Le tableau blanc
D'un salon au Salon

Salon du livre, cahier de brouillons (comme un)

jeudi 12 mars au soir, vendredi 13 mars, milieu de journée, Paris, Porte de Versailles

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Ton ombre portée est plus grande là qu'ailleurs. Je pense que tu le sais.

Des retrouvailles qui me rendent heureuses puis encore plus consciente de combien tu peux me (nous ?) manquer. Nous n'avons lui comme moi pas osé t'évoquer. Tu n'en fus que plus présente, d'être ainsi contournée.
Que s'est-il donc passé qui t'ait fait à ce point changer de ce qui semblait bien aller ?

Tant de gens pendus à leur téléphone portable et qui semblent égarés : c'est pourtant simple, le quadrillage est régulier et l'ordre des allées alphabétique dans un sens, numérique dans l'autre. Comment font-ils quand ils jouent aux mots croisés ? (Schadenfreude, petite satisfaction mesquine : constater que les hommes autant que les femmes semblent désemparés par une telle complexité (!)).

Toujours ceux qui par le même outil négocient à voix très haute des détails de contrats tout en arpentant les allées. Supposent-ils qu'on ne les reconnaît ni ne les entend ? Ou est-ce une façon détournée de faire savoir au monde entier ?

François me réserve toujours le meilleur accueil, s'il savait comme ça me fait du bien. Il est si bon d'exister aux yeux de ceux qu'on aime.

Je présente entre eux de mes amis de même métier qui auparavant s'ignoraient. Ceci me fait toujours autant (intérieurement) rigoler. La gosse qui traînait la rue avec les autres va-nu-pieds de son quartier, me regarde goguenarde de 30 ans avant et dit, vaguement moqueuse mais un peu fière aussi : - Tu vois, tu t'en es pas si mal tirée.
Je lui réponds, gênée, - Ce sont mes amis, j'ai pas fait exprès. C'est à force de lire et tu le sais.
Et l'autre à présent triste : - Tu te souviens qu'on m'engueulait parce que je lisais trop, pour à table et le soir, et en vacances parfois aussi ("Prends le soleil ! Va plutôt jouer !"). 
Et comme elle me voit malheureuse d'avoir été si longtemps empêchée, elle ajoute : - Tu as tenu bon, bien joué !
et s'en retourne au siècle dernier. Et si réussir sa vie c'était parvenir à faire place à l'enfant qu'on était, malgré les contraintes, l'argent triomphant, les peines insurmontables et les responsabilités ?


Connaître plusieurs personnes (1) qui savent interroger les auteurs au coeur de leurs travaux et animer des débats en maîtrisant leur sujet, m'a rendu exigeante. Celui qui en présentant quelqu'un dont je connais l'oeuvre parfaitement commet plusieurs erreurs se trouve à mes yeux totalement disqualifié. Pas même capable d'utiliser un moteur de recherche pour vérifier avant d'arriver ?
Un jour j'en attraperais un très nul par la peau du cou, le virerai sans ménagement, prendrai sa place et ferai de la rencontre un moment passionnant. En plus que je pourrai assurer la plupart des traductions. L'impréparation, sauf cas de force majeure, n'est rien qu'un manque de respect pour les invités.

L'auteur mexicain met un point d'honneur à parler français et nous lui en savons gré. Hélas il croit que causer vite permet de masquer les inévitables erreurs qu'il fait, et son accent est trop parfait. Des lycéens à côté de moi et qui (apparemment) connaissent Tex Avery à un moment ne savent plus retenir le fou-rire qui leur vient. Les plus atteints s'éclipsent.
Je crains d'être à mon tour gagnée par leur hilarité (pas très charitable, je sais) et évite de croiser le regard du camarade qui questionne.

Au détour d'une allée, j'entends la voix d'Alain Mabanckou. Le texte qu'il lit, hélas, n'est pas de lui (s'en rendre compte à l'oreille). Mais j'aime sa façon. Alors je reste, ravie.

Dans la file d'attente pour se ravitailler ils parlent de comment virer efficacement un stagiaire qui déplait. Sachant que dans l'édition ils sont souvent gratuits, ou si peu payés, je trouve leur cynisme éhonté. Et si c'est une fille et qu'elle est jolie, vous la gardez ?
Je pense mais je me tais. Discrétion ou lâcheté ?

Au moment de partir je croise un ami, mais qui semble occupé ; attendue tout ailleurs pour causer je dois me hâter. Les jours à venir nous offriront-ils une nouvelle chance de nous revoir plus longuement qu'en s'étant à peine salués ?

 
(1) Pascale Arguedas, Eduardo Castillo, Hubert Artus (liste non exhaustive, mais au moins eux)


[photo : chaussettes mexicaines]

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