L'idée qu'on se faisait d'un parc Japonais (ou même pas, ignorants qu'on était)
29 avril 2008
Parc de Sceaux, avril ou mai 1986
Nous avions alors peu de temps pour nous-mêmes, n'imaginions même pas que ça serait bien pire une fois voguant dans la vie professionnelle et dûment pourvus de bébés.
Nous n'imaginions d'ailleurs pas grand-chose, tendus vers l'objectif du diplôme qui nous pendait au nez (juin 1986) et que j'étais incapable de tenir pour acquis alors qu'il s'agissait de contrôle continu et qu'un minimum de sérieux et d'assiduité en garantissait l'obtention.
Le service militaire du garçon nous obstruait l'horizon. Il n'avait aucune envie de faire le trouffion, ni moi qu'il le fasse et qu'on vive l'un et l'autre au rythme de ses permissions. Le choix de tenter un service en tant que coopérant a déjà été fait. J'ignore si au moment où la photo est prise nous avions déjà ou non envoyé le fax en réponse à l'école d'ingénieur inter état de Ouagadougou que sa candidature intéressait. Je me souviens de cet envoi avec une précision inouïe. Je sais très exactement en y participant (il fallait rédiger efficacement en peu de mots chacun d'entre eux coûtait une fortune de notre budget rachitique d'étudiants), que notre vie bascule en cet instant.
J'ignore également si je sais déjà où je vais travailler. Je crois que j'avais attendu mai pour envoyer 4 ou 5 lettres de candidatures avec un CV qui ferait sourire les jeunes diplômés d'à-présent. C'est qu'on tape encore à la machine. Seuls les plus fortunés d'entre nous et encore uniquement quelques fous passionnés ont un ordinateur, généralement un IBM avec une grande disquette molle qu'on doit nécessairement insérer. Je crois qu'elles font 16 Mo de mémoire et pas encore 32. Les imprimantes peu familiales utilisent des feuilles trouées sur le côté et liées en continu. Elles font un bruit de crécelle quand elles projettent un texte sur le papier.
En tout cas à l'époque un(e) jeune diplômé(e) d'études scientifiques n'avait aucun mal à trouver un CDI même si les salaires avaient accusé un coup d'arrêt par rapport à ceux de nos aînés. Certains camarades de promo comme on disait alors (1), avaient opté pour une année supplémentaire d'école de commerce afin d'y pallier. Endettés pour payer nos études, nous devions pour notre part à tout prix travailler sans tarder.
La possibilité d'accompagner mon homme dans son périple de coopérant s'exclut comme d'elle-même.
Issue d'un autre milieu social, j'aurais sans doute su que le début des remboursements était fort négociable (2), suivi mon amoureux, été fort heureuse en Afrique (j'ai adoré y aller dés que j'en avais l'opportunité) et sans doute écrit pour occuper une relative oisiveté.
Non pas que j'y songeasse à l'époque, mais parce que sans le savoir je m'y étais déjà collée naturellement 3 ans plus tôt comme par inadvertance à la suite d'un chagrin d'amour que j'avais cru perpétuel. Puis j'avais complètement oublié l'avoir fait (3). Cette impulsion, face à l'Afrique, serait revenue.
En attendant de se tromper de chemin mais d'en être extirpée, dieu merci, 13 ans plus tard, je suis simplement amoureuse, heureuse dés que les heures nous sont favorables et hors des temps contraints.
Nous tentons quand nous pouvons de profiter du printemps.
Le parc de Sceaux est tout proche de la cité universitaire délabrée où nous logeons avec bonheur, alors dés qu'à nos
retour de week-ends
( nous les passons souvent, hélas,
séparés, accaparés que nous sommes par contigences (je donne des cours particuliers de maths) et parents), où aux rares jours où l'école nous libère tôt, nous y filons pour profiter en amoureux du printemps qu'il nous offre.
En particulier dans ce coin, un peu à l'écart et qui lors de sa floraison nous fait penser à l'idée qu'on se fait d'un jardin japonais ...
(1) J'imagine que le terme de camarade qui nous était naturel, à ceux d'aujourd'hui ne l'est plus.
(2) de même que mon salaire d'embauche. J'aurais aussi su, ce que j'ignorais, que les heures supplémentaires des cadres, en France ne sont pas payées.
(3) Jusqu'au jour où des rangements de papiers personnels consécutifs à la mort de mon père m'ont permis de retrouver un cahier complet, mal écrit, mais non dépourvu d'intérêts.
[photo 1 : Au parc de Sceaux avril ou mai 1986 (publiée avec l'accord du principal intéressé)
photo 2 : Cité universitaire d'Antony, avril ou mai 1986, ce qu'on voyait de nos deux fenêtres]
spéciale dédicace à Satsuki dont le billet Entre deux averses m'a déclenchée (pour une fois c'est exprès et non par concordance spontanée de pensées), en espérant que ça lui donne du coeur à l'ouvrage pour le second gros boulot qui y est évoqué.
salut respectueux à Annie Ernaux qui a impulsé quelque chose par chez moi et quelques autres, grâce au travail qu'elle a fait, sur l'ensemble de son oeuvre et en particulier Les années. Grâce à elle, j'apprends à avoir moins honte de mon passé étriqué. Si je parviens enfin un jour à sortir du chagrin, elle n'y sera pas pour rien.
[photo 3 : Parc de Sceaux avril ou mai 1986]