Ceux qui ont compté
30 avril 2008
Je voulais lire avant qu'on m'apprenne et cette souffrance-là, le fait de pressentir qu'il ne me manquait pas grand chose pour piger mais qu'aucun adulte de mon entourage ne voulait consentir à m'aider (1), se réactive dés que les passeurs possibles refusent de transmettre.
Alors dés qu'on a consenti à m'expliquer enfin, parce que j'étais parvenue en âge où l'on voulait bien, je m'étais jetée sur tout ce qui passait à portée, ne glissant qu'en coup de vent déchaîné par la case Oui-oui puis Fantômette (en CE1).
Il y eu très rapidement les Club des Cinq et Clan des Sept publiés sous un nom, Enid Blyton, qui m'avait laissé croire, à moi qui ignorais enfant tout de l'anglais, que l'écriture des livres se faisait en usine, ou du moins dans des fabriques et par équipe. Quelqu'un, un chef sans doute, décidait après discussion de la trame de l'intrigue, les personnages avaient leur principales caractéristiques figées dans des sortes de portraits écrits au commencement et qu'il convenait de respecter (ce qui en faisait des êtres à mon goût un peu trop prévisibles), et les chapitres étaient répartis entre les différentes personnes dont c'était le métier de soigneusement les rédiger.
C'est pourquoi le premier vrai livre qui ait compté fut "La gloire de mon père" de Marcel Pagnol. J'étais en CM1, devais avoir 9 ans, on l'avait lu en classe, et cette histoire de bartavelles, à moi qui étais si loin de la chasse (2), m'avait scotchée. J'avais alors compris qu'un être humain qui écrivait avec du sentiment et des souvenirs était derrière ce travail, j'avais compris ce qu'être écrivain signifiait.
Dans la foulée j'avais dévoré tous ses Souvenirs d'enfance et j'étais probablement tombée (secrètement) amoureuse de Lili des Bellons au point que mon petit coeur bat encore quand au détour inattendu d'une conversation d'aujourd'hui revient cité son nom.
Les héroïnes filles qu'on nous proposait à l'époque étaient bien trop nunuches à mon goût, seule la Claude du club des cinq me paraissait un peu normale quoi que bien trop autoritaire (j'ai toujours eu un problème avec l'autorité), mais n'avais pas été insensible aux Alice (en bibliothèque Verte, nom de l'auteur oublié), adorais les Poly de Cécile Aubry (et les feuilletons télévisés y afférents), et n'avais pas dédaigné La comtesse de Ségur que je trouvais d'un exotisme forcené mais parfois un peu perplexifiant (ils vivaient bizarrement ces gens). J'aimais beaucoup ses dialogues avec les prénoms et deux points et puis ça causait. J'y trouvais (mais pourquoi ?) beaucoup de charme.
Mes passions de lectures suivantes sont moins datées et plus en vrac.
Pendant toute une série d'années, celles où j'étais au collège, ma cousine Anne m'offrait à chacun de mes anniversaires une oeuvre majeure dont je me régalais. Je devais être en 5ème pour "Les Misérables" de ce bon vieux Victor (quel choc, en trois tomes), et en 3ème pour Jules Vallès ("L'enfant", "Le bachelier", "L'insurgé", ma cousine était généreuse).
A côté de ça je m'étais prise d'intérêt pour les Safari Signes de Pistes dont les illustrations me faisait éprouver un malaise diffus que je n'ai compris qu'au siècle suivant (ou peu s'en faut), mais dont j'adorais les Enquêtes de Mick Chat Tigre, et dans une moindre mesures les avantures de Prince Eric (3). L'intérêt des textes pour moi primait. Et peut-être aussi le fait que pour y avoir accès j'avais obtenu des bibliothécaires du collège un léger surclassement me permettant d'aller taper dans les livres 4ème/3ème alors que j'étais encore en 6ème. Ces livres avaient donc comme un léger parfum de reconnaissance. Les aurais-je sinon tant aimés ?
Ont beaucoup compté les Agatha Christie qui garnissaient la bibliothèque familiale. Ma mère les avaient tous et tous lus. C'était au Masque, et déjà à l'époque usés par leurs relectures successives ils perdaient leurs feuilles comme un vieil oreiller ses plumes. J'en ai tant lus qu'ils sont en moi comme une tourbe (4) fondamentale indissociés les uns des autres fors quelques titres marquants (Ah "Le meurtre de Roger Ackroyd , "La mystérieuse affaire de Styles" et "Le crime de l'Orient Express").
Dans la foulée les Conan Doyle et les Jules Verne avec une tendresse particulière pour "L'île mystérieuse". Ceux-là s'empruntaient plutôt à la bibliothèque municipale.
Il y a aussi ceux qui ont compté "gâchés", c'est-à-dire qu'ils furent lus par moi trop jeune pour ma maturité affective. Je suis donc passée complètement à côté tout en ayant conscience qu'il se passait quelque chose de très intéressant mais bon sang pourquoi faut-il que l'histoire soit si bêtasse. Et puis les histoires d'amour qu'est-ce que c'est débile : tu prends un personnage, il a l'air sympa et tout et saint d'esprit, et puis hop soudain il se met à agir comme le dernier des mollusques mono-neuronal, c'est parce qu'il est tombé raide dingue amoureux.
