En de si nombreux lieux en de si nombreuses fois
Ce billet est directement inspiré par celui-ci chez Anne Savelli :
Lieux de l'attente
En lisant ton billet, je me suis rendue compte, n'y avais en fait jamais pensé, que je suis capable d'attentes fort longues mais dans certains cas pas.
Quelqu'un qui me dit, Attends je revien(drai)s, je peux, si j'ai du sentiment, qu'il s'agisse d'aimer sans être amoureux (thuong, mais je n'ai pas les accents), ou d'aimer amoureusement (yêu) (1), attendre pour des siècles et des siècles.
Les attentes de salles du même nom, pour motifs médicaux plus ou moins inquiétants, me sont en revanche solidement insupportables.
Ce sont des attentes liées à de l'inquiétude.
Du temps où j'étais aimée (ou le croyais), je parvenais à les faire passer par la pensée de l'autre. Je me sentais soutenue, portée, encouragée et le prochain moment d'amour partagé effacerait celui de l'attente. Depuis la solitude affective, fuir est ma seule pulsion. J'y résiste généralement, surtout si j'accompagne, et qu'on a besoin de moi, mais l'effort m'épuise. Afin de faire face je pompe une énergie fossile dont le renouvellement n'est plus assuré.
Celles de simple administration me pèsent mais tout dépend. S'il y a un numéro qu'on appelle, je peux lire, j'y parviens. Si en revanche il faut guetter son tour, je dois me faire accompagner : de même que j'ai une tête à chemins, j'ai une tête à me faire resquiller ... et tant de mal à maintenir l'attention requise.
Comme toi je supporte mal les attentes en prises de pouvoir : pour un entretien par exemple, ou lorsqu'un passe-droit fonctionne sans la moindre discrétion. Bizarrement c'est pire depuis que j'ai quitté l'Usine : à présent je souhaite que ma vie m'appartienne entièrement, je ne suis plus prête à en concéder la moindre minute. Du temps du travail coincé, il me semblait au fond que gaspillage pour gaspillage je n'étais plus à ça près.
Il existe cependant des attentes savourables.
Celles pour les places d'opéra (sauf la demi-heure ou davantage pour laquelle nous devons attendre dehors l'hiver au froid). C'est une attente en bonne compagnie et si confortable. C'est une attente pour du bon à venir.
Et les attentes amicales (l'autre catégorie, hélas, est terminée pour moi) : j'avais prévu mon quart d'heure ligne 13 mais elle a bien fonctionné, ça lui arrive aussi, et me voilà d'avance au rendez-vous fixé, alors je patiente tranquillement en sirotant selon l'heure une bière ou un café, réjouie délicatement du partage à venir.
Enfin je n'aime rien tant que les attentes inattendues. Elles n'ont pas de lieu précis et ne se révèlent qu'en rétroaction. On reçoit un message, une lettre en papier, un appel téléphonique et seulement à cet instant on se rend compte que sans savoir on l'attendait si fort et depuis si longtemps. Mais on n'en savait rien tellement on n'osait ni l'espérer, ni en rêver.C'est une attente tacite et elle peut rendre heureux. L'instant de sa conscience et celui de son achèvement.
[photo : la cour de la partie ancienne de l'hôpital Saint Louis ; en 1997, l'une des pires attentes de ma vie, consumée d'inquiétude pour l'homme aimé]
(1) vocabulaire issu de "Ru" de Kim Thùy ; j'aime sa langue natale qui permet de dire j'aime de toutes les nuances de façons.