Pater noster et carte bancaire
24 avril 2009
hier, dans une gare de toute proche banlieue
Ignorant quels quarts d'heure allait me prélever une démarche nécessaire, j'avais prévu du mou dans mon emploi du temps. Bien m'en avait pris : la Sncf nous pria à plusieurs reprises de bien vouloir l'excuser pour la gêne occasionnée à mesure de trains qu'elle supprimait au nom de mystérieux mais non moins traditionnels problèmes techniques aux formules aussi consacrées que le désespérant "accident voyageur" des désespérés.
Il ne faisait pas froid, je ne manquais (de) rien, et donc m'étais assise tranquillement tout en ouvrant un bon bouquin.
La tranquillité n'était pas exactement partagée. Un homme jeune, téléfonino vissé à l'oreille faisait les cent pas dans l'agitation d'un type aux abois et qui criait ses ennuis financiers au monde entier qu'à cette heure je représentais.
Il parlait d'un paiement différé et des problèmes que ça lui causait et comme le livre m'avait délicieusement saisie, du début pourtant bramé, je n'avais guère capté que le thème général - encore-un-type-qui-a-des-soucis-avec-son-banquier -. C'était bien ainsi, j'avais à lire et peu de goût pour l'indiscrétion.
C'était compter sans mon détecteur d'expressions intégré qui de même que le module "identification d'un livre à distance" (1) est un des rares éléments haut de gamme qu'on peut trouver chez moi. Il s'était soudain mis en alerte. L'homme venait de prononcer ce qui suit :
- Jusqu'à la fin du mois je peux rien faire, pas retirer d'argent, rien, je suis à la gorge.
Le pris parti me plut. J'ai alors abandonné mes véléités liseuses afin de suivre la suite, si jamais quelqu'autre pépite se présentait. Il ne m'a pas déçue mais sur un autre domaine un brin inattendu.
- C'est fait, deux et demi, venait-il de répondre à son interlocuteur juste quand il repassait devant moi - il continuait d'avaler le quai à grands pas -.
A peine avais-je eu le temps de me demander deux et demi quoi, qu'il précisait, sérieux comme un pape et en proie au tourment (2) :
- Deux et demi Je vous salue Marie et un Notre Père au cas où.
Je savais désormais quoi conseiller aux amis victimes de soucis d'argent. "Et demi", très important (probablement (3)).
Merci à l'impécunieux passant.
[photo : in situ, via mon propre téléfonino qui fait des effets jolis comme appareil photo]
(1) au temps heureux où l'on m'offrait Rilke en dédicace, j'étais capable en entrant dans un wagon une voiture de train ou rame de métro voire tram ou bus, d'établir immédiatement la liste des livres lus avec profilage des lecteurs assorti et de la stocker dans un coin mémoire dédié ; sorte de lecteur BookTooth, implanté au coeur des neurones. Hélas précisément ceux que ma vie a esquintés.
(2) ce qui excluait l'hypothèse d'un second degré.
(3) quoi que du coup la question demeure d'où arrêter le demi, avant ou après "fruit"? Odon, s'il vous plaît, vous qui en êtes l'auteur (je crois (?)), qu'en auriez-vous dit ?