tout à l'heure, Bibliothèque Nationale, site Richelieu
(photo plus tard, peut-être)
à relire ASAP
Je n'avais pas construit grand-chose de ma vie, m'étais simplement efforcée de lui donner du sens, de limiter la casse, d'aimer ceux qui m'aimaient, de m'occuper au mieux de mes enfants, m'efforcer que malgré le monde et l'humanité ou son absence ils puissent n'être pas malheureux, ne pas regretter ce choix que leur père et moi avions fait d'être parents.
Et puis cette année 2005 pour moi de tous les extrêmes et de tous les dangers était venue qui avait ravagé le coeur même de mon existence, me laissant à la fois fière de ce que j'avais fait, un engagement militant pour une fois victorieux, et brisée par une succession trop bien coordonnée de malheurs et difficultés survenus en son automne.
Nous nous en sommes sortis. Une fois de plus mais que je crains dernière : mon corps est épuisé, il ne sait pas, je ne sais pas, vivre sans amour, je n'ai plus de forces j'ai tout donné pour sauver ce qui pouvait l'être, et le chagrin me mine dont j'avais cru vers novembre être en partie débarrassée pour constater à la première nouvelle et sérieuse alerte de santé qu'il n'en était rien.
"Prends soin de toi" me suggèrent les amis, les solides et formidables, ceux qui ont résisté.
Je ne sais pas faire.
Il faut cependant vivre. Je m'entête, j'essaie.
J'avais aimé le livre-livret-CD-DVD qui en était issu, je rêvais sans en avoir les moyens de me rendre à la Biennale de Venise pour admirer le pavillon qui lui correspondait, alors je me suis précipitée à l'exposition de Sophie Calle qui porte ce conseil.
Je sais qu'elle traite de rupture, que c'est précisément de l'une d'elle parmi d'autres que je souffre sans savoir m'extraire. Il y a donc un risque. Un risque et peut-être une chance. Celle de tomber sur un élément de réflexion qui m'aurait échappé, une hypothèse éclairante, quelque chose qui me sauverait sinon de l'absence du moins de l'incompréhension. J'oublie juste un détail (comment ai-je pu ?).
Les lieux sont formidables, la grande salle de la Bibliothèque Nationale, rue Richelieu. Il y a un pur bonheur d'être à cet endroit-là.
Et dés l'entrée le murmure des mots, ceux qui sortent des écrans où jouent et chantent et témoignent ou lisent, actrices, compositrices, auteures ou lectrices, de petits écrans où confortablement on peut s'asseoir devant. Et dés l'entrée une photo simple de Florence Aubenas et sa contribution à l'en-tête de Libé. Je ne vois qu'elle, oublie les autres (injustement), attrape une petite bouffée d'allégresse en passant. Ce n'est plus si souvent.
C'est bon.
Aussitôt, l'oeuvre m'embarque pour un beau moment, d'écrans en écrans, de photos en panneaux lus, non sans pause pour regarder l'harmonie des bois et celle des plafonds, je savoure la force vitale de l'humour et du détachement face à l'égoïsme de qui part unilatéralement sans souci de l'autre ou en comptant immodérément sur sa solidité supposée.
Dame Sophie a de la ressource et la sérénité sans doute de qui connaît l'art de vie et assez peu l'usine ni non plus la faim subie.
Ses assistantes sur le projet ne manquent ni de talents ni d'idées. J'avais beau connaître le catalogue avant l'expo, je ris comme au premier jour de la version cryptée par une mystérieuse agente (?) de la DGSE (?), la version SMS (par Alice Lemay, traductrice en langage SMS), la version comptable (par Sylvie Roch dont c'est le métier), revois deux fois et demi (car quelqu'un s'approchait qui convoitait le poste) la version chantée de Natalie Dessay, m'amuse de celle d'une vocaliste compositrice (Susan Deyhim , je crois) qui trône dans une somptueuse salle de bain, me régale de l'ado lapidaire (Anna) qui textote "Il se la pète", apprécie le "débraillé apparent des syntagmes" dont une stylisticienne (Françoise Gomez) qualifie le message de rupture et son analyse par Micheline Renaud (chercheuse en lexicométrie), savoure la grande classe d'une consultante en savoir-vivre et sa proposition chevaleresque mais sobre d'un courrier qui l'était moins.
Le détail que j'avais négligé m'explose alors à la tête, ironie splendide du sort de voisinage. Je n'avais pas eu le temps de m'y préparer, me reste à peine celui de me poser, ça tombe bien, la bibliothèque ayant conservé sa configuration tables et chaises ne manquent pas.
J'attends que le malaise passe en pestant (intérieurement, les murmures qu'on entend sont déjà suffisants et suffisamment saisissants) contre moi trop émotive, sensible, oublieuse, idiote, nulle, aimante, naïve, bécassine, con, fragile, désespérée, passoire, éponge et serpillère pas assez combattive ni pourvue d'amour propre. Et mon humour à moi, il est où, là ?
Tout en haut sur un grand écran, une femme gesticule. Les mots de la rupture en langage des signes et qui révèle leur mesquinerie, leur immaturité, leur centrage sur qui les exprime.
J'avais repéré Ariane Ascaride, qui lisait la missive en accent marseillais. Je me relève et vais l'écouter, guettant comme une réponse et qui ne viendra pas : elle ignore que j'existe. Quelles sont nos conséquences sur ceux qu'on ne connaît pas ?
Je retourne vers la voix de Natalie, me concentre sur elle à en oublier les mots qu'elle prononce. Pour leur sens, il y a lurette que c'est fait. Trop d'harmonie dans le son.
Je griffonne quelques mots sur un des livres d'or, ce n'est pas parce que je vais mal que le travail accompli n'est pas formidable. J'espère avoir laissé un remerciement et non pas autre chose issu de trop au fond.
Je ne sais plus.
A proximité, c'est Luciana Littizzetto, qui en italien me console enfin. Et puis Yolande Moreau peu avant la sortie. Elle lit comme dans la vie. Et son accablement s'accorde à mon silence quand j'avais encaissé le peu qu'on m'avait dit. Plus que jamais fantôme moi qu'on quitte sans songer à m'en avertir ou si peu ou si tard (un record de 14 ans fut établi le 29 septembre 2005, sans recours à aucun dopage), je lis la page de cahier d'Ambre "élève de CM2" qui analyse les longs mots que l'adulte inconnu écrivait à Sophie quand je n'ai toujours pas compris les 3 ou 4 qu'on m'adressait.
Il fait encore jour dehors et du soleil à cet instant. C'est le printemps.
Paris (France).
Je sors.
Il fait froid ou c'est moi ?
PS : Ne vous inquiétez pas, vous qui lisez, si vous voulez aller y voir, je ne pense pas que rien ne vous atteigne comme ça l'a fait à moi. Mes faiblesses sont particulières.
Le bonheur jubilatoire du début de visite, en revanche, peut être universel.
(Je regrette juste vaguement qu'aucun homme n'ait parlé/participé/témoigné (1). Je sais que ça n'était pas le projet ; que son équilibre en eût été changé. N'empêche. Les femmes aussi, peuvent quitter (sans raisons apparentes))
(1) addenda de longtemps plus tard (début 2015) : J'ai appris à l'été 2009 qu'en fait un homme avait participé, en sous-main, discret. Hé, hé. Mon souhait avait donc été exaucé.
[PHOTO : afin de ne pas dévoiler l'expo, juste une fenêtre, comme un espoir ; Bibliothèque Nationale, rue Richelieu]