Comme un parfum de dictature (à Paris)
06 février 2010
Est-ce parce qu'à la gare du Nord, attendant que soit affiché le quai de mon train je suis montée prendre un café et me suis retrouvée fortuitement entourée de militaires nerveux qui patrouillaient ?
Est-ce parce que c'était si bon de retrouver une ambiance normale de café ? Le baby-foot et ses acharnés, le brouhaha léger des conversations, une musique surannée, la fumée.
Mais j'ai pris conscience seulement ce soir que depuis un moment déjà quand je venais à Bruxelles, la détente n'était pas uniquement dans le bonheur de retrouver les uns et les autres, écluser quelques bonnes bières comme on n'en trouve difficilement à Paris, visiter un musée unique. Qu'elle n'était pas non plus dans le fait qu'ici le rythme était plus lent.
Non, c'est tout simplement que je respire comme un ressortissant d'un pays vaguement dictatorial et qui retrouverait pour quelques jours une vraie ambiance de démocratie.
Et ce n'est pas uniquement lié à des éléments concrets que je pourrais énumérer (l'absence de tourniquets de contrôle pour accéder aux transports en commun, l'absence de composteurs, la possibilité d'acheter partout des cigarettes et pour l'instant encore une plus grande liberté de les consommer, l'absence (ou le peu ?) de contrôles d'identité, l'absence de soldats patrouilleurs - en tout cas en de nombreux séjours je n'en ai jamais croisés -, une plus grande diversité de produits venus de partout dans les supermarchés, des éléments de BD disséminés dans la ville, escalators intelligents qui s'arrêtent quand personne ne monte, présence moins agressive de la publicité, allure plus débonnaire des petits piétons des feux, caméras de surveillance d'une charmante ostensibilité (1) ...), c'est quelque chose d'impalpable, difficile à mettre en mots. De l'ordre de : le grain de contestation ou de folie qui séjourne de façon plus ou moins dormante en chacun de nous serait bien mieux accepté par ici qu'en bas, s'il venait à sortir.
Quoique d'origine latine, je me sens moins extra-terrestre à Belonzio qu'à Lutèce. Et d'ailleurs on me demande le chemin sans arrêt, comme si j'étais chez moi - alors que plus encore qu'à Parigi, j'ai l'appareil en bandoulière, tel le touriste moyen -.
L'état ou globalement l'autorité, ne semble pas là pour réprimer sans cesse (2), ou vous considérer perpétuellement comme un contrevenant en puissance. Ou bien : seulement si vos agissements présentent un réel est danger pour un autre être humain.
Dans mes déambulations d'ici je n'ai assisté qu'une seule fois à une scène répressive, il s'agissait d'un conducteur de tramways profitant d'un arrêt pour prier un homme et un(en) enfant qui mendiaient à l'intérieur en jouant du violon. À Paris pas un jour sans que je voie quelqu'un se faire contrôler et éventuellement embarquer par des hommes en uniforme (très variés), du vendeur à la sauvette accablé affligé, au type qui se débat et qu'ils mènent menotté, en passant par l'automobiliste dépité - pour une fois que ça roulait, je me fais bloquer - Et votre clignotant, là, il fonctionne ? -.
La pauvreté pourtant n'a pas l'air moins pire dans la capitale belge que dans celle de France.
Mais on dirait qu'en quelques années Paris est devenue une ville plus sombre, très surveillée, scrutée, et qui s'éteint la nuit. On dirait que pour l'instant, on y échappe ici.
"Oldthinkers unbellyfill Ingscoc" (3), écrivait le grand Georges. I do feel as an oldthinker, in Paris, some days.
And not yet here.
[photo : Bruxelles, une fenêtre sur rue (et après on dit que ce sont les parisiens qui ont l'esprit libertin (?))]
(1) Le seul élément ici plus stressant ce sont les sirènes d'ambulance qui jouent les américaines et percent particulièrement les tympans.
(2) peut-être aussi parce qu'accaparé par des querelles de cultures et bilinguismes que nous autres peinons à comprendre.
(3) cit approx. à la mémoire.