dimanche, fin d'après-midi
Je viens d'écrire en m'y reprenant à deux fois une nocturne et une pas, un texte commandé où j'ai mis tout mon coeur.
Ça me laisse essorée comme jamais, vidée sur pied, tel un chanteur après concert, sauf que le trac y est : celui qui sort de scène en est tout libéré, celui qui vient d'envoyer ses mots au destinataire qui le demandait (1) ne fait qu'y entrer en attendant l'espoir d'un retour attentif.
Cet épuisement particulier en même temps me rassure. L'expérience (si, si, je peux dire ça, après 5 ans, pourquoi pas) m'a appris qu'il était souvent l'indice d'avoir été juste, tapé dans la bonne case de l'énergie, été au bout de ce qu'on pouvait.
De même si l'on retrouve un texte, si longtemps après, qu'on l'a oublié, qu'on commence à le lire comme s'il venait d'ailleurs et qu'il nous attrape, jusqu'au moment où l'on comprend qu'on l'avait soi produit, c'est signe que ce jour-là on avait bien travaillé, bien écrit.
En attendant et le train aussi, je m'appuie à l'un des poteaux du quai, trop décalquée même pour m'asseoir, sachant que lorsqu'il arrivera il me faudra lever.
Je laisse mon esprit lessivé flotter. Et le corps une fois contre le métal calé ne fait plus un geste.
Arrivent deux types de genre collègues, et bien qu'on soit dimanche. Leur conversation est animée et concerne effectivement le travail et des gens qui y sont. Me tournant le dos, regardant vers le quai, ils ignorent si parfaitement ma présence qu'ils viennent quasiment se coller contre mon tuteur d'occasion et moi.
Je sais que je n'ai plus d'énergie, que je n'émets plus rien, mais à ce point. Vérifie à tout hasard en regardant mes mains que je ne vois pas le quai au travers, sait-on jamais, des fois qu'un nouveau rejet soit en cours et que je m'en sois retournée à l'état spectral d'il y a trois années.
Non, c'est bon, je me vois, même si pour le rejet je n'ai pas vraiment tort (mais à cette heure je ne le sais pas).
Pour autant je n'ai pas la force de me décaler alors qu'il le faudrait si je ne veux pas me prendre un coup de coude lors d'un geste de ponctuation ou me faire écraser les pieds lorsque le train arrivant ils vont enfin bouger. Seulement si je lâche mon appui, je risque de tomber. Je fais le choix sage de moindre énergie et plus un seul mouvement.
Et eux, impavides, inconscients de mon existence poursuivent activement leur conversation, laquelle porte sur des points fort confidentiels de leur activité. Serais-je un concurrent que je m'en régalerai. En forme, je me ferais un plaisir de soudain le souligner par une remarque humorisée qui les ferait tressauter. Mais si j'étais en forme, peut-être qu'ils m'auraient décelée ? Ne l'étant pas, mais dés lors involontaire espionne, je me tais.
Vient enfin le train. Ils sont montés dedans avec un bel ensemble, cessant de bavarder après regard de connivence - on n'est pas seuls, on se tait - alors que de la porte d'autres qu'eux s'approchaient. L'envie de rire m'a sauvée qui m'a permis de trouver la force que grimper à mon tour.
S'ils savaient ce que désormais sur leur compte je sais ...
(1) Un envoi diffus, non réclamé, juste tenté, à destination large ne fera pas le même effet.
[photo : en gare de Clichy Levallois, 23 juin 2009 juste avant Pantin]
(billet esquissé le 22 puis lâché, oublié, et repris (le 25))