Tornades intérieures (mais pas que ça) - partie 2 - Eugène
Vive les vacances

En léger différé (comme pour les J.O.)

La nuit dernière, en plein Paris

Cimg9548 suite du billet dés que possible

Il est plus tard que minuit mais pas encore une heure, j’ai enfourché un solide vélib en sortant du Paris Carnet


Enfin, solide, je croyais, parce que vers Répu, la selle qui semblait parfaitement réglée et fixe se met à ne plus l’être autant, ce qui n’est pas trop dangereux mais fort désagréable.

Je récapitule les bornes 25 (1) où je pourrais éventuellement poser l’engin voire changer de monture, choisis ma station fétiche, celle où il m’est parfois arrivé de trouver un vélib et un seul et juste à bonne hauteur, celle où prenant un vélo j’ai croisé un soir et échangé quelques mots avec un certain Robert que j’aime beaucoup (mais n’ai plus revu depuis, comme si cette fois-là comptait double) et y file en danseuse.

Le souci technique n’est que secondaire, j’ajuste le serrement d’écrou, tire la bobinette et la chevillette se replie avec une force parfaite, ne m’aperçois qu’après qu’il fait étrangement sombre et que la seule lumière provient des Grands Boulevards et non pas de la rue perpendiculaire où la station se trouve.

J’y vois bien assez pour trouver mon chemin, celui de remonter vers ma petite banlieue, mais c’est bizarre tout ce noir. Préfiguration de ce qui m’attend chez moi le lendemain (2) ?

Un camion imposant barre pour partie la rue. Des hommes en sortent des câbles, il y a un ronronnement, quelques passants peu nombreux à cette heure s’attardent, des silhouettes à leur fenêtre. Mon habitude citadine des aléas, accidents et encombrements, m’a conditionnée à deux choses en pareille circonstance : ne pas s’attarder sauf à pouvoir être utile, à la fois pour ne pas gêner et sait-on jamais, pour éviter la proximité directe avec un inutile danger ; je passe donc rapidement, et mon rapidement d’après Stéphanot serait assez rapide.

Persiste cependant l’impression d’oublier quelque chose. Il m’est déjà arrivé de semer un vêtement qui était déposé sans précautions suffisantes dans le panier. Alors je stoppe et regarde en arrière, pourtant persuadée qu’au départ je n’y avais cette fois rien laissé.

Le camion et quelques véhicules dont sa masse empêche un passage fluide, me bouchent la vue vers le bas de la rue, mais le fait même de regarder organise un « Replay » de mes récents instants.

A une fenêtre, vers l’amont, n’aurais-je pas entrevu Wyjteczk ?

Me revient très précisément, une silhouette appuyée sur la rambarde et qui se penchait vers l’emplacement de l’engin présent pour dépannage, comme pour tenter de comprendre, voir ce qu’il en était. Mais elle avait un catogan, et m’a-t-il semblé les cheveux grisonnants. A moins que mon ami n’ait pris un coup-de-vieux ou ne se soit laissé pousser les cheveux (ça ferait donc si longtemps sans s’être vraiment revus ?), quelque chose ne colle pas. La silhouette pourtant ...

L’immeuble était bien le sien, je n’y pensais plus guère mais mon « film » est précis. Il l’est aussi pour l’altitude, 3ème, mais c’est là ma mémoire qui défaille : j’ai si souvent montée ces marches (3) le coeur léger à la perspective de bons moments partagés que j’en ai effacé le nombre d’étages ; j’allais au bon endroit en pilote automatique et comme guidée par qui m’attendait. Je sais désormais juste que c’était moins de 6 sinon m’accompagneraient probablement des réminiscences d’essoufflements.

 

Je suis tentée de revenir sur mes roues afin d’en avoir le coeur net, mais ma capacité de fonctionner à retardement tel le petit personnage de dessins animés qui passé la falaise continue à marcher avant plus tard de se rendre compte qu’il n’a plus rien sous ses pieds et irrémédiablement tomber, jointe à celle de pédaler avec énergie, font que je suis déjà loin. La rue est à sens unique ; et la personne, qui qu’elle soit, sortie pour voir ce qui survenait où si le courant (le camion, bleu sombre, portait une estampille EDF) est sans doute déjà retournée à l’intérieur. Elle ne comptait sans doute pas passer la nuit sur son balcon dans l’attente improbable du passage de quelqu’un qu’elle ne souhaitait pas voir ; qui plus est dans le noir le plus absolu qu’on puisse imaginer pour une rue parisienne (4).

 

Encore indécise, un peu floue, je reprends mon chemin, rapidement occupée par un itinéraire que des travaux détournent. Les rares voitures mais qui se croient seules, requièrent toute mon attention.

 

C’est en imprimant mon ticket d’après trajet, histoire de vérifier sa durée et comme pour en marquer la tangibilité – j’ai peut-être eu une imagination, mais le chemin j’aurais ainsi une preuve de l’avoir fait -, que m’assaille la pensée

Mais alors il serait donc à Paris ? Et en ce moment-même ?

Ce pourrait-il qu’enfin on se parle ?

Redevenue réaliste, je rentre coucher mon impuissance et ma perplexité. A se rediffuser, le film de cet instant où j’ai cru l’entrevoir perd de sa précision.

N’en reste plus qu’une question d’étage, un camion bleu sombre et ce curieux catogan, qu’il me paraît désormais étrange d’avoir vu si avec tant de précision.

 
La Guinness était (trop) bonne. Peut-être. Effectivement.

 

(1) Encore un billet vaguement ébauché et non écrit : par force de l’habitude je connais désormais de façon assez précise les bornes et stations vélib situées à 25 minutes de celles qui voisinent chez moi et m’assurent ainsi un retour gratuit, sauf en cas de méforme marquée.

(2) une coupure générale de courant, celle-là dûment prévue, qui fait que ce billet sera lui aussi en léger différé

(3) Il existait un ascenseur mais par un de ses mystères copropriétal dont Paris a le secret, l’accès en était protégé et privé. Du coup j’ai toujours préféré monter à pieds.

(4) C’est-à-dire quand même bien un peu orangé.

 

[photo : in Paris by night, august, rues désertes et en travaux]

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