pas avoir rencontr� cet homme avant (5). Suis certaine de ne pas l'avoir bouscul� : au moment de l'arriv�e du RER � ma hauteur de quai j'�tais seule avec les deux touristes. Puis j'attendais donc sur le c�t� des portes et immobile que les gens descendent.
Je ne me connais pas d'ennemi suffisant pour qu'on me mette un contrat d'intimideur � gages. Je ne me connais m�me pas d'ennemis du tout ce qui est sans doute signe d'une belle insignifiance : ni en travail ni en amour il ne m'est arriv� de prendre la place de quelqu'un d'autre. Des personnes se lassent, s'agacent, malentendent et me quittent parfois, mais rien de plus. Et je peux supposer que s'en aller r�sout le probl�me que je leur posais.
Il n'avait pas l'air de tirer une satisfaction particuli�re de ce qu'il avait fait, ni moquerie ni fiert�, ni soulagement. Plut�t un sens du devoir, pr�venir, se faire respecter.
Rien de ce que je portais sur et avec moi n'exprimait d'engagement politique ou de soci�t�. Rien qui puisse �tre, je crois, pris pour une mauvaise d�claration.
Je n'�tais ni en train de t�l�phoner (ce qui peut exasp�rer certaines personnes autour) ni de chanter ou fredonner.
Je ne venais pas de prendre une photo (3). �a faisait m�me un moment que l'appareil �tait rang� : en attendant le RER, je lisais.
La seule explication que j'ai pu trouver est qu'il m'aurait prise pour quelqu'un d'autre avec qui il avait un vieux compte � r�gler.
Ce n'est pas tr�s rassurant : �a signifierait que je ressemble fort � quelqu'un envers qui d'autres personnes n'�prouvent pas un solide amour.
Ou bien : l'une des touristes aura pris une photo et lui se croyant dessus et nous croyant ensemble aura manifest� sur moi sa violente d�sapprobation. Ce n'est pas exclu : j'avais un peu leur gabarit, mes cheveux, encore noirs d'impression g�n�rale �taient attach�s en queue de cheval pour une fois plut�t disciplin�s et nous �tions tr�s proches elles et moi � cet instant l�, du fait de s'�tre mises d'un m�me mouvement sur le c�t� afin de laisser les voyageurs descendre. Comme je lui tournait le dos, il ne pouvait rien deviner de mon type normand (!).
�a expliquerait aussi qu'il n'ait pas jug� utile de parler � part les deux mots prononc�s et eu recours � un geste qui se voulait �loquent.
L'ultime hypoth�se serait que ma chaise pr�c�dente, mortifi�e d'avoir �t� mise (temporairement ?) de c�t� pour cause de fessier et coxxys douloureux, se soit ainsi fait venger par un fauteuil de ses anciens amants r�incarn�s. L'avertissement serait alors pour me dire de ne surtout pas la laisser tomber (4).
En attendant je constate une fois de plus que les anicroches d�sagr�ables et qui pourraient d�g�n�rer surviennent presque toujours dans les beaux quartiers et � des heures sages. Ma vie doit faire mentir beaucoup de statistiques.
(1) dont je d�couvre ce soir qu'il peut �tre dommageable d'en porter.
(2) "Les derniers amants de Bombay" de Siddharth Dhanvant Shanghvi ; qui d�marre de fa�on ma foi sympathique et bien rythm�e.
(3) Les r�actions sont de plus en plus hostiles. En deux mois, je me suis fait reprocher trois fois d'en prendre par des personnes qui n'y figuraient pas, sur le mode Ici c'est interdit. Dans un cas, un lieu priv� mais ouvert au public, dans les deux autres de simples rues mais o� (trafics ?) un(e) photographe g�nait - quand bien m�me je ne prenais pas en photo les personnes mais un objet urbain -, "le guetteur" intervient, relativement poliment. Et sans doute relativement moins si l'on obtemp�re pas.
(4) Je vous laisse en guise d'exercice d'atelier d'�criture inventer la suite de cette petite (science-)fiction.
(5) Non, non, il ne s'agissait pas de celui de la derni�re fois que mon refus d'alors aurait vex�.
[photo : en arrivant � la station, tout juste auparavant]
addenda du 30/07/10 0h48 : En fait il m'a probablement prise pour un fant�me et aura ainsi voulu tester de mon existence r�elle. �a expliquerait les grands pas pour s'�loigner, l'air peu flambard, les "Attentions" prononc�s tout en reculant et en y r�fl�chissant plus apeur�s que mena�ants. Et qu'il n'ait pas frapp� fort mais seulement "pour voir". Je dois ressembler � quelqu'un qu'il connaissait et qui est mort. Peut-�tre � Ha�ti pendant le tremblement de terre (?)