Autruches
Un court métrage de Bram Shouw

Et heureusement un seul vieux con

Ce matin, heure d'école

 


Aux mardi souvent, pressée pour cause d'usine, je croise sur mon itinéraire une arrivée d'école, enfants, parents, poussettes, qui tous aussi se hâtent.

Ma banlieue est populaire, tout ce petit monde, joyeux ou triste, rigolard ou bagarreur, sombre et silencieux (certaines mères), efficace (certains jeunes pères, certaines grandes soeurs amarinées à canaliser la fratrie), ou stressé (certaines autres mères) est vivant, varié, tous types de personnes, de vêtures, de couleurs confondues.

Il est vrai que par rapport à une rentrée d'école normande on voit moins de rouquins et relativement peu de blondinets (ou qu'ils parlent alors polonais).


Arrive face à moi un type remorqué par son chien, un toutou d'apparence bonasse mais cependant volontaire et  très déterminé quant à l'endroit précis où il doit pisser.
L'humain est de genre vieux pépère,  allure négligée, en dehors de toute temporalité. Le même modèle existait quand j'étais petite.

Celui d'aujourd'hui observant la cohorte scolaire à l'instant où Médor lui accorde sa pause, marmonne alors entre ses dents mais fort assez pour qu'on l'entende,  d'un ton dépréciatif  qui se veut  sans appel :

- Que des noirs et des arabes !

Je marchais trop vite, le temps d'entendre et j'étais à 5 pas. Failli faire demi-tour, hésitant entre :

- Vous n'avez pas compté les juifs. (mais je me suis dit aussitôt que ce genre de personne est rarement équipé du second degré)

ou

- Et un vieux con, un.

ou ne rien dire mais lui foutre mon poing dans la gueule, même si globalement je suis pour la paix. Je l'aurais sans doute fait s'il s'était agi d'une femme mais je n'aime pas prendre les hommes en traitre (à moins qu'ils ne soient assaillants), qui ne s'attendent pas surtout s'ils sont d'apparence solide à ce qu'une femme réponde par la violence à leur crasse imbécilité (1).

Le chien sentant le danger, a entraîné son maître plus loin et lâchement j'ai pensé que ma journée d'usine risquait de dégénérer si je m'y présentais avec retard. Que son racisme ne méritait pas les ennuis qui en résulteraient.

Tant que des pauvres types aux vies plus pâles que leur peau n'auront d'autre fierté résiduelle que la couleur de celle-ci, ce monde sera bien gris et désespérant et mal parti.

Je sais hélas qu'on peut peu lutter. Les convictions qu'ils ont  échappent aux arguments,  au bon sens comme à la raison. Du temps de Wytejczk, cependant, j'aurais réagi. Je n'aime pas la personne tiède et fataliste que je suis devenue (2).


(1) Je ne veux surtout pas dire que tous le sont, mais certains, parfois. Modèle souvent assorti à celui du Gros Malin dont parlait récemment Philippe Didion dans ses notules.

(2) depuis qu'il a disparu.


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