Mardi "au bord du soir", Paris XIII, médiathèque Melville, bibliothèque Durand.

billet non relu
L'un va vers sa voiture, les autres poursuivent un bus à vitesse olympique, il fait si bon, j'hésite à prendre un vélib pour faire tout le trajet et puis j'ai dans mon sac un livre qui me tend les pages alors j'opte pour la ligne 14 ; en vélib on ne peut pas lire.
Je pense quand même qu'à Satin Lazare, j'en prendrai un plutôt que de poursuivre en train ou en métro.
Arrive ce terminus. Je suis restée scotchée, n'ai plus envie que de lire et pas de pédaler. Je prends le métro.
Viens la première station où je pourrais descendre. Je n'hésite pas : je reste et parcourrai tant pis le chemin à l'envers.
Je craignais d'encombrer, j'ai quand même finalement pour moi (2) demandé une dédicace. Vous m'avez parlé de la vie, ce sens qu'on lui donne, la cruauté des absences et cet effort (3) qu'on fait de se dire "Je n'ai rien fait" et que si l'autre ne veut plus, après tout.
Je pense alors : apprendre à prendre à son propre compte et sans remords ni regrets les bonheurs qu'en partant il ou elle aura délaissés. N'ose pas le dire.
Notre conversation est pourtant comme la suite d'une autre que nous aurions déjà eue. Je connais cette sensation de se connaître d'avant, n'exclus d'ailleurs pas complètement que nous ne nous soyons déjà croisées.
C'est juste que j'ai peur de peser, et que je ne suis pas encore capable d'aborder ces sujets sans devoir réprimer les larmes qu'ils m'apportent. Je m'en veux d'être trop sensible ; je sais un peu (pas tout) de l'état du monde et d'être une (très) privilégiée.
Votre expérience me rassure sur la mienne : ce n'est pas être fou que d'avoir en soi la poésie, les mots qui bousculent, quand on vit là où pourtant ça ne devrait pas. Que ça n'est pas nécessairement dans la langue où l'on est né(e)s.
Vous m'apprenez que les sentiments ne sont pas un luxe. Je suis toujours tentée de le croire (n'ai jamais souffert de la faim, mais de la peur de ne plus avoir les moyens d'accéder au manger, si). Vous avez le bonheur d'être en France comme moi d'être à Paris même.
C'est un livre de poésies. (1)
Simples, tout droit, sans artifices, et qui me vont au coeur. J'aurais pu à un mot près (un aussitôt qui ne colle pas à ma propre histoire) écrire deux d'entre elles, mais trop française, suréquipée, aurais sans doute inutilement compliqué les choses ou trop allusionné.
Je sors de la médiathèque, sens une fine odeur de poulet (rôti), ose improviser une bonne suite de soirée. Libérée par vos mots, j'ai moins peur d'être lourde. Ne gâcher aucune coïncidence favorable, laisser les bons vents nous porter dés que la moindre brise accepte de souffler.
Je sais à présent qu'être sans colère ni ressentiments envers ceux qui ont pu par le passé nous mettre en danger, n'est pas anormal. Et qu'on peut en guérir sans prendre ce chemin. Je m'en doutais, cette possibilité m'était trop étrangère. Je craignais simplement à force de souffrance enlisée, de faire fausse route en conservant l'affection, en restant par la paix. Me voilà (ré)confortée.
Et presque heureuse ?
Je lirai les autres.
(1) "Une petite plume cambodgienne" de Méas Pech-Métral (HB éditions)
(2) Je le fais rarement car pour moi une dédicace c'est avant tout pour offrir un livre à quelqu'un d'autre, ajouter un plaisir particulier et personnel à celui de la lecture confiée.
(bien sûr il y a par ailleurs les dédicaces des amis, mais c'est tout autre chose, celles-là ont de sens avant tout parce qu'on se connaît et témoignent d'une tendresse préalable ou de circonstances précises).
(3) Pour moi c'en est un, il semblerait que pour vous moi ou plutôt que vous parveniez à le faire quand moi j'y patauge encore, des années après.
[Photo : non loin de là en sortant ; en fait c'est une photo ratée, je voulais prendre le rouge (l'engin d'élagage) et le blanc (le car), mais j'aurais dû attendre d'être plus près]