jeudi soir, lieu de transit, toilettes publiques
Peut-être parce que je suis pressée de retourner reprendre la conversation interrompue et que je sais le temps compté pour cause de départ proche vers un ailleurs de nos contrées, mais voilà que j'ai beau placer les mains là où à l'ordinaire sur un lavabo on attend un jet d'eau, rien ne vient.
Evidemment les bols de toilette voisins sont en travaux, celui où je tente de me laver les mains est le seul disponible.
Je vérifie à tout hasard qu'il est bien à déclenchement automatique, tente de trouver l'oeil de Caïn le capteur, crois le repérer à l'endroit logique, insiste.
Rien. Nada.
Comme par chance il perle un peu, je parviens à obtenir du suintement permanent un lavage sommaire et un rinçage décevant et puis n'insiste pas : une dame attend son tour patiemment après moi.
Or dans les lieux de transhumance, même calmes et bien-élevés, les humains généralement sont pressés. J'évite donc de traîner mais prends le temps d'indiquer que quelque chose ne va pas.
Elle est d'une rare élégance, que j'appellerais l'élégance négligée. Pas de tailleur ni d'escarpins formatés, pas non plus de robe de soirée, non. Juste des vêtements discrets rehaussés d'un brin de fantaisie imaginative, qui lui vont comme un gant et qu'elle porte avec grâce y compris les mains sales.
J'ignore pourquoi mais j'y suis sensible. Elle fait visiblement partie des gens aisés, non pas tant au sens d'une bonne santé financière mais que la vie leur va.
Et d'ailleurs sans doute pré-divertie par mes vaines tentatives auprès de la plomberie, elle s'amuse du dysfonctionnement annoncé, plutôt que d'en râler. Et a même l'obligeance, quant à elle volontaire de me rendre la pareille.
Elle m'annonce donc d'un faux air sérieux de qui se trouve soudain chargé d'une mission remarquable :
- Je vais voir ce qu'on peut faire.
Et puis s'approche de la vasque, tend les mains ... et l'eau coule.
Alors elle se retourne vers moi et du ton de
la victoire et de la confidence ajoute :
- J'ai le pouvoir magique.
En d'autre temps je pense qu'on aurait tapé
la discute, que je lui aurais au moins "vendu" (1) un bouquin, je
serais capable d'en refiler l'appétence à un hérisson borgne au sommet de
l'Everest ou à un poisson rouge dissident du bocal. Mais je ne souhaitais pas
m'attarder, et puis j'ai perdu dans la vie cette confiance que j'avais en la
part sympathique de l'humanité et qui m'accordait les plus belles rencontres.
Alors j'ai salué en souriant et j'ai filé
d'où je venais.
De l'autre côté de la cloison légère, là où
tout fonctionnait, un homme qui se faisait la barbe et riait soudain, m'a
laissé supposer que notre bref échange l'avait bien amusé, et qu'il avait
sans doute entendu sans voir.
(1) au sens de donner envie de lire sans
attendre, parce que je ne me déplace quand même pas avec une mallette pleine.
[photo : beau lavabo
bruxellois, il y a 4 mois de ça ; en fait recherche ratée de triple jeux de
reflets]
Rappel : pour les considérations pratiques
des étapes préalables de ce type d'escales techniques voir ici
là
(merci encore KA et Kozlika)