Avant que les soins médicaux ne soient devenus un luxe inouï
Le peintre heureux du mois d'avant

Ma vie parallèle

(un étrange retour)

Sortie d'usine, tombée du (lundi) soir

Pict0017

Je me hâte d'achever un travail en cours, on approche de six heures et demie. Ma concentration soudain se fracasse contre l'impérieuse nécessité de quitter l'usine, non pas tant par dégoût que "parce que je risque d'être en retard".

Je n'ai hélas ce soir aucun rendez-vous, ni galant ni d'aucune sorte.

D'où me vient donc ce trac diffus que je mesure au moment même où en toute hâte je range mes affaires. Je reconnais la sensation, c'est celle des concerts de chorale, quand je vais devoir participer à quelque chose sur scène sans être seule concernée.

Seulement ce soir pas de concert, pas même de répétition. Rien d'autre au programme qu'un simple retour chez moi. Pourtant je vais jusqu'à penser Pas de chance que ça me tombe aux mauvais jours du mois, c'est toujours comme ça.

Le trac se précise, il s'approche des battements de coeur au soir où sentant les amis en mal de candidats, je me suis lancée en slam dans une brève impro.

A dieu ou son absence ne plaise, je me précipite chez le premier chausseur venu, ils sont nombreux dans le quartier, et y achète une paire de chaussures confortables et de couleur verte que je garde aux pieds afin qu'elles me guident.  Je connais le risque : c'est celui d'un retour tardif après avoir arpenté en vain Paris d'est en ouest puis du sud au nord.

Cette nouvelle paire, heureusement, se montre raisonnable et m'entraîne jusqu'à Madeleine et de là vers Satin Lazare, ce qui tout naturellement me conduira à prendre un train vers  mon domicile.

Je marche à grands pas souples, soulagée de ma solitude, retrouvée d'avec moi-même. J'ignore encore pourquoi et savoure une respiration délivrée de tout chagrin. La pierre de larmes que porte depuis deux ans en permanence mon estomac semble avoir disparu.

Je ne suis plus seule. Personne pourtant ne m'accompagne.

A hauteur  de la  fascinante  boutique  de blanchiment du blanchisseur "Parfait élève de Pouyane", me déboule la pensée que puisque je suis en avance (mais sur quoi ? ou bien : pour qui ? ou encore : pour quoi faire ?) il faut que j'aille en face au café en terrasse, boire un verre de vin blanc frais en attendant l'instant requis. J'hésite à obéir,  le vin blanc m'étonne de moi, quand ce que j'ai à faire par après ne présente aucun souci logistique quant aux possibilités d'aller aux toilettes de s'entraîner à quelque technique ultime  , je préfère de loin une bonne bière, avec ou sans Picon. C'est alors que je ressens le goût âcre du tabac. Un regard circulaire me confirme ce que je sais déjà : aucun fumeur autour de moi qui n'ai jamais fait partie de cette compagnie là.

Je vérifie par acquis de conscience que personne de ma connaissance n'est réellement dans les parages, puis délibérément, plus lentement et tentant de me préparer à ce qui suivra (le vide revenu, l'arrachement ressenti), prends le chemin sage de ma maison. Partagée entre une jubilation légère, tout ne serait donc pas perdu, et une tristesse infinie, pourquoi ne peut-on plus ?

A mesure qu'à peine plus tard le train s'avance vers la banlieue, je perds ces sensations comme un petit transistor  qui trop éloigné de la source ou d'une antenne relais ne parviendrait plus à capter la fréquence qu'il retransmettait.

Une fois à la maison me requièrent quelques taches ménagères ou d'intendance, Stéphanot rentre et qui a faim. Je bricole d'un dîner la part élémentaire. La grâce s'envole. Revient le vertige de s'habiter seule.

Je pleure un peu et puis j'écris.

Je portais ce jour-là ma veste miraculeuse. Le serait-elle vraiment ?

[photo : entre La Madeleine et les Grands Magazins, le jour même]

spéciale dédicace à l'amie qui a tenté une façon fort originale quoiqu'un brin aléatoire de me confirmer rendez-vous et qui au fond avait moins tort qu'elle ne pensait d'essayer ce qui s'apparente à l'une de mes folies.
(Je suppose que la réception du message où elle avouait sa tentative ;-)  n'est pas pour rien dans ce billet).

Je songe aussi à un livre récent qui m'était peut-être adressé. Personne n'en est dédicataire (?) et il ne me fut hélas pas envoyé de façon personnalisée (comment savoir comment l'interprêter ?). Il m'avait un peu déçue, présentant en épisode central une trop grande similitude avec un opus passé (quand j'ai aimé une oeuvre, je regrette qu'une des suivantes emprunte les mêmes sentiers ; d'un travail à l'autre j'aime reconnaître d'un auteur, peintre, photographe, musicien, la même "signature" mais surtout pas le même sillon d'inspiration (sauf exception d'une oeuvre à thème central inévitable et récurrent)). Pour autant ce qui y était évoqué, ces personnes qui bouleversent une vie mais ne font qu'y passer et disparaissent comme elles y sont entrées, sans doute me concernait. J'ai subi ce doux cyclone, m'étais habituée au grand calme intérieur joint aux vents puissants permanents. Qui peut quoi si je n'ai pas supporté l'apression que m'a infligée sa cruelle disparition restée pour moi soudaine et sans (réelle) explication ?

Commentaires