Samia et l'escroc potentiel
29 mars 2009
dimanche dernier, Paris Xème
relu et modifié le 30/03/09 9h45
Pire que perdre un amant, pour moi perdre un ami, généralement s'il s'agit d'un homme pour cause de "ta place ne serait pas comprise, elle n'est donc plus ici". Le désir, on le sait, est plutôt fugitif alors qu'on aimerait inscrire l'amitié dans la très longue durée.
Il est élégant et attentif qui ne me l'a pas dit si crûment, pas ainsi, mais toutefois j'ai bien compris. Depuis la volatilisation de Wytejczk il ne m'est plus inconcevable que les plus belles tendresses, les plus solides affinités soudain ne comptent plus et que l'autre tourne la page sans nous en avertir et nous raye de sa vie.
Cette fois-ci j'étais dans la peine mieux lotie, prévenue, avertie et légèrement protégée par la géographie.
Pas suffisamment cependant pour pouvoir encaisser la nouvelle absence légèrement (1).
C'était dimanche.
Je rentrais chez moi. Trop fatiguée pour le vélo, trop tourmentée pour le métro. Parfois marcher m'est la seule solution. Mon Olympus me tenait compagnie, le plus fidèle de tous.
Mes pas me portaient vers le quartier des gares, un des chemins possibles. Je me souvins alors que Samia le plus souvent le dimanche ouvrait.
Samia est libraire. J'aime sa maison mais n'en suis qu'occasionnelle. Qui me connaît peu pourrait trouver cela très logique : sa librairie n'est proche ni de mon quartier ni de mon ancien (attendez, je le retape tellement ça fait du bien : a n c i e n) lieu d'usine. Qui me connaît sait que je suis capable de traverser tout Paris et ses banlieues multiples pour le livre ailleurs introuvable, ou le libraire ami.
Mon souci avec Samia est d'une autre nature. Sa crèmerie est celle de quelqu'un qui préfère ne plus me rencontrer ("préférer ne plus rencontrer" étant une relation anti-réflexive, anti-symétrique et anti-transitive). Etant donné ma faculté à croiser par inadvertance ceux auxquels je pense (1 bis), j'ai tendance pour respecter à ne pas inutilement provoquer le destin. J'aimerais qu'il me soit favorable et nous offre un lieu où l'on pourrait enfin librement parler. Pas une librairie amie où l'on serait gêné.
De plus je sais par cette connaissance commune tant de belles choses sur la libraire alors qu'elle me connaît au mieux que comme cliente occasionnelle aux choix éclectiques et imprévisibles (2), que ce déséquilibre n'est pas sans me troubler.
Seulement ce dimanche-là, la soif de réconfort était bien supérieure à mes pauvres scrupules.
Samia se trouvait secondée par un homme en moustaches que je n'avais jamais vu. Ils s'occupaient d'une autre cliente ce qui me convenait. Je pus ainsi faire mon choix en toute paix. Je crains toujours de surprendre en connaissant trop bien des lieux et des livres que je n'ai en vrai que peu fréquentés. Le mode mémoire étendue que je possède parfois n'est pas très confortable aux moldus.
Parmi mon choix, un livre d'Arno Bertina, "Le dehors ou la migration des truites". J'aime l'auteur, voulais connaître enfin son travail et pas seulement une nouveauté.
Le libraire se révèla être de lui un fin admirateur, un fan, un vrai de vrai et qui m'accorda la grâce d'une leçon désintéressée (mes achats étaient déjà payés) sur la littérature algérienne. Il le fit avec tant de plaisir que je me retins de dévoiler le peu que je savais.
Entra alors un homme à l'air avenant et qui demanda le numéro de code de l'immeuble dont le magasin tient le rez-de-chaussée. Samia semblait le connaître de vue, mais n'était pas sans méfiance. Elle posa quelques questions judicieuses avant de se décider à confier l'info.
Qui se révéla d'ailleurs incomplète (plusieurs portes successives ?) et l'homme revint.
Il s'était présenté comme un des professionnels chargé de vider l'appartement de M xxxx, mort à son domicile et sans héritiers (ou bien lointains) il y avait quelques temps de ça. Expliqua sa présence bizarrement dominicale par une surcharge de travail et la commodité à se garer.
A peine fut-il parti que nous nous lançâmes dans un scrupuleux débat. Avait-on ou non bien fait de communiquer l'un des codes qui permettait d'entrer ? Samia éprouvait un doute solide, un regret. Je me trouvai immédiatement à la conversation associée, comme si j'étais une vieille camarade à qui toute confiance était accordée. Et s'il s'agissait d'un escroc venu dérober ? Mais non c'est sans doute juste un homme vraiment surmené dans son métier. C'est vrai que pour se garer en semaine dans le quartier. Il avait une bonne tête. Samia et moi presque en coeur Oui mais ça ne veut rien dire (Quels souvenirs cuisants avons-nous partagés ? Bref regard échangé et rire non commenté).
Quand je pris finalement congé en disant "à bientôt", elle me lança en riant :
- On vous tiendra au courant des derniers développements.
Je rentrai chez moi le coeur plus léger. Il fait bon de se sentir quelque part bienvenue et qu'il nous soit accordé une confiance spontanée.
[photo, non loin de l'Ile Lettrée, bizarrement le lendemain]
(1) "- Tu pleures comme si tu avais perdu quelqu'un." dit le personnage de Franck à celui de Miriam, page 118 du livre que je tiens ce matin.
(Elsa Osorio, "Luz ou le temps sauvage", lu pour le cercle joyeux des lecteurs de l'Attrape- Coeur)
(2) J'aime selon les moments des livres et des genres si différents et me balade des grands classiques aux livres pour enfants, sans parler de ceux que j'achète en guise de présents.
(1 bis) 30/03/09 au soir
N'est-ce pas ?