Les sanglots longs d'une brève évacuation
16 mars 2008
Tout à l'heure au salon (du livre, porte de Versailles)
catégorie annexe : chroniquer le hangar
[photo : prises sur le champs, publiées en vrac]
Je salue une amie au Passage, je salue un ami au passage, puis file vers les lieux d'un prochain débat : Edgar Keret (1) avec Arnaud Cathrine présentés par Hubert Artus , comme disait une vieille réclame, ça fait trois raisons de boire Contr*x.
C'est alors que j'entends près de "l'Espace" France 2 tandis qu'un débat semble s'achever par décision des forces de l'ordre, un animateur avant de quitter dire au micro
"Si ce débat avait pu se tenir jusqu'au bout, j'aurais aimé terminer sur ces mots de René Char" et il cite René Char.
C'est ce geste d'ultime citation qui me fait comprendre la situation.
Non ce n'était pas une seule discussion qu'on interrompait pour cause d'esclandre comme ça avait failli être le cas plus tôt dans la journée lors d'un thème politique, mais bien une évacuation générale.
Au début la consigne semble douce ; j'imagine donc que l'appel ou le message qui l'a déclenchée mentionnait une explosion pour une heure plus tardive. Les gens paraissent autorisés à achever ce qu'ils faisaient. Personne ne semble vraiment décidé à se hâter.
Je pense à te retrouver, le dimanche après-midi est ordinairement ton heure de signature, jamais je ne quitterais sans toi le lieu d'un danger. Puis me rappelle que cette année tu n'y es pas et te vois soudain : au calme, loin, campagne, étendue d'eau, bâtiments blancs anciens (lieu de recueillement ? J'entends du silence malgré le brouhaha ambiant), et il fait un froid d'est (Allemagne ?).
Me revient qu'aussi désormais tu te fous bien de ce qui m'advient et que je suis priée d'en faire autant de toi.
Je n'y parviens pas. C'est la seconde alerte (2) en deux mois qui me le confirme face à un danger potentiel concret.
La mort dans l'âme mais pas celles qu'on croît, je retourne auprès du stand de la maison d'édition qui m'avait hébergé un sac, y parviens au moment précis où ils s'en vont, fais un instant chemin avec eux, les perds de vue alors que je tente de récupérer un imper laissé au vestiaire, seul endroit où l'on sent un brin de fébrilité.
Les amis sont dépourvus de téléfonino et si j'ai confié mon numéro à qui en avait un, je n'avais pas eu la présence d'esprit de lui demander le sien ; éternelle crainte de déranger. (Vague) espoir de se retrouver une fois dehors.
J'aperçois V. qui au pied d'un escalier hésite puis profite d'une relative inattention du vigile canalisateur pour monter. J'espère que c'est pour chercher quelqu'un et non pas quelque chose sinon le risque n'en vaut pas la chandelle. Hélas je suis trop loin pour la prendre par l'épaule et l'entraîner au dehors. Plus près je l'aurais fait.
Je n'ai pour moi aucune autre crainte que celles des dégâts collatéraux potentiels en cas que d'un attentat on réchappe et les atroces souffrances de qui succombe au feu. Je cumule déjà deux sursis, ce troisième-là, en ton absence sur zone et après avoir vu mes amis plus près de la sortie que moi, ne m'inquiète pas plus que ça.
C'est juste une grande tristesse qui me saisit aux portes franchies. A cause du gâchis. A cause des gens passionnés qui attendaient depuis des heures une dédicace, qui d'un auteur de BD, qui d'Anna Gavalda (A), et se sont vus priés de fuir. Des exposants aussi. Je sais les problèmes possibles de manque à gagner. Tristesse profonde pour les problèmes politiques inextricables à mes yeux d'occidentale sur et autour de la situation du pays invité cette année. Alors que je photographie une femme qui a trouvé un bref havre à l'écart où elle patiente en compagnie de ses enfants, je suis saisie d'une bouffée d'espoir de paix avant mon décès, après tout j'aurais bien vu la fin du mur de Berlin. Je me reprends assez vite : quand du dangereux religieux s'en mêle de tous côtés, peu d'espoir qu'un jour l'intelligence reprenne ses droits au profit d'intolérances qui par essence ne se discutent pas.
S'y ajoute la défaite personnelle face à l'absence et au chagrin. Je croyais avoir progressé, gagné enfin le temps à ma cause. Il n'en est rien. Plus que jamais briser ton silence devient la condition sine qua non de ma survie.
Les acteurs de manga poireautent sous la pluie fine. D'une certaine façon ils assurent l'animation tandis que leur maquillage morfle.
Patienter. Eviter de pleurer : là où j'ai trouvé refuge, sur les escaliers légèrement protégés de l'école supérieure de mécanique quantique (3) les gens semblent avenants et se montrent causants.
Un homme a préféré sauver son ordinateur que son pardessus. Il y travaille stoïquement malgré le froid qui gagne. Ma double stupidité et de le laisser au vestiaire et d'être allé le chercher n'ayant pas eu de conséquences, je me félicite d'avoir pris le temps de retrouver le mien.
Une jeune femme détimbre sur le mode scène de ménage en bonne et due forme. Le garçon proteste qu'on ne lui a pas laissé le choix, qu'il s'est trouvé évacué, et puis ce n'est pas grave puisqu'ils se sont retrouvés.
Un couple s'amuse de ses achats. Au bout d'un moment l'homme souhaite aller aux nouvelles.
- N'explose pas, lui conseille-t-elle.
Une exposante obtient par téléphone des instructions qu'elle communique alentour. Le salon ne sera pas réouvert au public mais les explosants peuvent réintégrer le temps de fermer leur stand.
L'attitude de mes voisins, semble confirmer cette thèse (4). Revenu de sa quête d'information il a fait signe à sa compagne "On s'en va". Elle s'est levée, l'a rejoint et les voilà partis.
J'envoie un ou deux textos à des amis qui pourraient être sur zone. En l'absence de réponse, imite ceux qui partaient.
Je consens à pleurer dans l'espoir de sécher avant Balard et rentrer chez moi avant la prochaine vague de chagrin dévastant, consciente toute honte bue, que qui me croise et ne peut que remarquer le déploiement policier croira qu'il s'est passé quelque chose de grave alors qu'il n'en fût rien. Ce n'est que l'espoir d'une guérison morale que je viens d'enterrer.
(et celui d'écouter dés aujourd'hui Edgar Keret).
A peine rentrée chez moi, je m'endormirai.
(1) le co-auteur et réalisateur des Méduses que j'avais tant aimé.
(2) La première fut un malaise suffisamment violent et coupeur de souffle pour je manque de terminer aux urgences un samedi matin de début février.
(3) Je rebaptise je sais, mais le nom réel m'a ensuite échappé.
(4) J'apprends mais un peu tard qu'elle était erronée. Regrets : j'y serais bien retournée.
(A) rectificatif du 17/03/08 around ten : en fait la séance de dédicace s'est poursuivie sur le parking (cf. article de François Bourboulon dans Métro). Il semblerait que selon le côté et l'instant où l'on se trouvait les consignes n'aient pas été tout à fait les mêmes puisque j'ai eu la version Ne restez pas dans l'enceinte du salon suivie de Ça ne rouvrira pas au public seulement aux exposants, quand Pierre Assouline a eu celle de Attendez un peu et puis plus tard : Vous pouvez retourner à l'intérieur et que visiblement on a laissé les dédicaces se prolonger dehors (ce qui était d'autant plus méritoire qu'il pleuvinait fraîchement). Il n'est pas étonnant que souvent les relations d'un même événement divergent, chacun du même en vit un différent.