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Billet doux

un mercredi après-midi, bien jolie librairie

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Le mercredi après-midi viennent les enfants. Ceux un peu grands que les parents confiants laissent circuler entre la boutique, le conservatoire ou une salle de sport, et leur maison.

Certains sont des habitués qui passent seulement pour lire, au besoin acheter un manga, qu'on vient ensuite rechercher, avec ou sans trottinette pour l'étape d'après, musicienne (le parent délégué porte aussi un étui d'instrument) ou médicale (la maman a l'air tendu, inquiète ou agacée).

Il y a également ceux et celles qui viennent, argent de poche dûment touché, acquérir un livre depuis plusieurs jours convoité. J'en fus jadis (1), j'en reste émue.

Elle entre seule et décidée, mais timide aussi, comme ceux qui se sentent un peu loin d'être adultes mais plus tard oublieront (qu'ils n'osaient pas parler (devant les vieux, les grands)). Neuf ou dix ans, pas beaucoup plus. À moins que petite pour son âge, comme je le fus longtemps.

- Bonjour, dit-elle très poliment en prenant son élan, pour une suite qu'elle ne parvient à formuler qu'en faisant un pas de côté, soit qu'en me voyant un peu inhabituelle elle se trouve troublée, soit que la timidité justement, lui ai fait oublier l'auteure ou le titre désiré.

- Vous connaissez Verte ? fait-elle finalement, sourire plein d'espoir.

Il est certains instants où l'on se sent miraculeusement compétent(e)s.
- Oui, bien sûr, et le mien de sourire va d'une oreille à l'autre, de Marie Desplechin.

Celui de la petite n'est pas moins absolu,

- En fait, c'est la suite que je cherche.

- Pome ?

- Oui, Pome. Vous l'avez ?

Devant des yeux qui brillent si beau, je formule une prière inconnue à tous les dieux possibles de la terre et du ciel et d'autres mondes entiers. Il faut qu'on l'ait. Je n'ai pas le droit de décevoir une enfant sur ce titre-là. Sa demande est comme un signe ; un ange de Wim venu m'encourager et qui dirait, il ne faut pas, jamais, jamais, désespérer. Les choses peuvent toujours après le pire, s'arranger. Onze ans se sont passés de "l'usine" mécanique à ce moment magique, si seulement je parviens à transformer l'essai.

Onze comme le nombre de joueurs dans une équipe de foot. J'ajoute soudain que dans "Pome" c'est bien il y a un peu des garçons, par rapport à "Verte", et du foot aussi.

- Soufi ? me répond-elle à présent (r)assurée, puisqu'il y a connivence.

Et nous parlons un peu puis je cherche pour elle, ne vois pas l'objet, lui passe "Les yeux d'or" pour qu'elle s'occupe l'attente et se console éventuellement avec ce titre de l'autre absent, vérifie à l'écran, oui, il y en a un, bénis mentalement les amies qui suivent fort bien leurs titres, cherche à nouveau ; trouve finalement.

J'indique le prix, ainsi à la mémoire qu'un passage bien-aimé (1). La petite prend alors son porte-monnaie d'enfant et avec une patience légèrement inquiète de qui craint ne pas avoir assez, compte pièces à pièces, la somme requise. 

Le compte est bon. Je propose un sac inutile et pressens la course jusqu'à la maison pour lire au plus vite. Son merci puis au revoir sont de ceux qui me restent. Effectivement, elle file en courant, petite future sorcière aux grands yeux pétillants.

De joie, pour partager, je suis sur le point d'envoyer un texto. Puis je m'abstiens. Peur de peser. Entrent d'autres personnes. Puis-je vous aider ?


(1) mais en banlieue

(2) note pour plus tard : il faudrait quand même voir à ne pas trop frimer.

[photo : le même jour ; c'est l'hiver à Paris et le square est tout blanc]






 

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