Ces jours derniers,
Depuis un bon moment, je n'avais plus parlé de Wytejczk ici.
C'est que peu à peu l'absence suivait son cours et le chagrin aussi, remplacé par un autre moins fuligineux, différent.
Finalement chasser un chagrin par un autre est une technique efficace, du très strict point de vue d'effacer le premier.
J'ai appris peu à peu, par bribes non recherchées mais qui venaient à moi, quelques causes de sa volatilisation, qu'il n'était pas en danger, qu'il allait même plutôt bien.
J'ai appris peu à peu à ne plus le croiser partout dans la ville. À le considérer comme un mort bien-aimé auquel on pense encore souvent avec tendresse, tout en sachant qu'on ne se verra plus.
Je l'ai même (entre)vu en mars dernier, sans éprouver le besoin de lui parler. Ni d'en parler après.
Et puis il y a eu un soir, cette idée, cette très mauvaise idée, de regarder la télé. Il s'agissait d'un documentaire dont le sujet m'intéressait.
Seulement ça tombe qu'il était un des témoins interrogés. Il y était en compagnie de sa nouvelle amie Barsamdóttir que je connais de vue, que j'admire et dont je savais qu'elle m'avait peu ou prou succédé. À ceci près qu'il s'agit d'amitié et non d'amour, donc qu'il ne devrait pas a priori y avoir de problème d'exclusivité.
Je vais tellement mieux que ça m'a fait simplement plaisir de le voir, de les voir joyeux, quand on aime vraiment quelqu'un, et qu'on s'est inquiété à un moment donné, ça fait toujours du bien, même si on n'est plus là, de le savoir heureux. C'était juste un peu troublant de l'entendre répéter des choses que je lui avais dites et qui apparemment lui avaient paru justes puisqu'elles lui reviennent naturellement à l'esprit. Ça m'a un brin inquiété pour Barsamdóttir de l'entendre spontanément dire les mêmes choses qu'au meilleur de l'amitié moi-même je pensais. Mais c'est quelqu'un qui a de la ressource et un de ces métiers qu'on exerce par passion. De quoi en cas d'orage, tempête, naufrage pouvoir se raccrocher.
Ce n'était pas mon cas en mon temps, puisque j'avais l'Usine qui me plombait si parfaitement.
Et puis soudain la nouvelle amie a ces mots : - Ça m'étonnerait que dans ma vie il n'y ait plus Wytejczk, sauf quand je mourrai.
et qu'elle prononce avec ce même sourire que j'avais quand à mon autre grand ami, qui s'interrogeait sur mon bonheur alors visible, je l'avais confessé. La presque même phrase, les quasi-même mots.
Je ne peux plus faire semblant de croire qu'en cas de récidive de brutale disparition, Barsamdóttir s'en sortirait. Je la sais en danger.
J'ignore quel drame engendrerait une répétition du scénario probable. J'ai appris entre temps que deux autres personnes d'une façon similaire m'avaient précédées dans la très grande amitié qui s'achève d'un seul coup sans que l'on sache pourquoi. Et probablement d'autres avant. Et à moins que la jolie Barsamdóttir soit LA personne dont obscurément Wytejczk était en quête et qu'il s'en tienne là, le mécanisme de disparaître, tôt ou tard se relancera.
Il y a une grande souffrance dans cette attitude-là.
Et me voilà témoin gênant, femme qui en savait trop (sans l'avoir demandé) et qui ne sait que faire.
Tenter de prévenir l'amie de l'ami (1) s'est instiller un doute, et peut-être dévier le cours désormais harmonieux des choses.
Se taire c'est peut-être laisser venir un drame (2) que j'aurais pu prévenir et dont j'ai tout ce qu'il faut en main pour pouvoir l'éviter.
Aucun de ces choix n'est porteur de bon. Quoi que je fasse, je m'en voudrai.
En attendant, la seule certitude et qu'il est fort déconseillé de regarder la télé. Ignorante du degré de passion qui couvait, je me portais bien mieux, persuadée que c'était moi seule qui n'allait pas, trop profonde et trop tendre dans mes grandes affections et que les autres n'étaient pas si stupides d'aimer ainsi à fond. Et se mettre en danger.
Tous les avis doux sont bienvenus. Si par hasard quelqu'un pouvait avoir l'idée miraculeuse qui permettrait d'éviter les écueils, ne rien gâcher du bon, ne pas laisser passer une catastrophe affective évitable (3), ça serait fort bienvenu.
[photo : Marseille en décembre dernier]
(1) et j'ai (hélas) tout ce qu'il faut à ma disposition. Donc : pas la moindre excuse pour ne pas le faire si je dois.
(2) pour tout le monde car je peux supposer que contrairement à moi Barsamdóttir n'est pas du genre à se laisser effacer en paix.
(3) J'en ai bien une toute petite mais ...
addenda du 27/04/10 dans la soirée : Ende gut, alles gut. Bizarrement ç'aura été le fait divers évoqué dans un autre billet (4) qui m'aura finalement décidée à bouger, c'est-à-dire écrire en y mettant tout le cœur et la subtilité que je pouvais. Et je viens de recevoir l'appel qui me dit que j'ai bien fait. Je n'en attendais pas tant. Infini soulagement. En plus qu'ainsi je sais à présent que j'ai bien fait de survivre, que traverser la souffrance et la surmonter en conservant tendresse et affection n'était ni vain ni stupide.
(4) et cette idée que toute peine évitable doit être évitée, tant pis si ça abîme un peu le présent, et que dans certains cas, qu'on le veuille ou non, s'en mêler devient une sorte de devoir de solidarité.