Solide
Su(per)positions de printemps

Les bons secours du quotidien

aujourd'hui, ce matin

Cimg8483

billet non relu

Pour avoir toujours vécu dans l'imminence de ma propre mort (1) je voisine au quotidien certaines craintes récurrentes. Leur intensité finalement varie assez peu en fonction de mon actualité psychique ou médicale. Des 44 et quelques années de mon éternité elles ont toujours existé sauf avant la conscience de ma propre pensée.

L'une d'elle concerne le remerciement. J'ai peur de partir avant d'avoir dit merci à ceux que j'ai pu croiser et qui m'ont aidée dans un monde où ce n'est pas l'évidence même.

Pour certains c'est simple, on se voit souvent, et même si j'ai trop de pudeur prolétarienne (2) pour l'avouer ouvertement, je crois bien qu'ils le savent combien j'apprécie qu'ils répondent présents.

Pour d'autres c'est plus subtil, on se connaît peu physiquement, étant surtout correspondants par l'internet et parfois très intermittents.
Mais pour autant nécessaires.

Alors je voudrais profiter qu'aujourd'hui m'est offert grâce aux congés payés un temps de travail parfait pour remercier ceux qui y contribuent dans l'invisibilité des liens électroniques.

Un jour parfait est un jour où j'écris. Où je ne m'interromps à mon gré que pour aller voir l'un(e) ou l'autre de mes enfants, cousins, amants, amis, ou bien un excellent film au ciné, une expo, une causerie,  ou si le soleil vient  partir en chasse photo.

Un jour où j'écris commence  comme une évidence par un tour chez  KMS, Kill Me Sarah pour les intimes.  La musique que j'y lis et les mots que j'y écoute ont le don de me convoquer les neurones si souvent fatigués ces deux dernières années y compris par le creux des rêves. J'en connais la raison : au cousinage des textes, et de quelques opinions (politiques) s'ajoute l'apprentissage grâce à lui qui sait tant, d'air et de compositions qui me parlent et m'ouvrent de nouveaux horizons.

Il commence aussi, à moins que tard la nuit il ne s'achève, car tout dépend là de son propre moment de publication par un petit tour et le plus souvent une participation au Petit Journal de François Bon.
Tenter de retenir en deux lignes du jour écoulé quelque chose de partageable si possible en phase avec son amorce (3) c'est prendre le temps de se poser et se dire, voyons, qu'est-ce qu'aujourd'hui a apporté dans le fil tenu de ma ou nos vies. Et après je travaille mieux, ou bien je peux dormir en paix, l'utilité des heures d'éveil même douloureuses ayant été attestée au sein d'un lieu collectif et partagé.

(et voilà, au moins pour deux c'est fait).

[photo : Ile Saint Louis, mardi soir. Parce qu'on peut être seul(e) physiquement, sans se sentir saisi de solitude et qu'il me plaît d'imaginer, malgré la grisaille d'un printemps qui se refuse, que ce passant tranquillement attendait ou pensait à quelqu'un qu'il aimait et qui l'aimait] 


(1) l'expression n'est pas de moi mais me va et pour cause trop bien
"Pour avoir grandi dans l'imminence de sa propre mort, Mélanie avait été guérie très tôt de l'avenir. Aux questions que l'on pose aux enfants sur ce qu'ils entendent faire de leur vie,  elle restait stupide. Elle ne voyait pas ce que l'on pouvait échaffauder sur un temps qui n'existe pas."
et puis plus loin (et pour compléter une conversation privée récente sur le fait de s'activer malgré qu'on est épuisé(e)s)
"De son organisation de sprinteuse, Mélanie ne laissait pas paraître grand-chose. Elle ne voulait ni inquiéter son entourage, ni l'ennuyer. Mais elle s'efforçait de rendre le présent le plus présent possible, refusant d'aimer le lendemain ce qui pouvait l'être le jour même, si bien que son avidité mélancolique passait aux yeux du monde pour une solide énergie".
Marie Desplechin, "Dragons"

 

(2) Ce n'est en aucun cas une formule littéraire ni même (pour une fois) de l'humour.  Ce qui distingue encore au moins pour une génération (c'est en train de disparaître, la télé-réalité et le monde du moi je à tous les étages est passé par là) les gens d'en-bas des plus ou moins hauts bourgeois, c'est la capacité à parler de soi et exprimer aux autres les sentiments qu'on leur doit. Dans les vies rudes, on ne confie pas, on se tait, car parler c'est offrir prise à davantage d'adversité. Pour autant une fois qu'on s'aime on ne se lâche pas, même si quand on s'engueule c'est à très vive voix. Inversement dans les milieux plus aisé où finalement les circonstances sont moins fréquentes de se prouver présents, on en cause plus, de se qu'on ressent (ce qui d'ailleurs, presque fatalement fait que tôt ou tard on ment, mais c'est une autre histoire).
cf. chacun des romans ou presque d'Annie Ernaux, ainsi que d'Aurélie Filippetti "Les derniers jours de la classe ouvrière" et "Un homme dans la poche".

 

(3) C'est moi qui aime le faire, travailler en écho, ce n'est pas nécessairement le but du jeu.

Commentaires