Tornades intérieures (mais pas que ça) - partie 2 - Eugène
06 août 2008
SUITE DU BILLET PRECEDENT
Pour rentrer chez soi, il faut ce lieu-là. Sinon ça complique. Eugène était bien parti pour le faire, mais voilà, il a beau être arrivé au bon endroit, finissant à pied car le quartier, ce qu'il en reste était bouclé, il ne trouve plus "chez soi". Là où était la maison, s'aplatit un fatras.
Il est dans un cauchemar, je fais un cauchemar, là, tente-t-il encore de penser.
Il trouve quand même qu'il y a beaucoup de figurants (pompiers, gendarmes ou policiers, quelques photographes aussi ...) pour un cauchemar. Je fais un cauchemar à gros budget.
Il profite d'un affairement soudain vers le bout de la rue, on aurait sous des décombre retrouvé quelqu'un, pour se glisser dans, dans le quelque chose qui hier encore répondait au sens du mot "jardin". De la maison des voisins ne reste plus qu'un mur, où sont intactes chaque chose qui y étaient fixées, ici une applique, à côté une photo de mariage, d'un aïeul, d'un bébé, là quelques étagères, 3 CD, deux modèles réduits d'Antoine à hauteur de chambre. Antoine, bon sang, le petit.
- Ils sont tous morts cherchez pas.
C'est une des voisines de la rue d'en face. Elle vient tout juste de se matérialiser à ses côtés. Bel et bien un cauchemar donc. Dans la vie, la vraie, la téléportation ça n'existe pas.
La voisine du cauchemar parle. Et parle. Elle n'arrête pas, elle ne peut plus. Un ouragan, une tornade, 3 minutes pas plus, et puis tout est détruit (c'est ce qu'elle dit).
- Ils étaient dans leur cave, qu'elle précise sans qu'il n'ait rien demandé, c'est pas des caves solides, c'est pas comme autrefois que ça f'sait des abris, là ils se sont tout pris en dessus, j'ai vu les pompiers quand ils les ont retirés.
Elle parle de sa maison à elle qui n'a même plus de toit mais où le reste est resté, mais qu'elle n'a pas le droit d'y entrer.
Ce cauchemar est vraiment parfait, il pense à tout. Eugène se demande s'il n'est pas encore à la pêche, tombé du bateau, en train de se noyer, et qu'au lieu de revoir sa vie comme il paraît qu'on fait quand la mort vient, il serait en train de voir sa propre fin ; l'effacement de sa maison ne serait que le sien.
La voix voisine se fait diffuse, elle ne se rend pas compte qu'il ne l'écoute plus. Il se rapproche de là où il croyait habiter.
C'était bien là que j'habitais ?
L'accordéon. Son accordéon, celui des bals d'antan, et qu'il accompagnait. Celui du temps de sa chère Josette. Il reste le clavier, une bretelle, et puis le reste, tout le reste, à partir du soufflet a été arraché.
Il attrape l'objet, très consistant pour une chose de songe, et cherche le bout manquant.
Il reconnaît ici où là des éclats de "chez-soi". C'était bien la peine que je garde ça, s'avoue-t-il devant quelques reliques de Josette ou de leur fils Philippe, mort vers sa cinquantaine, c'était pas dans l'ordre ça.
- Ne restez pas là, la zone est dangereuse. Vous reviendrez si vous voulez dés qu'elle sera sécurisée. C'était chez vous ?
Le gendarme n'est pas rude, même poli malgré que son visage est crayeux d'épuisement.
Eugène marmonne oui puis s'éloigne à grand pas. Si ce cauchemar est cohérent il devrait retrouver sa voiture avant la fin de sa noyade. Pourquoi Marcel ne le ratrappe-t-il pas ?
- Marcel !
- Vous cherchez quelqu'un ? demande un jeune secouriste en levant les yeux de là où avec d'autres il fouillait.
- Non, pardon, je ... pardon ...
et Eugène ne dit plus rien, de toutes façons l'autre a repris ses fouilles et puis il vient de repérer sa voiture, exactement là où il l'avait posée. Le cauchemar a bonne mémoire.
Il balance l'extrait d'accordéon qu'il s'aperçoit avoir gardé, sur le siège avant, côté passager et démarre droit vers le bois.
En fait le bois n'y est pas.
N'y est plus. Des brisures d'arbres. Un épouvantable enchevêtrement. Mais il est un peu à l'écart. Et il n'y a personne. Vite, sortir de là puisque Marcel ne le fait pas.
Si je suis bien en train de me noyer, pourquoi je ne ressens pas l'eau ? Pourquoi j'ai l'impression de respirer ?
Dans son coffre Eugène attrape le fusil, dans la boîte à gant les cartouches, de toutes façons s'il est bien en train de mourir, la prochaine saison de chasse, il ne la fera pas. Et si c'est juste un vrai cauchemar, en sortir au plus vite. On se réveille en sursaut à l'instant où le choc survient.
Au moment d'enfoncer le canon dans sa bouche, Eugène regarde une dernière fois vers la petite ville quand elle se tenait. Mais elle n'y est pas, ou plus vraiment. Davantage de girophares, presque, que de maisons. Même les immeubles ne sont plus qu'en vagues pans, ou rapetissés.
C'est le pire cauchemar que j'aie jamais fait.
En sortir, vite.
Remarque :
L'homme qui ci-dessus se prénomme Eugène n'a pas de point commun avec notre dragon domestique, ni non plus, Carole si tu me lis avec ton Eugène à toi. Parfois les gens et les êtres ont les mêmes prénoms (ou pas). Je ne suis pas certaine qu'on y puisse quoi que ce soit.
Rappel
Totale fiction, c'est juste que j'aurais mieux fait de ne pas lire l'article ci-dessous, qui est du genre qu'après, j'ai des visions et pas sauvagement joyeuses et que depuis quelques années je ne connais pas d'autre moyen de m'en débarrasser que de les écrire (et encore : ça ne marche même pas à tous les coups).
Ce n'est évidemment rien à côté de ce qu'endurent ces jours-ci les réelles victimes de la vraie intempérie. Surtout si tardent les mesures pour que soit pris en compte l'état de "catastrophe naturelle" et que les assurances puissent commencer à les indemniser, ou tout autre disposition qui pourrait aider.
- article Le Monde + AFP le 05.08.08
Une tornade dans le Nord fait trois morts et dix-huit blessés