Exemple typique : Madame Bovary qu'on nous faisait lire en 3ème. J'étais sensible à l'écriture mais incapable de rien piger aux motivations des gens qui s'y agitaient ou plutôt, en l'occurrence s'y ennuyaient ferme.
Dans une moindre mesure parce qu'il me plaisait bien au fond le petit Juju même si son ambition forcenée et calculative était (reste) pour moi un mystère, "Le rouge et le noir", lu en 3ème aussi.
Boris Vian m'a longtemps fait l'effet du jazz : je ne "comprenais" pas cette musique ni vraiment ces textes, mais j'y pressentais de la magie pour quand je saurais. Le déclic pour l'un comme pour l'autre fut simultané vers ma 23ème année. J'avais cependant lu "L'écume des jours" à 13 ou 14 ans.
Rimbaud, je le dois à celui qui fut mon prof de français en première et seconde, Bruno Plane, qu'il en soit encore et encore remercié.
Celui-là il m'allait comme un gant (5), contrairement à un Baudelaire que j'admire de loin, froidement et à son Verlaine, trop bourgeois pour moi.
Pourtant je n'étais pas sectaire, j'ai aimé Proust ("Un amour de Swann" pour commencer, vers 15 ou 16 ans peut-être) et ses phrases où l'on pouvait se caler bien au chaud, elles vous amenaient toujours à bon port comme lors d'un voyage en train sans retards ni correspondances, et c'était si reposant. Je lui en pardonnais ses duchesses et ses amours d'une subtilité à mes yeux incompréhensible. J'ai aussi aimé Chateaubriand mais son tombeau, son air malouin, son Combourg que je connaissais "pour de vrai" n'y sont pas pour rien. Les "Confessions" de Rousseau très tôt avaient comptée (piquée dans la petite bibliothèque "édition bon marché de grands classiques" de mes parents) et je me souviens d'avoir été mortifiée et de m'être sentie flouée quand j'avais appris (ou compris) que tous ses enfants avaient été "placés". Malgré l'expérience et l'âge, il m'en reste un peu de mal quant à ceux qui écrivent humain et si bien et agissent dans la réalité de tout autre façon.
Les autres chocs d'encore jeunesse sont Buzzatti et son "Désert des tartares", et Patricia Highsmith dont "Ces gens qui frappent à notre porte" n'a jamais en 25 ans quitté mes successifs chevets.
D'autres ont compté et ils furent nombreux et de plus en plus formidables à mesure que comme un oenologue qui serait né au Groenland et n'aurait pu se rapprocher des grands terroirs et bons cépages qu'après un long et éprouvant voyage, ma capacité de goûter s'affinait. J'ai totalement perdu en chemin le goût du suspens (6) qui enfant me faisait tourner les pages à une vitesse folle (tout en lisant quand même tout), mais voilà
la question était 10 ou 12 de l'enfance à l'apprentissage, et je crois qu'on y est.
(1) au fallacieux prétexte que ça m'embrouillerait pour apprendre vraiment au CP.
BANDE DE CONS
(2) Pure petite citadine j'étais incapable d'intégrer autre chose que chasser = tuer des pauvres bêtes qui ne nous avaient rien fait. Bambi était le premier film que j'avais vu au ciné.
(3) signées Mick Fondal pour les premières et Serge Dalens pour les seconds
(4) Je tiens à préciser que pour moi la tourbe n'est pas un élément négatif, en plus que ça peut même permettre de se chauffer ; j'aime les whiskies tourbés de l'Ile d'Islay au point d'en posséder one square foot (il paraît).
(5) Ce qui pour une Gilda est très dangereux, je l'ai appris à mes dépends.
(6) Franck, désolée.
[photo : trouvée sur mon téléfonino lors d'une sauvegarde aujourd'hui effectuée, date peut-être de janvier ou bien d'avant (un essai ?)]
Rajouti non secondaire 03/05/08, 11 heures 40 :
J'en avais oublié un et de taille, il était dans la bibliothèque de "classiques bon marché" de chez mes parents, je l'ai lu adolescente (mais je ne saurai dater, à moins de tout relire de mes carnets de bord) :
"Le comte de Monte-Cristo" d'Alexandre Dumas.
(primordial et fondateur)
et par ailleurs mais plus tardif (vers 20 ans) la version originale des souvenirs d'enfance et de jeunesse de Laura Ingalls Wilder, qui valent infiniment mieux que le feuilleton télé gluant de bonsentimentalisme qui en a été fait, et que sa V.F publiée à l'époque dans une collection pour enfants (et en passant édulcorée). C'est bête à dire mais malgré tout ce qui peut nous séparer, d'époque, de foi surtout, et de mentalités, aux heures noires il m'arrive de penser à elle, qui en a passablement cumulées (1), et d'y puiser du courage résiduel.
(1) Curieusement ou peut-être est-ce parce qu'elle n'en a rien publié ou rien d'assez diffusé pour me parvenir (tiens, si à présent grâce à l'internet j'essayais ?), je n'ai pas ou peu lu de récit direct de sa période de profondes difficultés (incendie de leur ferme, mort d'un fils bébé, maladie grave de son mari Almanzo), mais comme elle a écrit en sa maturité, ses mots choisis portent le poids arrière de ce qu'elle a connu. Et donc une force.
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