En léger différé (comme pour les J.O.)
07 août 2008
La nuit dernière, en plein Paris
suite du billet dés que possible
Il est plus tard que minuit mais
pas encore une heure, j’ai enfourché un solide vélib en sortant du Paris Carnet
Enfin, solide, je croyais, parce
que vers Répu, la selle qui semblait parfaitement réglée et fixe se met à ne
plus l’être autant, ce qui n’est pas trop dangereux mais fort désagréable.
Je récapitule les bornes 25
(1) où je pourrais éventuellement poser l’engin voire changer de monture,
choisis ma station fétiche, celle où il m’est parfois arrivé de trouver un
vélib et un seul et juste à bonne hauteur, celle où prenant un vélo j’ai croisé
un soir et échangé quelques mots avec un certain Robert que j’aime beaucoup
(mais n’ai plus revu depuis, comme si cette fois-là comptait double) et
y file en danseuse.
Le souci technique n’est que
secondaire, j’ajuste le serrement d’écrou, tire la bobinette et la chevillette
se replie avec une force parfaite, ne m’aperçois qu’après qu’il fait
étrangement sombre et que la seule lumière provient des Grands Boulevards et
non pas de la rue perpendiculaire où la station se trouve.
J’y vois bien assez pour trouver
mon chemin, celui de remonter vers ma petite banlieue, mais c’est bizarre tout
ce noir. Préfiguration de ce qui m’attend chez moi le lendemain (2) ?
Un camion imposant barre pour
partie la rue. Des
hommes en sortent des câbles, il y a un ronronnement, quelques passants peu
nombreux à cette heure s’attardent, des silhouettes à leur fenêtre. Mon
habitude citadine des aléas, accidents et encombrements, m’a conditionnée à
deux choses en pareille circonstance : ne pas s’attarder sauf à pouvoir
être utile, à la fois pour ne pas gêner et sait-on jamais, pour éviter la
proximité directe avec un inutile danger ; je passe donc rapidement, et mon
rapidement d’après Stéphanot serait assez rapide.
Persiste cependant
l’impression d’oublier quelque chose. Il m’est déjà arrivé de semer un vêtement
qui était déposé sans précautions suffisantes dans le panier. Alors je stoppe
et regarde en arrière, pourtant persuadée qu’au départ je n’y avais cette fois
rien laissé.
Le camion et quelques véhicules
dont sa masse empêche un passage fluide, me bouchent la vue vers le bas de la
rue, mais le fait même de regarder organise un « Replay » de mes
récents instants.
A une fenêtre, vers l’amont,
n’aurais-je pas entrevu Wyjteczk ?
Me revient très précisément, une
silhouette appuyée sur la rambarde et qui se penchait vers l’emplacement de
l’engin présent pour dépannage, comme pour tenter de comprendre, voir ce qu’il
en était. Mais elle avait un catogan, et m’a-t-il semblé les cheveux
grisonnants. A moins que mon ami n’ait pris un coup-de-vieux ou ne se soit
laissé pousser les cheveux (ça ferait donc si longtemps sans s’être vraiment
revus ?), quelque chose ne colle pas. La silhouette pourtant ...
L’immeuble était bien le sien,
je n’y pensais plus guère mais mon « film » est précis. Il l’est
aussi pour l’altitude, 3ème, mais c’est là ma mémoire qui
défaille : j’ai si souvent montée ces marches (3) le coeur léger à la
perspective de bons moments partagés que j’en ai effacé le nombre
d’étages ; j’allais au bon endroit en pilote automatique et comme guidée
par qui m’attendait. Je sais désormais juste que c’était moins de 6 sinon
m’accompagneraient probablement des réminiscences d’essoufflements.
Je suis tentée de revenir sur
mes roues afin d’en avoir le coeur net, mais ma capacité de fonctionner à
retardement tel le petit personnage de dessins animés qui passé la falaise
continue à marcher avant plus tard de se rendre compte qu’il n’a plus rien sous
ses pieds et irrémédiablement tomber, jointe à celle de pédaler avec énergie,
font que je suis déjà loin. La rue est à sens unique ; et la personne, qui
qu’elle soit, sortie pour voir ce qui survenait où si le courant (le camion,
bleu sombre, portait une estampille EDF) est sans doute déjà retournée à
l’intérieur. Elle ne comptait sans doute pas passer la nuit sur son balcon
dans l’attente improbable du passage de quelqu’un qu’elle ne souhaitait pas
voir ; qui plus est dans le noir le plus absolu qu’on puisse imaginer pour
une rue parisienne (4).
Encore indécise, un peu floue,
je reprends mon chemin, rapidement occupée par un itinéraire que des travaux
détournent. Les rares voitures mais qui se croient seules, requièrent toute mon
attention.
C’est en imprimant mon ticket
d’après trajet, histoire de vérifier sa durée et comme pour en marquer la
tangibilité – j’ai peut-être eu une imagination, mais le chemin j’aurais ainsi
une preuve de l’avoir fait -, que m’assaille la pensée
Mais alors il serait donc à
Paris ? Et en ce moment-même ?
Ce pourrait-il qu’enfin on se
parle ?
Redevenue réaliste, je rentre
coucher mon impuissance et ma perplexité. A se rediffuser, le film de cet
instant où j’ai cru l’entrevoir perd de sa précision.
N’en reste plus qu’une question
d’étage, un camion bleu sombre et ce curieux catogan, qu’il me paraît désormais
étrange d’avoir vu si avec tant de précision.
La Guinness était (trop) bonne.
Peut-être. Effectivement.
(1) Encore un billet vaguement
ébauché et non écrit : par force de l’habitude je connais désormais de
façon assez précise les bornes et stations vélib situées à 25 minutes de celles qui
voisinent chez moi et m’assurent ainsi un retour gratuit, sauf en cas de
méforme marquée.
(2) une coupure générale de
courant, celle-là dûment prévue, qui fait que ce billet sera lui aussi en léger
différé
(3) Il existait un ascenseur
mais par un de ses mystères copropriétal dont Paris a le secret, l’accès en
était protégé et privé. Du coup j’ai toujours préféré monter à pieds.
(4) C’est-à-dire quand même bien
un peu orangé.
[photo : in Paris by night, august, rues désertes et en travaux]