Les bons secours du quotidien
A l'ombre d'un marronnier (milieu)

Su(per)positions de printemps

Ce matin, par grand beau temps parisien

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billet non relu

Au bord du Luxembourg ce matin, Stéphanot et moi nous sentons soudain éblouis de printemps.  Nous avions l'un comme l'autre oublié comme c'était bon que le soleil soit là et qu'il soit enfin chaud.

Des  poussettes sont poussées, des coureurs  courent, des amoureux s'aiment. Soudain tout semble en place et comme en harmonie.

Il me confie que si un jour il a un enfant il lui fera dans sa poussette faire plein de tours du parc pour qu'il comprenne qu'il y a des arbres.

Et je comprends, parce qu'ils sont si beaux, avec tous leurs verts ceux qui sont déjà bien en avant dans la saison comme ceux qui attendaient d'être certains pour commencer.

Nous décidons de fêter ça en allant déjeuner au café. Je ne me départirai jamais je crois de ce sentiment de luxe que j'éprouve en le faisant. Je viens d'un monde où manger à l'extérieur était une ruine et une exception, sauf pendant vacances une période par an.

Nous en trouvons un sympathique et presque pas trop cher. En terrasse entre deux bruits de circulation, je parle un peu de la vie d'avant.

Annie Ernaux n'y est pas pour rien. Ses livres récemment lus ou relus m'ont remis en mémoire combien je viens d'un monde qui n'existe plus, plus vraiment et qu'il ne faut pas regretter quand on était de ceux d'en-bas. On en bave aujourd'hui, on en bavait hier. Mais alors c'était considéré tout à fait bien comme ça, fermez vos gueules ne la ramenez pas. A présent au moins la résignation intégrée n'y est pas. Même si en pratique le plus souvent on s'esquinte dans une précarité peu porteuse d'espérances.

Alors je raconte au garçon ce monde où l'on consommait le moins possible juste parce que ça coûtait et qu'on avait si peu, ce monde étrange calculé d'ici où voir un adulte courir dans la ville fût-il en survêtement eût paru très incongru, où les dames s'habillaient en jupes et "en cheveux" depuis très peu (1), combien ça pouvait être uniforme et gris mais par d'autres côté si simple et sain aussi.

Que le téléphone était un luxe, et la télé aussi même qu'elles étaient en noir et blanc, qu'on ne changeait de voiture que deux fois dans une vie et de lave-linge vraiment rarement, que les cuisines c'était une table, des chaises, un frigo, une gazinière et quelques ustensiles.

Qu'on se foutait des marques, qu'on s'habillait chez Tati, qu'on y allait depuis la banlieue loin dans des trains à vapeur aux marches immenses et qu'on en profitait toujours pour aller au Sacré Coeur, pas pour prier mais pour admirer Paris. Je lui dis aussi que pour les vêtements, on n'en avait pas tant, que même chez des mieux pourvus, pour peu qu'ils soient un peu nombreux, les habits on faisait durer, ou bien on rusait. Je lui raconte l'amie qui avec ses parents et frères et soeurs, frontaliers allaient en Belgique. C'était moins cher là-haut qu'en France. Et que pour éviter les ennuis à la douane, car alors entre les deux pays, la frontière c'était terrible (2) c'était une vraie,  ils superposaient sur eux leurs acquisitions et du coup marchaient comme des pingouins sous l'oeil tolérant du fonctionnaire qui sans doute en faisant autant pour équiper ses propres enfants.

Alors Stéphanot, pragmatique :

- Mais comment on peut faire pour mettre en même temps plusieurs vêtements ?

Je lui dis pour les filles qu'on peut empiler collants, pantalon et jupe un peu longue.

Il me répond :  - Pour les garçons ?

J'avoue mon ignorance. Nous parlons d'autre chose.

Le repas achevé nous marchons vers un métro, la rue est commerçante. Dans une vitrine un petit mannequin, serviable et qui nous a probablement écouté, nous montre tout à fait comment ils faisaient.

Et nous rions de sa réponse si bien coordonnée.


[photo : dans la vitrine, vers la rue Vavin (?)]

(1) Il m'en restera j'en ai peur toujours une réticence face aux couvre-chefs de toutes obédiences dés lors qu'ils ne concernent que les dames et présentent un caractère qui n'est pas ludique. J'ai en effet ce souvenir que pour ma maman et celles des copains c'était une victoire de pouvoir se balader tête-nue dans la rue et sans que plus personne n'y trouve rien à redire.

(2) J'y suis avec deux autres restée coincée deux heures une fois. Nous étions jeunes, pilotions une vieille guimbarde et  revenions de Hollande. Des bons clients avaient sans doute pensé les douaniers zélés. (mauvaise pioche).

               

J'ai hésité à prendre une photo avec mon téléfonino et l'envoyer à qui m'avait raconté ses fringues d'enfant, mais a peut-être entre temps à nouveau oublié.  Je ne l'ai pas fait.  Je ne sais plus si nos passés  fragiles sont porteurs de honte  ou de  potentiels de soulagement par rapport au présent. 

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